Pourquoi, et pour qui, certains comportements sexuels entraînent-ils de la satisfaction ou, au contraire, de la détresse ? Pour la première fois, ces questions sont examinées dans le cadre d’une recherche internationale de grande envergure.
Peut-être avez-vous vu passer l’annonce sur les réseaux sociaux, dans la presse ou sur le fil d’actualités de l’UNIL. Cet hiver, des psychologues de l’Université de Lausanne invitent les Romands et Romandes de plus de 18 ans à compléter un questionnaire en ligne sur le thème de la sexualité. L’objectif ? Mieux comprendre les facteurs qui contribuent au bien-être sexuel d’une personne ou, à l’inverse, qui provoquent une situation de détresse.
De façon anonyme et confidentielle, les internautes qui acceptent de participer à l’étude sont amenés à répondre à des questions très personnelles, sur leur psychologie et leur vie intime, leurs expériences plaisantes ou déplaisantes. Une liste de ressources spécialisées dans la santé sexuelle et psychique leur est proposée, en cas d’inconfort ou de malaise, dû par exemple au réveil de souvenirs traumatiques.
45 pays, 5 continents
Pilotée par la chercheuse Beáta Bőthe de l’Université de Montréal, cette enquête nommée International Sex Survey (ISS) est menée dans 45 pays, répartis à travers cinq continents. Elle est « la plus grande étude réalisée à ce jour sur ce sujet », affirme Vera Sigre Leirós, maître d’enseignement et de recherche au Laboratoire d’étude des processus de régulation cognitive et affective (Carla) de l’UNIL. Cette dernière codirige la recherche au niveau de la Suisse francophone, aux côtés de Joël Billieux, professeur associé à l’Institut de psychologie et principal investigateur pour la Romandie.
Quelle est la démarche de cette étude à si grande échelle ? La postdoctorante résume :
« La sexualité saine fait partie intégrante du bien-être. Si certains comportements sexuels peuvent générer de la satisfaction chez diverses personnes, ils sont pour d’autres susceptibles d’entraîner une détresse dans différentes sphères de la vie. Le but est d’investiguer de façon systématique les facteurs impliqués dans le développement de pratiques aux effets positifs ou négatifs. »
Les résultats de cette étude internationale permettront notamment de proposer aux organismes de prévention et d’intervention des programmes plus ciblés.
Différentes variables seront passées au crible, tels que l’âge, le degré de religiosité, le genre (données sociodémographiques), les expériences vécues, les facteurs psychologiques, ou encore les traits de personnalité, comme l’impulsivité ou la propension à ressentir des émotions négatives ou positives.
La pornographie, un point qui fait débat
Les conduites sexuelles évaluées dans cette enquête sont nombreuses mais ne doivent pas être mentionnées pour l’instant, au risque de biaiser les réponses des futurs participants. Vera Sigre Leirós se permet toutefois d’en citer une, qui apparaît de façon évidente dans le questionnaire : la consommation de pornographie.
À quelle intensité et dans quels contextes ce comportement doit-il être considéré comme problématique ou non ? « À l’heure actuelle, le débat reste ouvert. Notre but est de parvenir à fixer des critères de diagnostic », commente-t-elle.
Le professeur Joël Billieux rappelle qu’il est important de ne pas stigmatiser ou « pathologiser » de manière excessive ces comportements. Il ajoute :
« Une telle pratique, même relativement intensive, n’est pas forcément associée à des conséquences négatives dans la vie quotidienne. Néanmoins, il convient d’identifier les facteurs de risque liés à une utilisation problématique pour mieux orienter la prévention et l’intervention. »
D’autres particularités liées à la diversité sexuelle et de genre seront également observées, comme l’asexualité (que la chercheuse définit comme « l’absence d’attirance sexuelle pour d’autres personnes »). « Celle-ci peut être tout à fait satisfaisante. Cependant, il arrive que certains individus se sentent incompris et en souffrent. Car il s’agit d’une orientation sexuelle peu connue à l’heure actuelle », poursuit-elle.
Le poids des cultures
Pour mener à bien leur étude, les chercheurs lausannois doivent recruter un minimum de 2000 personnes en Suisse romande. Ensuite, plusieurs mois d’analyse seront nécessaires avant de pouvoir découvrir les résultats. Seront-ils similaires entre les divers pays ? Selon Vera Sigre Leirós, « les différences potentielles dans les taux de réponse à l’enquête dans les différents pays seront par exemple déjà révélatrices du poids de la culture sur la question sexuelle ».
Dans tous les cas, cette étude internationale devrait permettre de dresser un « tableau plus clair » de la façon dont la santé sexuelle est conçue et vécue à travers le monde.
Quatre pays sous la loupe
Un sous-projet de cette étude à large échelle explorera plus avant la question de la dimension interculturelle de la sexualité dans quatre pays. Intitulé « Sexuality across Cultures : International Sex Survey in South Africa, Switzerland, Canada and Taiwan », ce programme, auquel contribue également le professeur de l’UNIL Joël Billieux, a reçu l’an dernier un fonds du Worldwide Universities Network (WUN). Il analysera dès cette année les conduites sexuelles et leur relation avec la santé. Il décryptera également l’effet du COVID-19 sur ces comportements.