Observations et considérations générales : Pistes de réflexion et d’action

Les pistes d’action et de réflexion présentées ici sont à la fois issues d’observations et d’analyses réalisées au cours des recherches de Préaux en tous genres et des ateliers de Pousses Urbaines. Elles viennent compléter les résultats et pistes proposés par l’équipe de recherche et les observations et recommandations présentées par Pousses Urbaines (lien). 

Ces pistes s’adressent essentiellement aux professionnel·les de l’éducation et de la Ville de Lausanne, son administration, l’institution scolaire et les enfants. Elles visent à penser, aménager et réduire les inégalités de genre dans les préaux et ainsi offrir de nouveaux outils aux acteur·ices de l’éducation et aux enfants. 

1. Reconnaître ses propres biais de genre – et tout le monde en a !

Nous avons toutes et tous des comportements genrés envers les enfants – nos enfants ou ceux des autres, envers les élèves, les collègues, notre famille ou des amis. C’est un fait et, bien que ce soit perturbant, les reconnaître est le premier pas essentiel pour les déconstruire. 

Nous invitons les professionnel·les de l’éducation à en prendre progressivement conscience et à œuvrer à leur déconstruction au quotidien1. De nombreuses recherches ont montré que les pratiques éducatives et pédagogiques en sont empruntes au quotidien ; elles s’inscrivent dans la manière de gérer un groupe (école, crèche, APEMS), la manière de sanctionner différemment filles et garçons, d’être plus strictes avec les unes qu’avec les autres, de laisser plus de temps de parole à certains vis-à-vis de certaines, à faire des remarques et adresser des qualificatifs différents (la beauté, la propreté, l’ordre et la forme des idées pour les filles – la force, le courage ou le fond des idées pour les garçons) ou encore à encourager l’autonomie pour certaines et l’appropriation de l’espace (physique et sonore) pour certains2. Ce sont des pratiques que l’on observe partout, et nul·le n’y échappe.

2. Planifier et accompagner des actions pédagogiques structurées et organisées dans le préau

Le réaménagement seul d’un préau est insuffisant pour « gommer le genre »2. En effet, se contenter de changements urbanistiques ou architecturaux revient à minimiser voire invisibiliser l’appropriation du préau par les enfants, et les interactions, les relations et les univers symboliques qu’elles et ils élaborent. 

En ce sens, il apparaît nécessaire d’organiser et structurer plus explicitement les activités qui prennent place dans le préau (récréation, pause de midi, autres pauses). Animer ces temps permettra de rappeler ces préoccupations aux enseignant·es et ne pas les reléguer aux marges du temps scolaire ; s’il peut apparaître comme un temps de pause pour les adultes, il est central dans l’expérience quotidienne des enfants. Alors, nous encourageons les adultes à passer d’un rôle de surveillant·es à celui de partenaire et d’éducateur·ice actif·ve. Par ailleurs, les interventions des adultes peuvent s’avérer favorable à l’entre-enfants4 et à la réduction des violences et des inégalités – en termes d’âge et de genre.

Si le jeu libre a reçu nombre de louanges et d’appréciations positives de la part des adultes et des professionnel·les – dont certaines sont bien réelles, il est aussi la voie royale aux stéréotypes. En effet, dans le cadre du jeu libre, les enfants ne construisent pas leurs univers ludiques à partir de rien ; elles et ils s’inspirent de ce qu’ils observent et ce qu’ils connaissent. Les stéréotypes de genre, en tant que schémas préexistants et collectivement partagés, sont présents dès le plus jeune âge des enfants (2-3 ans). Ils vont donc s’en servir dans de nouvelles situations. Les laisser librement construire les jeux, c’est également tracer une voie bien confortable à la transmission, au développement et au renforcement des stéréotypes de genre – et aux inégalités qui en découlent. 

Accompagner la découverte des espaces et des activités peut se faire de différentes manières. Les caisses de jeux peuvent être des ressources intéressantes à développer dans chaque établissement. Elles peuvent être agrémentées de fiches de jeux, d’échasses, de quilles, de balles et ballons divers et variés, de jeux de constructions extérieurs ou de jeux de raquettes par exemple. L’objectif est ici d’accompagner les enfants à (ré)investir des activités et ouvrir le terrain central à de nouvelles découvertes. 

3. Offrir une diversité de sous-espaces 

Les enfants s’approprient activement l’espace qui leur est proposé. En revanche, sa structure favorise certaines activités au détriment d’autres et crée des univers symboliques différents. Certaines pratiques permettent de réduire les inégalités de genre et de favoriser des espaces plus égalitaires pour toustes. 

Une diversité de surfaces, de tailles et formes différentes

La diversité de surfaces est primordiale3 ; elle passe par la taille et la forme des espaces, et le mélange entre les petits espaces isolés et les espaces plus grands. Les espaces plus petits sont particulièrement appréciés car ils permettent de réduire les influences externes. 

En ce sens, le jeu, les interactions dynamiques, la motricité et la circulation dans l’espace sont autant à valoriser que les endroits de calme, d’échanges et de repos. Ces espaces permettent à la fois de courir, sauter, grimper sur différentes distances et hauteurs. Ils encouragent également la mobilité des enfants et préviennent différentes problématiques de santé. La littérature montre que cette diversité des espaces engendrera une diversité des activités, qui sera toujours préférable à un espace central éternellement occupé par le foot. La littérature montre que les préaux avec dix espaces distincts favorisent la mobilité des filles et des garçons, quels que soient leur âge4.

Différents revêtements et aménagements

Les matériaux de revêtements et les équipements sont également très importants – et les enfants y sont très sensibles. Par exemple dans Pousses Urbaines, ils et elles ont demandé à plusieurs reprises à avoir un terrain de jeu synthétique pour éviter de se blesser, à éviter le gravier qui provoque trop de blessures en cas de chutes, ou encore à installer des bancs et des tables pour qu’elles et ils puissent prendre leur goûter dans de bonnes conditions – et non sur les racines des arbres qui « font mal aux fesses ». D’autres recherches5 ont également soulevé l’importance d’un mobiliser modulable permettant aux enfants de s’asseoir, s’isoler, sauter et escalader, ou lier et surplomber.  

Séparer les espaces

Par ailleurs, la littérature5 et les témoignages des enfants suggèrent de proposer des espaces de jeux physiquement séparés, clairement délimités. Il s’agit de privilégier les marquages au sol, des couleurs au sol sur tout l’espace (éviter les simples lignes), les rondins de bois en guise de délimitation ou éventuellement des barrières. Cette délimitation plus claire des espaces contribue également à réduire le niveau sonore du préau et l’anxiété des élèves5.

Plus de végétation et d’espaces verts

Finalement, les zones vertes – non spécifiques aux sports, sont essentielles et représentent de vrais leviers pour réduire les inégalités de genre. Les enfants apprécient et investissent davantage une pelouse qui se présente comme un parc, non-linéaire, contenant des arbres, des buissons et des zones d’ombre – des préférences également relevées également chez les enfants lausannois. Ce type de parc est préférable à une pelouse rectangulaire, construite pour le sport. 

Les enfants ont également témoigné dans Pousses Urbaines qu’ils apprécient particulièrement la diversité de la végétation, à la fois pour avoir un joli préau autant que pour s’y cacher, y passer, créer des passages secrets ou des raccourcis.

En ce sens, une diversité de revêtements, de mobiliers, de textures et de couleurs doit être le maître-mot. Elle permettra de susciter une multitude d’activités et d’interactions, et sollicitera les compétences de créativité et d’imagination chez les enfants qui devront alors apprendre à s’approprier ces espaces – plus petits, mais plus nombreux. 

4. Se baser sur les expertises précédemment développées  

De nombreuses recherches se sont précédemment penchées sur la question du genre dans les préaux et la manière d’aménager ceux-ci pour les rendre plus égalitaires. L’expérience et l’expertise ainsi développées doivent également permettre aux établissements locaux de s’appuyer sur ces pistes concrètes et documentées par la littérature scientifique. 

Une étude a notamment montré que les facteurs les plus importants pour un préau égalitaire étaient les suivants : la variété des installations, l’accessibilité du préau, la taille des espaces (petits de préférence), des espaces désignés, des espaces verts, un marquage des aires de jeu (au sol, barrières, poteaux, etc.), des installations de jeux actifs, des installations sportives, des caisses de jeux et des enceintes pour la musique. 

Les principales recommandations qui en découlent sont les suivantes3 :

  • Offrir une diversité d’installations (voir ci-dessus)
  • Privilégier des installations qui encouragent les jeux non-compétitifs et les jeux sociaux 
    A l’image des espaces, de la végétation et des revêtements, la diversité des installations est essentielle. En ce sens, les trampolines, les parcours d’obstacles, les espaces de danse et les installations de gymnastiques peuvent favoriser les jeux non-compétitifs et prosociaux. Les activités de grimpe sur des surfaces stables et instables sont appréciées des élèves et particulièrement des filles. Elles préfèrent ces activités qui diffèrent des installations sportives communes dans les préaux. Ces aménagements favorisent la mobilité des élèves, leur créativité et imagination, ainsi que les jeux collaboratifs. Ils encouragent également le développement de l’enfant, la cohésion sociale et le sentiment d’appartenance, et permettent de réduire les événements d’intimidation ou de harcèlement. 
  • Développer des espaces avec des matériaux naturels
    Les enfants y sont plus actifs et créatifs. Il peut s’agir de copeaux de bois, de souches, de roches, de petits monticules ou de rondins. Au contraire, l’asphalte ou des terrains de jeux traditionnels favorisent l’ennui, l’agressivité et les jeux compétitifs. 
  • Offrir une diversité d’équipements de jeu
    Les cordes à sauter, les balles, jeux de raquettes et craies permettent aux filles de s’approprier l’espace et de le marquer. Elles apprécient particulièrement la variation des activités et des équipements proposés. Il en est de même pour les équipements fixes. Ensemble, ils contribuent à favoriser l’activité des filles et des garçons, quelles que soient les tranches d’âge et augmente la sociabilité entre enfants. L’intérêt principal de ces jeux est qu’ils conviennent mieux aux filles, sans défavoriser les garçons3
  • Permettre et favoriser l’utilisation de la musique 
    La musique permet d’encourager certaines activités dans le préau et de créer une atmosphère agréable. Elle permet de réduire les perturbations externes des autres enfants et du bruit. 
  • Pour les filles plus âgées : placer les installations près des points d’entrée et de sortie des bâtiments scolaires 

5. Commencer tout projet par une démarche participative 

Cette observation émerge à la fois des recherches menées dans le cadre de Préaux en tous genres et des ateliers de Pousses Urbaines, avec les enfants et les adultes. Entamer une démarche participative, c’est travailler avec une diversité d’actrices et acteurs concerné·es et engagé·es dans les préaux, selon leur activité, leur âge, leur lieu d’habitation ou leur fonction sociale. Il s’agit également de rassembler les personnes qui ont une expertise de cet espace, par leur expérience quotidienne.

En somme, la participation ne se cantonne pas à la consultation. Elle vise à travailler sur trois axes complémentaires mais néanmoins essentiels : prendre part, recevoir une part (bénéficier) et apporter une part (contribuer)6. En ayant en tête une démarche participative sur le long terme pour l’aménagement et/ou réaménagement des préaux, cette conception de la participation en trois étapes devient alors plus aisée à mettre en place. 

De plus, la démarche de participation doit s’accompagner d’une observation fine de l’appropriation de l’espace actuel, des utilisations et des détournements qui en sont faits par les enfants. En effet, les pratiques sociales sont profondément incorporées et ne peuvent pas toujours faire l’objet d’une verbalisation claire et explicite. De plus, comme mentionné plus haut, les acteur·ices ne sont pas toujours conscient·es des effets de genre qu’ils produisent, reproduisent et parfois amplifient. Une observation fine et rigoureuse participe alors à ce biais et permet de visibiliser davantage la diversité des pratiques sociales du préau et les inégalités qui y prennent place. 

Finalement, il faudrait veiller à consulter une population représentative des usager·ères de préaux : 

  • Les enfants : des filles et des garçons, de différentes tranches d’âge – y compris préscolaires, avec différentes origines sociales et culturelles
  • Les jeunes : des filles et des garçons, de différentes tranches d’âge, de l’établissement et/ou du quartier, avec différentes origines sociales et culturelles
  • Les parents : des mères et des pères, avec différentes origines sociales et culturelles
  • Les professionnel·les : des enseignant·es et doyen·nes- de différents degrés scolaires, les directions d’établissement, les éducateur·ices et directions d’APEMS, les équipes professionnelles du parascolaire, les éducateur·ices de crèches, les équipes des devoirs accompagnés (DAC), les équipes des maisons de quartier, les équipes de conciergerie avec les équipes de nettoyage. 
  • Les habitant·es du quartier : de différentes tranches d’âges, avec différentes origines sociales et culturelles, qui ont différentes utilisations du préau 
  • Les potentielles associations et organisations qui utilisent le préau 
  • Les services administratifs intervenant dans les préaux : SEP, SPADOM, responsables techniques du SEP



Références bibliographiques

1Duru-Bellat, M. (2017). La tyrannie du genre. Presses de Sciences Po.

2RTS, 5 octobre 2021, « Yverdon les bain réaménage les préaux de ses écoles pour gommer le genre ». 

3Pawlowski, C. S., Veitch, J., Andersen, H. B., & Ridgers, N. D. (2019). Designing activating schoolyards: seen from the girls’ viewpoint. International journal of environmental research and public health16(19), 3508, p.10.

4Christiansen, L.B.; Toftager, M.; Pawlowski, C.S.; Andersen, H.B.; Ersboll, A.K.; Troelsen, J. Schoolyard upgrade in a randomized controlled study design—How are school interventions associated with adolescents’ 

5Raney, M. A., Daniel, E., & Jack, N. (2023). Impact of urban schoolyard play zone diversity and nature-based design features on unstructured recess play behaviors. Landscape and Urban Planning230, 104632.

6Zask, J. (2011). Participer. Essai sur les formes démocratiques de la participation. Lormont: Le Bord de l’eau.