Par Maya Cherix
Présentation de la recherche
Les préaux scolaires, principalement habités par les élèves lors des moments de récréation, sont des lieux où les enfants peuvent davantage choisir leurs activités et ainsi acquérir une certaine autonomie. La récréation est ainsi un moment privilégié pour l’observer, alors que la présence et l’implication d’adultes s’estompent.
La cour d’école est donc un lieu où les enfants apprennent à se rencontrer. Des relations – amicales ou amoureuses – peuvent se construire. Bien que les filles et les garçons occupent généralement des espaces distincts et réalisent des activités différentes, il n’est pas rare de les voir entrer en interaction à l’aide de jeux mixtes – comme la course poursuite, également appelée « les garçons attrapent les filles », ou l’inverse. De plus, les histoires d’amour sont belles et bien présentes chez les enfants, bien que parfois déguisées. Fort de ce constat, je me suis penchée sur la façon dont les enfants de 8 à 10 ans interagissent dans la cour ainsi que la manière dont ils se représentent les sentiments de l’amitié et de l’amour et agissent en conséquence.
Cette recherche s’est effectuée à l’aide d’observations répétées dans deux préaux scolaires ainsi qu’une trentaine d’entretiens semi-directifs avec des élèves en utilisant un format adapté aux enfants.
Questions de recherche
- Quels sont les modes d’interactions des enfants dans la cour d’école ?
- Comment les enfants perçoivent et distinguent-ils les sentiments de l’amitié et de l’amour ?
- De quelle manière cette perception se manifeste et se performe-t-elle dans la cour ?
Résultats
Les enfants sont les expert·es de leur préau scolaire. Elles et ils ont été nombreux·euses à me partager leur opinion et leur expérience de l’espace, des infrastructures ainsi que des dynamiques intergroupes prenant place dans la cour. Iels n’ont pas hésité à me partager leur mécontentement et occasionnellement leur volonté de faire changer les choses.
La ségrégation de genre dans la cour d’école – principalement liée au choix des activités pratiquées, entraîne une répartition inégale de l’espace et une importante domination masculine. Les enfants s’approprient activement l’espace du préau et créent des activités avec et à partir de ce qui les entoure. Il y a donc toujours un écart entre ce qui est créé pour eux et leur manière d’utiliser cet espace. Les endroits calmes, parfois cachés et à l’abri des regards – des autres enfants, des adultes et enseignant·es présent·es, leur permettent de développer des jeux de fiction – en particulier par les filles et les garçons s’éloignant de la masculinité dominante. Ces activités nécessitent du calme pour qu’une histoire puisse se construire. Elles participent alors à la création de liens amicaux et/ou amoureux entre les enfants, leur permettant de se rencontrer, se raconter des secrets ou encore de créer des histoires.
Durant la récréation, les enseignant·es se focalisent sur une surveillance centrée sur la sécurité. Iels privilégieront un lieu leur permettant d’avoir une vue d’ensemble sur chaque recoin de la cour tout en restant à l’écart des activités des enfants afin de profiter d’un temps de pause pour elles·eux aussi. Les actions des enseignant.es pour rendre la cour plus égalitaire ont donc généralement lieu à la suite de plaintes de la part des enfants. En effet, les enseignant·es interviennent directement lorsqu’il y a « bagarre » ou débordements liés à la sécurité de chacun·es, mais auront tendance à agir sur les inégalités de genre uniquement si ces dernières leur sont rapportées par les enfants.
Pistes de réflexion et d’action
1. Partir de l’expérience et l’expertise des enfants et reconnaître leur capacité à être des agents actifs de leur vie
Ils sont les acteurs principaux des préaux. En ce sens, ils sont à même de s’exprimer sur la répartition de l’espace, les interactions, leur mécontentement ou encore les solutions envisagées. S’ils en sont capables, les adultes doivent à leur tour se montrer garants de les inclure dans les réflexions liées aux préaux scolaires.
2. Privilégier des aménagements variés et neutres
Pour minimiser une utilisation genrée des préaux, il est préférable de choisir des installations différentes de ce que les enfants connaissent en dehors de l’école. Il faudrait favoriser des plots, des troncs en bois ou encore des marquages abstraits au sol (liste non-exhaustive, voir dépliant 1 pour d’autres pistes). La diversité des aménagements stimule également l’imagination des enfants pour de nouveaux jeux, notamment de fiction, au-delà de l’éternel match de foot souvent créateur de tensions – entre garçons et entre filles et garçons.
3. Préserver des endroits calmes, isolés et à l’abri des regards
Les enfants apprécient particulièrement ces endroits pour jouer à des jeux de fiction, discuter ou encore se raconter des secrets, notamment concernant les histoires d’amour qui sont généralement synonymes de gêne à ces âges-là. Toustes ne veulent pas toujours participer à des activités structurées ou animées. Les coins plus intimes, calmes et cachés – loin du regard des autres enfants et des adultes (comme les cabanes ou les espaces végétalisés) participent alors à la création de liens amicaux et/ou amoureux entre les enfants et au développement de cultures enfantines.
4. Organiser un partage plus égalitaire des espaces et des activités de la cour
Il s’agit ici de définir, avec les enfants, des règles explicites de délimitation de l’espace pour certaines activités afin que le centre de la cour et les autres espaces les plus désirés soient accessibles à toutes et tous. Les règles peuvent changer selon le jour de la semaine, la période de l’année ou la météo. En revanche, réfléchir à partir des activités genrées n’est pas la solution : attribuer, par exemple, un coin foot pour les garçons et autre pour les filles peut renforcer l’idée d’une différence et d’une distance fondamentales entre elles et eux et mettre à l’écart les garçons ne correspondant pas à la masculinité dominante.
5. Favoriser la proximité des adultes avec les enfants lors de la récréation
Lorsque la surveillance se fait à l’écart, surplombant la cour, les enfants ont tendance à s’adresser aux enseigant·es uniquement en cas de plaintes ou réclamations pressantes. Une « passivité » de la part des adultes participe à l’intériorisation de la domination masculine, aux inégalités de genre et au renforcement de certains stéréotypes. Privilégier les échanges et une plus grande proximité favorisera le dialogue et permettra d’identifier plus finement les inégalités de genre. Par conséquent, les interventions seront d’autant plus pertinentes et ciblées en termes de discriminations. Cela ne doit cependant pas limiter la liberté que les enfants expérimentent lors de ce moment.
Références bibliographiques
1Rayou, P. 2001. Préface. In La cour de récréation: Pour une anthropologie de l’enfance. Presses universitaires de Rennes.
2Delalande, J. (2005). La cour d’école : un lieu commun remarquable. Recherches familiales, 2, 25-36.
3Zaidman, C. (2007), Jeux de filles, jeux de garçons, Les cahiers du CEDREF, 15, 283-292.
4Ruel, S. (2009), Le sentiment amoureux chez les filles et les garçons entre 6 et 11 ans : son implication dans le mode de construction identitaire de genre, Recherches en éducation. [En ligne], mis en ligne le 01 juin 2009, consulté le 13 avril 2022.
5Pasquier, G. (2015). La cour de récréation au prisme du genre, lieu de transformation des responsabilités des enseignant-e-s à l’école primaire. Revue des sciences de l’éducation, 41(1), 91–114.