N.B. : Cet ouvrage prendra la suite des journées d’étude organisées sous le même titre par le Pôle de narratologie transmédiale, transculturelle et transhistorique (NaTrans) à La Grange, le Centre Arts et Sciences de l’Université de Lausanne. Ces journées ont eu lieu les 3 et 4 octobre 2024 dans le cadre d’une semaine de programmation artistique et scientifique intitulée La Mixtape du Multivers.
Cadrage des articles
L’ouvrage en préparation propose de réfléchir à deux phénomènes narratifs distincts, qui cependant – c’est le pari que nous voulons tenter – peuvent être pensés ensemble et gagnent à l’être : d’une part les fictions multiverselles, dont le monde représenté consiste en plusieurs univers ou dimensions parallèles, p.ex. la trilogie romanesque His Dark Materials (À la croisée des mondes, 1995-2000) de Philip Pullman ou le film Everything Everywhere All At Once (Tout, partout, tout à la fois, 2022) de Dan Kwan et Daniel Scheinert ; d’autre part les fictions multiversions, qui ne représentent aucun multivers et ne ressortissent que parfois aux genres de l’imaginaire (fantasy, science-fiction), mais consistent en plusieurs versions différentes et successives d’un même récit, comme le film Lola rennt (Cours, Lola, cours, 1998) de Tom Tykwer, ou les récits interactifs comme les « Livres dont vous êtes le héros ». On pourrait encore ajouter à ce dernier ensemble les œuvres suggérant plus ou moins explicitement la possibilité d’autres versions (sans toutefois les réaliser) ou existant de facto en plusieurs versions concurrentes en raison d’une adaptation ultérieure interventionniste ou d’une récriture : sans faire œuvre de la coexistence ou de la concurrence entre plusieurs versions d’un même récit, elles y font écho ou se confrontent incidemment à ce phénomène.
Ces ensembles partagent en effet un même principe, qui consiste dans l’existence avérée de plusieurs versions d’un monde fictionnel. Cette existence est tantôt mise au profit de la création d’une intrigue unique (fictions multiverselles), tantôt mise au profit du développement d’une tension métanarrative (fictions multiversions). Dans les deux cas, ces fictions interrogent plus ou moins directement les possibilités de l’imagination et les choix impliqués dans la construction d’un monde et d’une intrigue, en même temps qu’elles attirent l’attention sur des principes comme le hasard ou la causalité. Elles mettent au centre de leur poétique le « what if ? » propre à la science-fiction, mais aussi à la fiction dans son ensemble, voire à la pensée spéculative.
Partant de ce constat, cet ouvrage collectif a pour objectif de réfléchir à ce que nous appellerons la poétique des mondes fictionnels parallèles. Plusieurs types de corpus peuvent être interrogés.
Poétiques intermédiaires (réalités parallèles)
À l’intersection de ces deux groupes se trouvent des œuvres qui, comme la pièce Constellations (2012) de Nick Payne, combinent les procédés du multivers et de la multiversion : le dialogue entre les deux personnages, initié au moment de leur rencontre, connait autant de ruptures de continuité que de « changement[s] dans l’univers [a change in the universe] » et dans la relation des protagonistes, si bien que le dialogue prend des tournures inattendues. La fiction multiverselle rejoint ici la fiction multiversion : quoique subsumées dans un même multivers, les réalités parallèles de Constellations sont présentées à la manière de versions concurrentes dont la succession organise la progression narrative. Réciproquement, plusieurs récits multiversions font écho à l’imaginaire sinon du multivers, au moins d’autres galaxies, comme la pièce Trois versions de la vie (2000) de Yasmina Reza, où il est question d’astrophysique à plusieurs reprises, comme pour suggérer la possible existence des trois « versions » successives au sein d’un univers fictionnel multiple.
Entre subordination et juxtaposition des versions, quels sont les gestes de composition des poétiques des réalités parallèles ? Comment parviennent-elles à créer et maintenir une tension qui traverse toute l’œuvre ? Que permettent-elles de raconter ? Et en quoi se distinguent-elles d’autres poétiques à mondes multiples comme celles des contes de fée ou des récits de rêve, où les univers représentés se distinguent nettement les uns des autres sur le plan de la physique ou de l’ontologie ?
Poétiques paradoxales (réalités indistinctes)
Il arrive que la pluralité des versions possibles s’incarne dans un seul et même récit, souvent par l’intermédiaire de la prolifération assumée de contradictions, comme dans la pièce Traps (Pièges, 1977) de Caryl Churchill, où certains événements sont indécidables – ils ont lieu, puis ne semblent pas avoir eu lieu, et réciproquement –, ou de la duplication de certains éléments du monde représenté, comme dans le roman L’Anomalie (2020) d’Hervé Le Tellier, où certains personnages sont dédoublés. Embrassant les impossibilités logiques ou référentielles, ces récits se construisent au gré de paradoxes liés à la coexistence de plusieurs versions pourtant incompatibles d’un même élément fictionnel.
Entre cohésion et incohérence des versions représentées, comment ces récits mettent-ils en œuvre ces paradoxes narratifs ? À quoi servent-ils dans l’économie du récit et quels imaginaires convoquent-ils ? Que permettent-ils de raconter ? En quoi se distinguent-ils d’autres paradoxes narratifs comme ceux générés par les voyages dans le temps ?
Poétique des possibles (réalités virtuelles)
Depuis « El Jardin de senderos que se bifurcan » (« Le jardin aux sentiers qui bifurquent », 1948) de Jorge Luis Borges au moins, qui parle d’un écrivain incapable d’arrêter ses choix et donc d’écrire, jusqu’à 4 3 2 1 (2017) de Paul Auster, qui mêle l’autobiographie du narrateur au récit de trois doubles fictionnels ayant connu d’autres destins, de nombreux récits tirent parti – y compris sur un mode déceptif – d’une mise en parallèle et en concurrence des virtualités d’un récit. Contrairement aux œuvres de la catégorie précédente, ces récits ne s’installent pas dans le paradoxe, mais attirent l’attention sur les possibles de l’écriture et, plus largement, de la création artistique, autant que sur certains principes de la réalisation d’une œuvre narrative.
Entre possibilité et contrefactualité de versions virtuelles, à quel point les récits construits autour de l’évocation ou de la narration de versions alternatives gagnent-ils à être intégrés à une poétique des mondes fictionnels parallèles ? Comment ces versions virtuelles du monde représenté sont-elles d’ailleurs présentées par rapport à ce dernier ? Invitent-elles à reconsidérer son statut ontologique ? Que disent-elles du réel, mais aussi du hasard, de la nécessité, de la causalité ou encore, à plusieurs niveaux, du processus de création artistique ?
Modalités de participation
Merci d’envoyer un article complet à romain.bionda@unil.ch et aurelien.maignant@unil.ch avant le 14 mars 2025, ainsi qu’une brève biobibliographie. Les articles ne pourront pas excéder 35000 signes, espaces et notes comprises. N’hésitez pas à prendre contact avec nous avant la rédaction pour nous assurer de la compatibilité du projet d’article avec le volume en cours de conception.
Les consignes de rédaction à suivre sont celles de la revue Fabula-LhT : https://www.fabula.org/lht/index.php?id=530.
L’ouvrage collectif paraîtra en open access et en version imprimée chez un éditeur à confirmer.