La neige, dans ses dimensions optiques, chromatiques et plastiques, dans ses états instables et variables, constitue l’un des enjeux centraux de l’esthétique contemporaine. À partir d’elle s’est pensée une limite entre un imaginaire de l’évanescence et la matérialité du support, la transitivité de la représentation et la consistance de l’œuvre, le signe et le non-signe.
Élément intermédiaire par excellence, la neige emblématise dès le tournant du XXe siècle un nouvel ut pictura poesis où le discours poétique déploie des aspects intermédiaux de sa réalité: la surface lumineuse de la page, l’épaisseur de l’empreinte typographique, le filigrane du papier, le relief feuilleté du livre scandé et sculpté par son dépliement.
Ce volume dirigé par Philippe Kaenel (Section d’histoire de l’art) et Dominique Kunz Westerhoff (Section de français) fait l’historiographie des esthétiques de la neige, de la quête d’un art pur, affranchi de toute contrainte illustrative, littéraire, voire représentative, à la construction de formes expressives où se réinvente un langage-espace. Y sont explorés des stratégies de production et d’exposition des livres et des images, des tractations éditoriales autour de l’illustration des œuvres poétiques, des conflits entre chromophobie et chromatisme dans l’impression de l’estampe, des techniques de fabrication du livre d’artiste. Au cœur du volume, le calepin d’artiste réalisé par la plasticienne Catherine Bolle, Inhumaine neige lunel, concrétise à son tour l’imaginaire poétique de la neige dans la matérialité esthétique du livre.
Philippe Kaenel, Dominique Kunz Westerhoff (dir.), Neige, blanc, papier: poésie et arts visuels à l’âge contemporain, Genève, MétisPresses, 2012.