Argumentaire

Ce colloque marque l’aboutissement du projet de recherche « Pour une théorie du récit au service de l’enseignement » (FNS n° 197612). Il abordera les rapports entre enseignement et narratologie, en envisageant la théorie narrative comme une pourvoyeuse d’outils pour l’analyse et la production de récits dans la classe de français. S’inscrivant dans le sillage d’une journée d’étude qui avait permis de retracer les processus de scolarisation de la narratologie et de tirer un premier bilan de ses usages scolaires actuels (cf. Turin, Mahieu & Baroni 2023), le présent colloque entend s’orienter vers de nouveaux horizons. En effet, si les disciplines scolaires orientées sur l’apprentissage de la langue première restent un lieu privilégié pour se familiariser avec les mécanismes des « textes qui racontent », les enquêtes de terrain tendent à montrer que l’outillage mobilisé dans les classes de français n’a guère évolué en un demi-siècle (voir Mahieu 2023 ; Denizot 2023), alors que la théorie du récit, elle, n’a jamais cessé d’évoluer, profitant de apports de la linguistique textuelle et de la stylistique, des sciences cognitives et de la rhétorique, de la sociologie et de l’éthique.

Face à ce constat, il s’agit de s’intéresser à de nouvelles ressources théoriques mobilisables pour l’enseignement du français. Les modèles élaborés au cours des dernières décennies apparaissent en effet plus sensibles à la matérialisation linguistique ou médiatique des phénomènes narratifs, aux expériences concrètes des sujets lecteurs ainsi qu’à la rhétorique des discours et à leur ancrage social. De ce fait, les outils narratologiques actuels semblent à même de répondre aux défis de l’enseignement du français aujourd’hui : au-delà des dérives technicistes et applicationnistes dénoncées par les didacticien·ne·s depuis une trentaine d’années, ils permettent une meilleure articulation entre analyse littéraire et apprentissage de la langue, entre étayage argumentatif et expérience esthétique ou entre description formelle et évaluation éthique ou esthétique.

En invitant des théoricien·ne·s du récit qui se sont intéressé·e·s aux prolongements didactiques des approches théoriques qu’ils et elles ont contribué à façonner ou à promouvoir, le premier volet du colloque mettra l’accent sur quelques notions actuellement plus ou moins exclues de la culture scolaire, mais susceptibles d’enrichir l’enseignement du français. On passera notamment en revue des notions rarement mobilisées telles que la narration non fiable, la posture auctoriale, la métalepse, les textes possibles ou le « relatable ». On reviendra également sur quelques notions classiques telles que le personnage, le temps, le point de vue ou le narrateur, en les revisitant sous l’angle des approches linguistiques et stylistiques récentes.

Les théoricien·ne·s du récit, quel que soit leur ancrage disciplinaire, seront invité·e·s non seulement à expliciter la valeur éducative de leurs outils pour la classe de français, mais également à envisager les conditions susceptibles de favoriser leur scolarisation. Dans quelles progressions inscrire ces notions ? Quelle « élaboration didactique » (Halté 1992 : 121-122) opérer pour les rendre efficaces ? Quels usages scolaires ouvrent-ils pour l’analyse et la production de récits ? Ce panorama permettra pour le moins d’opérer un élargissement et une dénaturalisation de la boite à outils telle qu’elle s’est enracinée dans les pratiques scolaires.

Susan S. Lanser estime que la « narratologie est trop importante pour être laissée aux narratologues » (2019 : 14). Suivant ce principe salutaire, il s’agira dans un deuxième volet de s’écarter résolument des approches hypothético-déductives, afin d’examiner à nouveaux frais les terminologies et concepts narratologiques du point de vue de leurs usages scolaires, des niveaux primaires jusqu’au secondaire 2. Il s’agira d’adopter une démarche « implicationniste » (Canvat 2000 : 64), consistant à se fonder sur les pratiques scolaires pour interroger les savoirs de référence et les inciter à se renouveler. Ce second volet invitera par conséquent des formateur·rices et des praticien·nes à évoquer la place et les usages de la boite à outils narratologique dans l’enseignement du français aux différents degrés du cursus scolaire.

Ces réflexions seront accompagnées d’une table ronde donnant la parole à quatre didacticien·ne·s du français (J.-F. Boutin, N. Denizot, J.-L. Dufays, C. Gabathuler), qui évoqueront les défis et les enjeux de la narratologie dans la culture scolaire, en retissant des liens entre les perspectives ouvertes par les deux journées du colloque.

Contact : Pour toute information complémentaire, écrire à raphael.baroni@unil.ch.