Université de Lausanne, 6-7 mars
Pour une théorie du récit impliquée :
outils narratologiques et enseignement du français
Organisé par R. Baroni, G. Turin & V. Depallens
Projet FNS n° 197612, « Pour une théorie du récit au service de l’enseignement ».
Ce colloque abordera les rapports entre enseignement et narratologie contemporaine, en envisageant cette dernière comme une pourvoyeuse potentielle d’outils pour l’analyse et la production de récits dans la classe de français, à tous les niveaux de la scolarité. Bien que la théorie du récit ait perdu en visibilité dans la recherche académique francophone, notamment en raison d’un défaut d’ancrage dans une discipline clairement identifiée, l’usage de ses concepts n’a jamais cessé de s’étendre, au point où ce domaine de recherche est parfois confondu avec la boite à outils dont il a accouché (Dawson 2017 ; Kreiswith 1992). Dans un monde que l’on pourrait qualifier de « mythocratie » (Citton 2010), où l’on célèbre, d’une part, la capacité des récits à façonner notre réalité (Bruner 1991) ou nos identités (Ricœur 1990) et où l’on s’inquiète, d’autre part, de ses dérives politiques et commerciales (Brooks 2022 ; Mäkelä et al. 2021), développer à l’école les compétences narratives des citoyen·ne·s semble plus nécessaire que jamais, que ce soit pour maitriser les codes de la narrativité ou pour en critiquer les usages (Baroni 2016).
Les disciplines scolaires orientées sur l’apprentissage de la langue première, qui incluent l’analyse et la production de « textes qui racontent » – entre autres réputés littéraires (Ronveaux & Schneuwly 2018) – restent le lieu privilégié pour l’apprentissage des mécanismes narratifs (Baroni 2017), mais les enquêtes de terrain tendant à montrer que l’outillage narratologique n’a guère évolué en un demi-siècle (Mahieu 2023 ; Denizot 2023), alors que de nouvelles approches ouvrent des ressources inédites pour l’enseignement : les modèles émergents sont en effet plus sensibles que jamais à la matérialisation linguistique ou médiatique des phénomènes, aux expériences concrètes des lecteurs ainsi qu’à la rhétorique des discours narratifs. Si une précédente journée d’étude avait permis de retracer les processus de « scolarisation » de la narratologie (Denizot 2023 ; Daunay 2023) et de tirer un bilan de ses enjeux passés et actuels dans la culture scolaire (voir Turin, Mahieu & Baroni 2023 ; Védrines & Vuillet 2023), le présent colloque entend s’orienter vers de nouveau horizons, qui seront abordés en deux phases distinctes.
En invitant des théoricien·nes du récit qui se sont intéressé aux prolongements didactiques des approches théoriques qu’ils et elles ont contribué à façonner ou à promouvoir, le premier volet du colloque tentera de mettre l’accent sur quelques notions spécifiques, actuellement plus ou moins exclues de la culture scolaire mais qui seraient susceptibles d’enrichir l’enseignement du français. Nous les inviterons non seulement à expliciter la valeur la valeur potentielle de ces outils pour la classe, mais aussi à envisager les conditions susceptibles de favoriser leur « scolarisation » (Denizot 2021). Il s’agira d’offrir, par ce panorama original, un élargissement et une dénaturalisation de la boite à outil telle qu’elle s’est enracinée dans la culture scolaire, laquelle reste largement fidèle à quelques typologies structuralistes vieilles de plus d’un demi-siècle (Mahieu 2023 ; Denizot 2023).
Susan S. Lanser estime que la « narratologie est trop importante pour être laissée aux narratologues » (2019 : 14). Suivant ce principe salutaire, il s’agira dans un deuxième volet de s’écarter résolument des approches hypothético-déductives, afin d’examiner à nouveaux frais les terminologies et concepts narratologiques du point de vue de leurs usages scolaires, des degrés primaires jusqu’au secondaire 2. Pour compléter le panorama de propositions théoriques, forcément partiel et partial, il s’agira d’adopter une démarche « implicationniste » (Canvat 2000 : 64), laquelle consiste à se fonder sur les pratiques scolaires pour interroger les savoirs de référence et les inciter à se renouveler. Le second volet invitera par conséquent des formateur·ices et des praticien·es à évoquer la place et les usages de la boite à outils narratologique dans l’enseignement du français au différents degrés du cursus scolaire. Ces témoignages seront accompagnés d’une table ronde donnant la parole à des didacticien·nes du français, qui évoqueront les défis et les enjeux de la narratologie dans la culture scolaire, en retissant des liens entre les perspectives ouvertes par les deux journées du colloque. Il s’agira par cette synthèse d’ouvrir un espace de dialogue entre les chercheur·euses qui ont fait évoluer la théorie du récit au cours des dernières décennies et les formateur·ices ou enseignant·es qui, tout en étant susceptibles de bénéficier de ces travaux, offrent également un lieu de mise à l’épreuve et de transformation des savoirs dont ils héritent.
Contact : Pour toute information complémentaire, écrire à raphael.baroni@unil.ch
Envoi des propositions : Pour assurer une cohérence maximale, l’appel à contribution est uniquement diffusé sur invitation. Les propositions de communication doivent être envoyées avant le 30 mai 2024.
Volet 1 : nouveaux outils narratologiques. Chaque communication sera focalisée sur une notion spécifique, choisie d’entente avec les organisateurs, en rapport avec le domaine de spécialisation du ou de la chercheur·euse. Elle devra débuter par une brève présentation de la notion et une synthèse des discussions théoriques et critiques qui l’entourent, en soulignant la manière dont elle représente une alternative à la narratologie traditionnellement enseignée. Afin de faciliter la scolarisation de la notion pour en faire en outil pour la classe, cette présentation synthétique devra déboucher sur une conceptualisation, impliquant des choix terminologiques et la formulation d’une définition claire et synthétique. Cette définition sera fournie sous la forme d’un encadré (comprenant éventuellement un schéma ou un tableau, afin de faciliter le processus de scolarisation). Le propos devra ensuite évoquer l’intérêt de cet outil-concept particulier pour l’analyse ou la production de récits en contexte scolaire, en s’appuyant sur la présentation de quelques exemples concrets. Il s’agira en particulier de se demander à quels objectifs d’apprentissage spécifiques associer l’enseignement ou le maniement de cet outil, à quel stade de la progression curriculaire il pourrait être introduit ou comment on pourrait évaluer sa maitrise.
Conférencier·ère·s : Jean-Michel Adam, Raphaël Baroni, Jérôme David, Arthur Brügger, Marc Escola, Vincent Jouve, Aurélien Maignant, Marc Marti, Jérôme Meizoz, Sylvie Patron, Alain Rabatel.
Volet 2 : la narratologie dans l’enseignement du français. Les communications s’inscrivant dans le second volet viseront en priorité à donner un aperçu concret des activités associées à la narratologie dans les différents degrés de la formation obligatoire et post-obligatoire en donnant la parole à des praticien·ne·s et des formateur·ice·s. Quels objectifs de formation impliquent l’usage de la narratologie ? Quels outils et quelles activités sont concrètement mobilisés pour analyser ou produire des « textes qui racontent » ? Par quels dispositifs les compétences narratives sont-elles développées ? Comment sont-elles évaluées ? Quelles ressources utilisent les enseignant·e·s (ouvrages de synthèse, manuels, fiches-maison) pour faciliter la transmission des concepts narratologiques ? Quels outils font encore défauts pour développer les compétences narratives des élèves ? À ces témoignages, qui mettront l’accent sur des expériences d’enseignement concrètes, s’ajoutera une table ronde dans laquelle des didacticien·ne·s du français tenteront de répondre aux enjeux soulevés par les deux volets du colloque, en confrontant les propositions des théoricien·ne·s aux réalités de la classe. Il s’agira d’évoquer les dynamiques institutionnelles favorisant ou s’opposant à la scolarisation d’une narratologie renouvelée et les logiques inhérentes aux pratiques narratologiques dans la culture scolaire, en évoquant, entre autres, les rapports entre cet outillage conceptuel et les objectifs de formation liés aux progressions curriculaires des élèves.
Conférencier·ère·s : Sandrine Aeby, Marie Béguin, Léo Bolliger, Jean-François Boutin, Glaïs Cordeiro, Nathalie Denizot, Vanessa Depallens, Claire Detcheverry, Jean-Louis Dufays, Sonya Florey, Chloé Gabathuler, Yves Renaud.
Format : Les présentations dureront 30 minutes et seront suivies de 15 minutes de discussion. La table ronde se tiendra à la fin du colloque et durera 90 minutes.
Actes du colloque : Une publication des actes du premier volet du colloque, centrée sur les propositions des théoricien·nes du récit, est prévue dans le n° 47 des Cahiers de narratologie (à paraitre en juillet 2025). Les communications de la seconde journée et de la table ronde feront l’objet d’une publication séparée dans une revue de didactique. Une version rédigée des communications du premier volet sera exigée un mois avant le début du colloque, afin de favoriser les discussions et d’assurer une publication dans les délais prévus. Les articles tirés des présentations du second volet pourront être fournis dans un délai de deux mois après le colloque.
Modalités : L’événement aura lieu du jeudi 6 au vendredi 7 mars 2025, alternativement sur le campus de l’Unil et sur le site de la Haute école pédagogique (HEP) du Canton de Vaud. Il n’y aura pas de finances d’inscriptions. Les frais des conférencier·ères étranger·ères seront couverts sur la base de trois nuits d’hôtel (du mercredi 5 mars au samedi 8 mars). Les titres de transport seront remboursés sur la base d’un trajet en train au tarif seconde classe qui devra être acheté à l’avance par les conférencier·ères. Aucun voyage en avion ne sera remboursé. Les repas de midi, ainsi qu’un repas le soir du jeudi 6 mars seront offerts à tous·tes les conférenci·ère·s. Les conférences se donneront en format hybride, une retransmission sous forme de visio-conférence accompagnant les communications en présentiel.
Soutien : Le financement est assuré par un subside du Fonds national suisse de la recherche scientifique : FNS, n° 197612, « Pour une théorie du récit au service de l’enseignement », dirigé par Raphaël Baroni, professeur associé à l’École de français langue étrangère de l’Université de Lausanne. L’équipe DiNarr (pour « didactique et narratologie ») est également composée de Vanessa Depallens (chargée de recherche FNS et enseignante au secondaire 1), Luc Mahieu (doctorant FNS) et Gaspard Turin (chargé de recherche FNS). Fiona Moreno (chargée de recherche à la HEP-Vaud) a également participé aux deux premières années du projet.
Numéro de revue piloté par le DiNarr
Turin, Gaspard, Luc Mahieu, Raphaël Baroni (dir.) (2023), « Les outils narratologiques pour l’enseignement du français : Bilan et perspective », Transpositio, n° 6.
URL : https://www.transpositio.org/categories/view/n-6-les-outils-narratologiques-pour-l-enseignement-du-francais-bilan-et-perspectives
Références
Baroni, Raphaël (2016) « L’empire de la narratologie contemporaine, ses défis et ses faiblesses », Questions de communication, n° 30, p. 219-239.
Brooks, Peter (2022), Seduced by Story. The Use and Abuse of Narrative, New York, New York Review Books.
Bruner, Jerome (1991), « The Narrative Construction of Reality », Critical Inquiry, n° 18, p. 1-21.
Canvat, Karl (2000), « Quels savoirs pour l’enseignement de la littérature ? Réflexions et propositions », in Enseigner la littérature, Toulouse, Delagrave / CRDP, 2000, p. 64.
Daunay, Bertrand (2023), « Du scepticisme à l’optimisme : penser les contenus d’enseignement », Transpositio, n° 6. URL : https://www.transpositio.org/articles/view/du-scepticisme-a-l-optimisme-penser-les-contenus-d-enseignement
Dawson, Paul (2017), « Delving into the Narratological “Toolbox”: Concepts and Categories in Narrative Theory », Style, n° 51 (2), p. 228-246.
Denizot, Nathalie (2023), « L’aventure scolaire de la narratologie », Transpositio, n° 6.
URL : https://www.transpositio.org/articles/view/l-aventure-scolaire-de-la-narratologie
Denizot, Nathalie (2021), « Transposition, scolarisation et culture scolaire : la question de la construction des savoirs scolaires », Pratiques, n° 189-190. DOI : https://doi.org/10.4000/pratiques.9470
Kreiswirth, Martin (1992), « Trusting the Tale: The Narrativist Turn in the Human Sciences », New Literary History, n° 23 (3), p. 629-657.
Lanser, Susan S. (2019), « The (Ir)Relevance of Narratology », in Relevance and Narrative Research, M. Chihaia & K. Rennhak (dir.), London, Lexington Books, p. 3-18.
Mahieu, Luc (2023), « La narratologie en classe de français : premiers résultats d’une enquête internaionale », Transpositio, n° 6. URL : https://www.transpositio.org/articles/view/la-narratologie-en-classe-de-francais-premiers-resultats-d-une-enquete-internationale
Mäkelä, Maria, Samuli Björninen, Laura Karttunen, Matias Nurminen, Juha Raipola & Tytti Rantanen (2021), « Dangers of Narrative: A Critical Approach to Narratives of Personal Experience in Contemporary Story Economy », Narrative, n° 29, p. 139-159.
Ronveaux, Christophe & Bernard Schneuwly (dir.) (2018), Lire des textes réputés littéraires : disciplination et sédimentation. Enquête au fil des degrés scolaires en Suisse romande, Berne, Peter Lang.
Védrines, Bruno & Yann Vuillet (2023), « La narratologie scolaire, objet de descriptions et de critiques », Transpositio, n° 6, URL : https://www.transpositio.org/articles/view/la-narratologie-scolaire-objet-de-descriptions-et-de-critiques