Nobody dies in dreamland

Nobody dies in dreamland

par la Cie Love Love Hou ! en collaboration avec la Cie Latitude45 / mise en scène Attilio Sandro Palese / Théâtre 2.21 à Lausanne / du 3 au 8 juin 2014 / Critiuqes par Cecilia Galindo, Lisa Tagliabue et Laura Pallù.


3 juin 2014

Le néant à la lueur des néons

© Attilio Sandro Palese

Quelque part entre la réalité et l’illusion, la dernière création d’Attilio Sandro Palese, Nobody Dies in Dreamland, invite le spectateur à suivre le parcours chaotique de deux couples à la recherche d’un paradis perdu, qu’ils ne trouveront pas. Un sujet grave traité avec humour et décalage, menant à un spectacle qui heurte par sa violence et réjouit par sa fantaisie.

« Viré » : le mot est écrit à la main, en lettres majuscules, sur une feuille de papier que Luca tient entre ses doigts. L’homme affiche sa nouvelle étiquette au public pendant quelques secondes puis la réduit en boule de papier et la jette à terre. Au même moment, à l’avant-scène, un personnage excentrique enclenche une petite radio portable pour diffuser une musique électronique rythmée ? Hey boy, hey girl des Chemical Brothers ? qui retentira à plusieurs reprises durant le spectacle. Un autre homme entre en scène, depuis le public. Il s’agit de Raphaël, en cravate et chaussures de ville. Il raconte ses vacances en Thaïlande dans un monologue effréné et s’applique à dire à quel point son séjour a été sublime. On découvre alors successivement l’histoire de Luca et Myriam, puis de Raphaël et Barbara, deux couples, deux échantillons de réalités sociales opposées dont les chemins se rejoignent en un point : une profonde solitude.

Luca et Myriam connaissent des difficultés financières. Depuis que Luca a perdu son emploi, il boit beaucoup et Myriam, caissière à plein temps, ne le supporte pas. Elle cherche de l’aide auprès du révérend Richie, un pasteur faux et peu recommandable dont le discours spirituel fait sourire tant il dérive vers le cruel et l’absurde. De l’autre côté, il y a Raphaël et Barbara, qui mènent une vie aisée. Raphaël a un job stable et un salaire suffisamment élevé pour payer la nouvelle poitrine de sa femme et s’offrir des vacances au soleil. Mais leur voyage en Thaïlande, conçue comme une terre de rêve, n’a pas été aussi merveilleux qu’il le prétend. Raphaël et Barbara ne se comprennent plus, ils suivent une thérapie de couple. Et au milieu de leur discorde, le « solaire » Dédé, patron de Raphaël et meilleur ami de Barbara, sème le trouble.

Pour la mise en scène de cette « comédie sur le vide », Attilio Sandro Palese, metteur en scène de la Cie Love Hou Hou ! depuis 2009, propose d’ancrer l’histoire dans un espace non-identifié où néons, guirlandes et projecteurs, enclenchés par les comédiens eux-mêmes, dessinent des ambiances particulières suggérant par exemple le bord d’une piscine, une boîte de nuit ou encore le rêve, voire le cauchemar. On ne cherche pas le réalisme, au contraire le spectateur est souvent appelé à garder une certaine distance vis-à-vis de l’illusion théâtrale, notamment lorsqu’un comédien crie « lumière ! » pour obtenir un changement d’éclairage sur le plateau, ou lorsqu’il scande une phrase d’une voix soutenue, syllabe après syllabe. Lorsque Raphaël et Barbara sont supposés faire bronzette au bord de l’eau, ils sont dans la pénombre et tout habillés, ce qui provoque également un effet de distanciation. Tout comme ce personnage qui meurt dans une scène, et se relève l’instant d’après sous nos yeux. Non, nobody dies in dreamland. Cet espace où se succèdent sans transition distincte dialogues et monologues semble donc être une pièce vide, une place de jeu dans laquelle peuvent se côtoyer réalisme et imaginaire.

Mais la question du réel confronté à l’illusion apparaît également dans le thème central de la pièce. Pour chaque couple, la recherche d’une vie meilleure est une priorité, mais il s’avère que leurs efforts les mènent vers un paradis artificiel et insatisfaisant. Ils se heurtent à des idéaux illusoires qu’ils confondent avec la réalité. La terre promise ressemble à une Thaïlande touristique pour les uns, à un Los Angeles boursouflé de néons pour les autres, soit des lieux où la réalité est fabriquée de toutes pièces. De plus, par certains aspects tels que la frénésie du révérend Richie, l’engagement pseudo-héroïque de Luca dans l’armée et la récurrence de termes en anglais, on aurait envie de situer l’intrigue dans une Amérique obsédée par la réussite sociale et gangrénée par des bonheurs artificiels, un contexte qui correspondrait aux personnalités confuses dépeintes dans la pièce.

Nobody Dies in Dreamland, ce n’est pas Disneyland. Le langage est parfois crû, les situations souvent sordides et le constat plutôt amer. Cependant, grâce à une écriture mêlant tragique et absurde et un jeu mené par cinq comédiens investis, on parvient à rire de ces misères humaines et on ne décroche pas du spectacle.

A voir et apprécier au Théâtre 2.21 jusqu’au 8 juin 2014.

3 juin 2014


3 juin 2014

Vérité douteuse. Masque d’apparence. Rien n’échappe au destin.

© Attilio Sandro Palese

Nobody dies in Dreamland est une tragédie shakespearienne contemporaine sur fond de néons froids, de musique techno et de personnages compliqués et comiques à la fois. Il y a deux histoires d’amour et deux drames. Une sorte de double Roméo et Juliette du XXIe siècle. D’un côté Luca et Myriam, pauvres, en quête constante de travail et d’argent. De l’autre, Raphaël et sa femme, un couple heureux, du moins en apparence, et aisé. Deux couples aux antipodes l’un de l’autre réunis par un destin cruel qui fait tout pour les séparer.

Raphaël prononce un monologue sans fin sur ses vacances en Thaïlande, la terre du kitsch et du fake. Il raconte le bien-être du soleil, de la mer, du dolce far niente. Aussitôt, toutes ces belles paroles, ces belles images, trop belles pour être vraies, font surgir en nous une question : ne cache-t-il pas par ce discours un profond malheur ? Raphaël n’est pas la personne qu’il veut montrer. Il se sent mal dans ses baskets. Il ne cesse pas de se comparer à ses collègues, notamment à Dédé, un vieux et très cher ami d’enfance de sa femme, qui est aussi, par malheur, son supérieur. Chez sa femme, le discours est le même. Elle est attirante, en pleine forme, sûre d’elle. Mais derrière cette apparence, elle aussi cache autre chose. Elle est à la recherche continuelle de l’approbation des autres. Elle craint le jugement d’autrui plus que la vieillesse et la mort. N’est-elle pas un exemple parfait de la société actuelle ? D’une société qui n’a plus de besoins vitaux réels, mais des exigences désormais plus profondes, destructives et dangereuses, comme la volonté de paraître toujours parfaits et heureux aux yeux des autres ? Raphaël et sa femme sont le cliché du couple de cette société superficielle fondée sur l’image.

En face, Luca et sa femme. Elle, forte, grande gueule, un peu punk, un peu garçon manqué. C’est elle qui ramène l’argent à la maison. Lui, alcoolique, sans travail, toujours en train de « glander », avec un désir constant d’aider sa famille et une toute aussi constante incapacité à le faire. Cela jusqu’au jour où il s’engage dans l’armée. Luca quitte sa famille avec la volonté de devenir enfin le mari et le père qu’il n’a jamais été. C’est à partir de ce moment que les choses empirent. Elle, désormais seule, s’appuie sur un prêtre (devrait-on plutôt l’appeler un Dieu, vu les airs qu’il se donne ?). Luca est confronté au même démon-dieu que sa chère Myriam. Le couple est mis à l’épreuve. Comme les deux amanti di Verona, évoqués et incarnés explicitement, ils doivent surmonter les épreuves de la vie pour pouvoir finalement être heureux et éviter de succomber aux machinations du prêtre.

Chez Luca, ainsi que chez Raphaël, la question du destin est primordiale. Ils sont plus proches que ce qui apparaît à première vue. Tous deux tentent désespérément d’échapper au destin, à ce dessein divin, qui peut être plus cruel qu’un couteau pointé dans le dos. Ils essaient de changer les choses, de s’enfuir du rôle qui leur a été attribué. Arriveront-ils à le faire ? Ou vont-ils céder face à une force plus grande qu’eux ?

Si vous êtes intrigués par les questions profondes qui sous-tendent ce spectacle, Nobody dies in Dreamland est à voir jusqu’à dimanche 8 juin au Théâtre 2.21 à Lausanne.

3 juin 2014


3 juin 2014

Les paradis artificiels

© Attilio Sandro Palese

Un couple de prolétaires rock and roll qui s’adresse à un prêtre militant fanatique et corrompu pour sauver son âme ; un autre couple, plus aisé, qui pratique une spiritualité new age, mais vit de matérialisme et d’apparences. Nobody dies in dreamland montre l’égarement des hommes entre réalité et croyances.

Dans une société scientifique comme la nôtre, basée sur la raison, il y a encore des choses que nous ne comprenons pas et qu’on ne peut pas contrôler. Souvent, face à son existence, l’homme se retrouve perdu sans savoir même les raisons de ce sentiment, comme les protagonistes de cette pièce.

Luca et Raphaël se retrouvent à un point de leur vie où ils doivent faire face aux incertitudes de leur destin. Luca peine à communiquer avec sa femme qui le méprise, et Raphaël n’arrive pas à trouver un boulot à cause de ses problèmes d’alcool. Puisque la raison ne peut pas les aider dans ce type de problèmes, les protagonistes cherchent de l’aide auprès d’une autorité extérieure, l’un chez un prêtre, l’autre chez un psychothérapeute : deux  sortes de guides spirituels. Mais cette recherche de spiritualité n’est-elle pas une façon d’échapper à la réalité, risquant de créer davantage de confusion ? Dans la pièce, en effet, Luca ne résout pas ses problèmes de couple en pratiquant de la méditation avec sa femme, ni en partant avec elle pour des vacances de rêve en Thaïlande. Quant à Raphaël, en travaillant pour le prêtre qui lui promet de sauver son âme, il ne gagne rien de bon pour sa famille. Tous deux se sont fait attirer par des paradis artificiels, qui tôt ou tard se révèlent trompeurs, et ils devront faire face à la réalité des faits. Il est difficile de savoir si nos actions sont vraiment déterminées par nous-mêmes ou si, quoi que l’on fasse, on reste seulement des marionnettes soumises à la volonté de forces plus puissantes que nous. La pièce semble suggérer que, dans le doute, il vaut la peine d’essayer de se rebeller.

Cette pièce n’aborde pas seulement le sujet de la spiritualité de l’époque contemporaine et des illusions. Il y est aussi question de fanatisme, de problèmes de couple, de problèmes du monde du travail, ainsi que des inégalités sociales. C’est une comédie engagée, dense et délirante, avec de longs dialogues. La vision critique de notre époque que propose Palese ne vous laissera pas indifférents. Son analyse de la société se distingue par une approche de fin psychologue de la nature humaine et d’attentif observateur des relations entre les hommes. La force de cette comédie satirique réside surtout dans le jeu dense et violent des comédiens, sans grande attention prêtée au décor qui, dans la salle du bar du théâtre 2.21, se limitait à des effets de lumières colorées permettant de donner plus ou moins d’intensité aux différents moments. La tension du spectacle était donc surtout véhiculée par le texte de la pièce. Malgré une mise-en-scène parfois excessivement brutale et délirante, un regard très lucide et véridique sur l’actualité.

3 juin 2014


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