Yvonne, ou les malheurs d’une limace

Par Jehanne Denogent

Une critique du spectacle :
Yvonne, Princesse de Bourgogne / d’après Witold Gombrowicz / conception et mise en scène Geneviève Guhl / du 27 février au 8 mars au Théâtre La Grange de Dorigny à Lausanne / du 8 au 11 avril à la Comédie de Genève / vendredi 2 mai à 20h15 au Théâtre Valère à Sion / du 9 au 10 mai au Théâtre Belle Usine à Fully / plus d’infos

© Isabelle Meister

Yvonne, Princesse de Bourgogne, propose un portrait noir et grinçant de la bienséance, de l’institutionnalisation des mœurs ainsi que le récit du destin malheureux d’une triste princesse.

Il était une fois un prince charmant, beau et intelligent. Arrivé à l’âge de raison, vint le moment où ses parents lui dirent gravement : « Fils, il est temps de trouver demoiselle à ton pied. ». Les attentes étaient grandes : la jeune fille devait avoir l’éclat du diamant, la peau de la pêche et la sensualité d’une nymphe. Le prince Philippe revint, victorieux et arrogant : il avait trouvé l’escarpin parfait, Yvonne. Sous les yeux horrifiés des royaux géniteurs, pourtant, non pas une naïade mais une guenon. Ou plutôt une limace. Etait-ce un crapaud ? Bref un laideron.

C’est un conte à l’envers qu’écrivit Witold Gombrowicz en 1938. Si l’amorce s’annonce bouffonne, la pièce est loin d’être destinée aux enfants et dément rapidement l’idée du prince comme héros – qui en aurait tous les traits identifiables pour le spectateur. Yvonne est le personnage déclencheur de l’action et pourtant c’est une présence en creux, à la fois indéfinie et silencieuse, trou noir qui fait tournoyer autour d’elle la cour, brillante et agitée. Son influence sur les membres de la cour n’en est pas moins grande. Sur ce corps immonde, libre à eux de projeter ce qu’ils désirent, ce qu’ils redoutent, ou de se projeter eux-mêmes. Yvonne prend une importance démesurée, celle que chacun lui donne. Elle devient tour à tour objet de fascination, de désir, de dégoût, de mémoire, de folie. À force de tourner autour d’elle, ils finiront en effet par perdre la tête.

Il fallait un jeu tout en subtilité pour incarner ce non-personnage, à la fois absent et présent. La comédienne Ilil Land-Boss y parvient avec adresse. Face à son impassibilité, les autres acteurs mènent leur recherche corporelle dans une autre direction. Ronds de jambes, bonds distingués et courbettes gracieuses forment la danse frénétique d’une aristocratie superficielle et enfermée dans des codes et comportements sociaux. La Compagnie « l’Ascenseur à Poissons », dans une ligne de théâtre engagé, s’empare de ce texte à contestation qui dénonce la tyrannie des canons de beauté. Comment l’altérité peut-elle survivre dans une société régie par les convenances ? Yvonne ne joue pas le rôle attendu et c’est terrifiant pour ce monde d’apparat. Par le choix de la distribution, Geneviève Guhl taquine, vient encore titiller le point sensible de la question des catégories : une femme joue le roi, un homme la reine. S’il y a bien un mec, selon nos modèles sociaux, ce serait le roi, mâle farci de testostérone. Présupposé démenti avec humour par cette distribution. C’est toute une interrogation sur les questions sociales qu’ouvre la metteure en scène dans cette pièce, amenée de manière intelligente, riche et pertinente.

Comment l’histoire devrait-elle finir, déjà ? Quelque part dans l’ennui, entre marmots joyeux et bonheur pailleté. Le texte de Gombrowicz et la compagnie « l’Ascenceur à Poissons » renvoient le conte de fée au loin dans son monde imaginaire et en proposent au contraire une version non pas sautillante mais noire, interrogatrice et dense.

 

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