Monsieur Chasse !

Monsieur Chasse !

de G. Feydeau / mise en scène Robert Sandoz / Théâtre du Jorat à Mézières / du 3 au 6 octobre 2013 / Critiques par Aitor Gosende, Cecilia Galindo et Suzanne Balharry.


3 octobre 2013

Ciel, quel Feydeau !

Le Théâtre du Jorat avait déjà accueilli en 2003 et 2004 deux spectacles de Feydeau. Le maître des vaudevilles semble bien être une valeur sûre et ce n’est pas ce Monsieur Chasse ! d’une efficacité redoutable qui nous fera dire le contraire. A l’aide d’un décor astucieux, Robert Sandoz, audacieux metteur en scène neuchâtelois, nous offre une comédie bien ficelée qui ne manquera pas de faire rire même les plus austères d’entre nous.

Si cette pièce est dotée d’une énergie extraordinaire, elle demande forcément à ce que les comédiens en aient tout autant. De ce point de vue-là, c’est simplement et parfaitement réussi. On remarquera notamment Samuel Churin, que Robert Sandoz avait déjà choisi pour jouer dans l’étonnant Océan mer, et qui incarne ici Duchotel, mari cocufiant puis cocufié. Laurence Iseli, impeccable en épouse bécasse et indécise. Enfin, Joan Mompart incarne Moricet, l’amant, mais quel amant ! Le romand d’origine catalane vole au-dessus de la scène, tantôt caché sous un lit, tantôt sautant par la fenêtre, il aura sans nul doute servi la performance la plus époustouflante de la soirée.

Après avoir relevé en 2002 le défi de La Servante d’Olivier Py, spectacle-fleuve d’une durée de 24h (!), guidé plus de quatre-vingts comédiens dans Océan mer en 2007, les deux pièces représentées au Théâtre du Passage à Neuchâtel, Robert Sandoz à pour le moins l’habitude des mises en scène grandioses et innovantes. Il ne déroge pas à la règle dans son dernier spectacle. Bien que les personnages soient seulement au nombre de six et que la pièce ne dure pas plus de deux heures, le neuchâtelois insuffle sa magie dans un décor bourré d’inventivité. L’armoire – cachette de l’amant, le lit – lieu du cocufiage, la fenêtre – échappatoire nocturne, tous les éléments chers au vaudeville sont présents et servent formidablement le comique de la pièce.

Ce Monsieur Chasse !, c’est un vaudeville classique, c’est une équipe de comédiens fabuleux, c’est un metteur en scène inspiré, c’est deux heures de rire et de bonheur. Le Théâtre du Jorat accueillera cette excellente prestation encore deux soirs, le vendredi et le dimanche. Allez-y les yeux fermés, c’est tout ce qu’on aime et même un peu plus.

3 octobre 2013


3 octobre 2013

Monsieur chasse, Madame se fâche, l’amant tombe la chemise… et le pantalon !

La dernière création du metteur en scène neuchâtelois Robert Sandoz, lecture originale et dynamique du vaudeville de Feydeau Monsieur chasse !, a fait trembler les murs du Théâtre du Jorat vendredi soir. Les rires des spectateurs font partie de cette agitation, mais ce ne sont pas les seuls.

Un coup de feu retentit et fait vibrer la salle : la saison de la chasse est ouverte, le spectacle peut commencer.

Le décor est sobre, un mur de ton clair au motif écossais assorti au sol de la scène et au canapé, qui est l’unique pièce de mobilier apparent à l’ouverture du spectacle. L’abondance et la richesse des éléments de décor dont Feydeau fait la liste détaillée dans ses didascalies en début de chaque acte ont été écartées. Ici, on ne garde que le nécessaire pour faire ressurgir l’essentiel, et si un objet ne sert plus, on le fait disparaître. C’est le début d’un spectacle qui s’avèrera mouvementé et ponctué d’apparitions inattendues.

On l’aura deviné, la scénographie, signée Nicole Grédy, n’évoque plus grand-chose du luxe de la Belle époque. Il en va de même pour l’apparence des personnages : disparus les corsets et les moustaches en pointe, le style rappelle désormais les années 1950. Sans oublier la récurrence du motif à carreaux, qui s’affiche non seulement dans le décor, mais aussi sur les vêtements et même jusqu’aux sous-vêtements.

Robert Sandoz propose donc une version étonnante de la pièce de Feydeau, accordant une importance visuelle toute particulière aux personnages, qui se démarquent avec netteté et relief de cet environnement minimaliste et uniformisé.

L’accent est également mis sur la gestuelle, les comédiens se déplaçant avec élégance et précision, comme des danseurs s’appliqueraient à présenter une chorégraphie maîtrisée. Mention spéciale pour le comédien suisse Joan Mompart, qui en est à deux collaborations avec le metteur en scène neuchâtelois et la compagnie L’outil de la ressemblance (Le Combat oridnaire, 2012), dont les gestes accompagnent le texte avec beaucoup d’humour.

Mais les comédiens ne sont pas les seuls à se mouvoir, puisque les objets, eux aussi, se déplacent. En effet, les caractères ludique et mobile du décor ? le canapé qui coulisse, la table qui glisse, les portes et fenêtres qui apparaissent et disparaissent ? ajoutent à la pièce un dynamisme qui s’accorde plutôt bien avec la tonicité du jeu des comédiens. Tout est en mouvement, même les murs, qui bougent et dévoilent parfois des ouvertures secrètes.

Mais de quoi s’agit-il au fond ? Monsieur chasse ! , comme le titre l’indique, c’est d’abord une histoire de chasse. Non, c’est plutôt une histoire de portes, qui s’ouvrent et se ferment. Ou peut-être est-ce une histoire de pantalon. C’est probablement tout cela à la fois. Mais Monsieur chasse !, c’est surtout une représentation du comportement de l’humain, lorsque celui-ci se retrouve confronté à un dilemme entre le désir et la raison. Comme l’explique le metteur en scène, « les personnages de Feydeau sont des funambules en équilibre entre leurs pulsions et leur volonté de confort », deux pôles au milieu desquels la définition de l’amour est remise en question. Léontine aime son mari et n’est pas prête à le tromper, malgré les avances de Moricet, lui-même ami dudit mari. Mais lorsqu’elle apprend que son époux prétexte une partie de chasse pour aller retrouver sa maîtresse, Madame envisage l’adultère par vengeance. Jusqu’à ce que la culpabilité s’installe 40 rue d’Athènes et dirige l’intrigue vers une histoire policière, un trait que Robert Sandoz souligne, en partie à travers une musique de film noir et un jeu de lumières efficace.

Cependant, il s’agit d’un vaudeville et les quiproquos ainsi que les événements cocasses sont au rendez-vous, ce qui permet d’aborder le sujet avec une certaine légèreté. Certains passages sont bien évidemment attendus mais l’on parvient tout de même à s’en délecter, et ceci notamment grâce à l’interprétation convaincante des six comédiens.

Pour ceux qui n’ont pas encore eu l’occasion de voir ce Feydeau revisité, la pièce sera jouée une dernière fois au Théâtre du Jorat le dimanche 6 octobre pour clore en feu d’artifice la saison de cette « scène à la campagne », ou le 18 octobre à la salle CO2 de Bulle. Présentée pour la première fois en janvier 2011, la pièce a déjà visité de nombreux théâtres suisses et français, ce qui en dit beaucoup sur le succès rencontré.

3 octobre 2013


3 octobre 2013

Trompera bien qui trompera le dernier

Les canapés roulent à travers la scène, les portes claquent et le mur se décompose en une cascade de fenêtres. Madame découvre l’adultère de son mari avec une rage explosive. Dans sa transposition du vaudeville de Feydeau aux années cinquante, Robert Sandoz l’accompagne par un décor surprenant et des jeux de lumière dramatiques. A l’abri dans le public, on en redemande.

S’il surprend tout d’abord, le choix de mise en scène de cette pièce du XIXe siècle, loin de dénaturer la pièce, fait surgir tout le dynamisme des dialogues déchaînés de Monsieur Chasse !, joué ce week-end au Théâtre du Jorat de Mézières. Monsieur se voit naturellement toujours obligé de fuir l’appartement de sa maîtresse par la fenêtre, mais les éléments des années cinquante ajoutent également une liberté de mouvement à la pièce.

Les costumes, jupes et pantalons, rendent en effet facile même pour les femmes de bondir sur les lits. Sur le mur à carreaux burberrys, les trappes et les placards disparaissent et réapparaissent sans qu’on puisse tout à fait les discerner. Quant à la radio, elle permet la soudaine interruption des acteurs par un reportage sur la fidélité des animaux. La propreté carrée du motif et les meubles qui glissent sur la scène donnent une impression de confort et de sécurité que les pulsions de Monsieur et la colère de Madame détruisent pour notre plus grand plaisir.

Cette transposition souligne par ailleurs le fait que le thème de la pièce est d’actualité à toutes les époques, et si au XIXe siècle il est difficile pour une épouse de ne pas choisir sa réputation plutôt que la vengeance, la première grande mise en scène du neuchâtelois  nous montre des personnages entiers et impétueux comme cette épouse forte qui, même lorsqu’elle pardonne, n’oublie pas.

Les acteurs romands jouent les dialogues avec un naturel convaincant qui donne une crédibilité aux personnages même lorsqu’ils incarnent des stéréotypes, tels que celui du mari infidèle joué par Samuel Churin, qui s’enfonce avec entêtement dans des mensonges plus aberrants les uns que les autres. Aux côtés de la femme fidèle jouée par Laurence Iseli, on trouve aussi, dans le rôle de l’amoureux transi tentant de la séduire, l’irrésistible acteur et metteur en scène Joan Mompart, qui tenait également le rôle principal dans l’adaptation pour le théâtre qu’avait faite Robert Sandoz en février dernier de la bande dessinée Le Combat ordinaire.

Joan Mompart contribue grandement au rythme prenant du vaudeville, surtout lorsqu’il ponctue les arguments lâchés à demi-mots par des expressions faciales hilarantes et des déplacements énergiques tels que le saut qu’on découvre sur l’affiche. La pièce se déroule telle une partition, et on reste même absorbés pendant les changements de scène, où les techniciens déplacent les décors en dansant le chachacha.

Le Théâtre du Jorat se prête parfaitement à l’énergie de la pièce. A l’abri au milieu de près de sept cent personnes, nous découvrons les explosions de la scène, servies par une excellente acoustique. Monsieur Chasse ! est le dernier spectacle de la saison du théâtre d’été, et nous nous réjouissons que commence la prochaine.

3 octobre 2013


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