La tête dans les étoiles
Qui eut cru qu’une licence en Sciences physique ouvrait les portes de l’espace… Astronaute et chercheur en astrophysique, Claude Nicollier passait déjà des heures rivé à son téléscope étant petit. Le temps d’une interview, il revient sur Terre pour nous parler de ses souvenirs du campus.
«Huit minutes et demie après le décollage, vous tournez autour de la Terre à 7,7 km/seconde… C’est fabuleux, vous vous rendez compte?» Deux heures d’échange à bâtons rompus auront à peine permis d’effleurer le parcours de vie riche et hors du commun de l’astronaute Claude Nicollier. Seul Suisse à avoir vu la Terre depuis l’espace, le natif de la Tour-de-Peilz fascine, à 74 ans, par sa sérénité et son humilité.
Cadet d’une fratrie de trois enfants, il voue une curiosité aux phénomènes naturels, particulièrement ceux qui se trouvent au-dessus de l’horizon. «Je passais des heures à observer les étoiles ou les cratères de la Lune avec mon petit télescope», se souvient-il avant de détailler la matinée du 15 février 1961. Depuis les Rochers-de-Naye, il avait alors photographié le Soleil, partiellement éclipsé, se lever derrière les montagnes. «Et j’avais cette passion pour l’aviation qui me procurait un bonheur presque indescriptible.» Enfant, il construisait souvent des modèles réduits avec son père, ingénieur en génie civil.
Pendant deux ans, il met ses études de physique à l’Unil entre parenthèses pour devenir pilote militaire et «assouvir son obsession». Quarante ans plus tard, Claude Nicollier reste intarissable lorsqu’il s’agit d’évoquer «l’amour de sa vie en matière d’aéronautique»: le Hunter. Ses yeux bleus, si clairs, dégagent fierté lorsqu’il pointe du doigt une maquette de cet avion de chasse, qui orne son bureau situé dans le Swiss Space Center, à l’EPFL.
Chaque propos est illustré avec finesse et patience. Chaque étape de vie est décrite avec un grand souci du détail, des dates. Claude Nicollier évoque spontanément la nuit du 20 au 21 juillet 1969. « Nous étions réunis chez ma tante, qui possédait une télé noir-blanc. En voyant l’Homme marcher sur la Lune, j’ai pensé qu’il s’agissait d’un rêve impossible, réservé aux Américains et aux Soviétiques. Qu’il n’y avait pas de place pour un Suisse.» Et pourtant. En 1978, fort d’une licence en physique et d’un 3e cycle (master) en astrophysique, Claude Nicollier est sélectionné pour intégrer le premier groupe d’astronautes européens. « Mes intérêts pour les sciences – l’astronomie en particulier – et l’aviation se sont réunis admirablement dans un seul métier qui allait être le mien pendant plus de trente ans.» Détaché à Houston de 1980 à 2005, le Vaudois effectue quatre missions dans l’espace (1992, 1993, 1996 et 1999), dont deux consacrées à la réparation du télescope Hubble. Le scientifique était alors aux commandes du bras robotique servant à ramener le télescope dans la soute de la navette pour être réparé. Photos et anecdotes viennent étayer ses propos. «Là, j’avais la tête en bas, on voit la réflexion de la Terre sur la visière de mon casque. C’est cool, non?»
Sur les murs pendent des cadres souvenirs, ornés des insignes officiels des missions, tous réalisés par l’astrophysicien lui-même. «J’ai toujours aimé dessiner.» Un loisir qu’il a longtemps partagé avec sa fille cadette, Marina, aujourd’hui architecte et établie à Chicago. Claude Nicollier consacre désormais une partie de son temps à sa famille. L’aînée, Maya, vit dans la région nyonnaise avec ses enfants. Et quand il n’enseigne pas l’ingénierie spatiale à l’EPFL, on le trouve du côté de La Blécherette, aux commandes de son Piper Super Cub. La tête dans les étoiles.
LES QUESTIONS ALUMNIL
Votre lieu préféré à l’Université durant vos études?
Plus que des lieux, ce sont surtout des matières et des professeurs qui m’ont touché. Pour moi, Lausanne évoque surtout une course effrénée de haut en bas. Rires. Nous étions toute une équipe à dévaler les escaliers du Château (l’université se trouvait alors à la Cité, ndlr) durant la pause de midi pour arriver à temps à la gare et nous enfiler dans le train pour Vevey. J’habitais chez mes parents, à la Tour-de-Peilz, et rentrais parfois manger à la maison avant de revenir pour le cours de 14 heures. Cela paraît fou aujourd’hui.
Je n’ai jamais été très attaché aux lieux mais certains endroits m’ont marqué, à commencer par le cockpit du Hunter, un avion de chasse avec lequel j’ai volé pendant près de cinquante ans, notamment en tant que pilote dans l’Armée suisse (1966 à 2004). L’amour de ma vie en matière d’aéronautique! J’aime aussi notre chalet familial aux Diablerets et la coupole du télescope du Gornergrat, au-dessus de Zermatt. J’ai passé plusieurs semaines sur place lorsque j’étais assistant diplômé à l’Institut d’astronomie de l’Unil et à l’Observatoire de Genève. Et, bien sûr, l’espace.
Le cours/séminaire où vous retourneriez demain?
J’irais chez André Delessert, sans hésiter. Un professeur extraordinaire qui m’a enseigné les mathématiques au Gymnase de la Cité, puis à l’Université, où j’ai eu le privilège d’être son assistant. Mon affection pour cette discipline s’est développée grâce à lui.
Je garde aussi un souvenir lumineux d’autres professeurs, comme Dominique Rivier-Matthey ou Ernst Stückelberg. Je ne comprenais rien à ses cours de physique théorique mais ce n’était pas important, je crois qu’ils n’étaient même pas obligatoires. J’y assistais pour l’incroyable personnalité du professeur, qui venait en classe avec son chien.
J’ai toujours eu plaisir à aller en cours, même enfant. Mais je n’aimais pas le latin et avais de mauvaises notes, il faut bien l’avouer. Je savais qu’il s’agissait d’un bon exercice mental mais je préférais amplement celui qu’offraient les mathématiques et la physique!
Un conseil aux étudiants actuels?
Apprendre à sentir ce qui nous touche vraiment. Pour cela, il faut savoir s’écouter et s’isoler, dans un endroit tranquille, loin des écrans. Chacun à ses domaines d’intérêts et ses richesses intérieures. Il s’agit de les extérioriser, puis de fixer des objectifs et travailler pour prendre une direction de vie qui nous comble. C’est un conseil que je dispense aussi aux plus jeunes, lorsque je rends visite à des classes.
Enfant déjà, j’avais cette passion pour l’aviation sous toutes ses formes. Un bonheur presque indescriptible. A commencer par la confection d’avions en papier et de modèles réduits avec mon père. A force de marcher le nez en l’air, je trébuchais souvent sur les trottoirs! J’ai d’ailleurs arrêté mes études universitaires pendant deux ans pour assouvir mon obsession et devenir pilote militaire.
Et puis j’avais cette curiosité pour les phénomènes naturels, en particulier ceux qui se trouvent au-dessus de l’horizon. Préadolescent, je passais des heures à observer les étoiles, les cratères de la Lune ou les taches du Soleil avec mon petit télescope. En devenant astronaute, mes intérêts pour les sciences – l’astronomie en particulier – et l’aviation se sont réunis admirablement dans un seul métier qui allait être le mien pendant plus de trente ans. J’ai énormément travaillé mais la chance a aussi joué un rôle.
Témoignage à retrouver dans le n°70 d’Allez savoir!
Article de Mélanie Affentranger
Photo: © Cyril Zingaro/Keystone

