La finance vue par un taoïste

Michael Rockinger. Attablé à L’Oustau, petit restaurant à la cuisine savoureuse.
© Pierre-Antoine Grisoni/Strates

Michael Rockinger dirige à l’UNIL le Master en finance (MScF), récemment réorganisé. Rencontre dans un petit restaurant sur les hauteurs de Chailly.

Il n’a pas peur de l’automatisation car il pense que de nouveaux métiers surgiront. Par exemple, si le crédit en ligne se développe, si le conseil à la clientèle se pratique de plus en plus sous la forme du chat bot avec des questions posées à un robot, les étudiants d’aujourd’hui deviendront des créateurs de machines. Directeur du Master en finance à la Faculté des HEC, Michael Rockinger ne craint pas davantage le règne du dieu monothéiste, auquel il ne croit pas. Ce fils d’une famille bavaroise où les religions se mélangent a passé sa prime jeunesse en Normandie, avant de s’installer à Lausanne où il étudie les mathématiques à l’EPFL… et s’intéresse au taoïsme, «une philosophie qui convient par excellence au scientifique». Relié au monde et à la nature par une force qui le dépasse, il rejette cérémonies et prescriptions morales et sociales dérivées du religieux. «Le passage entre la bigoterie et l’hypocrisie est étroit», souligne-t-il.

En ce moment, il vit entre Lausanne et Munich, où il profite d’une année sabbatique pour accélérer ses recherches. Ce spécialiste de la finance réoriente son travail sur la science des données, ce big data dont il tente d’extraire un maximum d’informations sur les entreprises, tel un détective embusqué derrière son ordinateur. Ses outils sont ceux de la finance computationnelle (pro-grammes numériques) et de l’économétrie financière (statistiques). La quête de l’information se vit désormais en surfant dans la jungle du big data: il s’agit de construire ses propres bases de données en allant puiser dans les articles de journaux, les réseaux sociaux, les rapports rédigés par les banques et les registres du commerce, selon un programme capable de cibler des mots clés pour classer ensuite les entreprises, repérer leurs lignes de conduite, évaluer les risques et les potentialités.

L’une des recherches actuelles du professeur porte sur 2000 rapports de banques et 400 textes régulateurs. Depuis la crise financière initiée en 2007, la Banque des règlements internationaux (la BRI située à Bâle) a pris une importance particulière. «En comparant les rapports au fil du temps, je cherche à comprendre jusqu’à quel point les banques suisses et européennes sont passées au concret en appliquant les nouvelles directives liées aux risques», précise-t-il. Concrètement, la grille qu’il a élaborée permet de traiter le langage automatiquement et de mesurer par des méthodes statistiques le vocabulaire, le style de l’auteur du rapport, le passage d’une description floue à davantage d’indices (la banque progresse dans la précision, les noms, les dates, les pays…) et cette analyse sémantique fait partie des nouvelles compétences exigées dans le champ des fintech, ce sous-domaine de la finance basé sur les nouvelles technologies.

Michael Rockinger crée ainsi des dictionnaires permettant d’évaluer la transformation du langage des banques, ces dix dernières années, avec des mots classés en fonction de leur caractère positif, négatif, amplificateur, traduisant les risques… Un travail d’une précision extrême ponc-tué par des marches en montagne ou en ville, où il profite de déambuler entre deux lieux, deux conférences, deux rencontres. «Programmer, désormais, consiste à assembler des langages informatiques pour construire celui qui sera le plus adéquat en fonction de tel ou tel objectif», résume-t-il. Alors qu’il assure encore certains enseignements du Master, il ne reprendra ses propres cours renouvelés qu’en décembre 2018. Avec un esprit ressourcé.

Un souvenir culinaire
Les grands repas français entre 11 heures du matin et 17 heures!

Un lieu de goût(s)
New York, Strasbourg et Singapour où l’on mange si bien.

Un compagnon de table
Einstein: j’ai tellement lu sur sa vie que je pourrais presque écrire une biographie.

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