Gulliver à huis-clos

« À mi-chemin entre théâtre et cinéma » annonce le programme du Petit Théâtre. S’agirait-il d’un énième spectacle aux multiples effets de projection ? Non. Ici c’est la mise en scène elle-même qui relève d’effets de montage, soutenus notamment par une création sonore parfaitement maîtrisée. Pour le deuxième volet de leur trilogie « pièces de chambre », le metteur en scène Karim bel Kacem et le réalisateur Adrien Kuenzy ont choisi d’adapter Voyage à Lilliput (1721), première partie du roman de Jonathan Swift.

Gulliver à huis-clos Lire plus

Un dîner parfait

Durant 3h30, deux acteurs flamands reprennent en français et sans metteur en scène les rôles de deux metteurs en scène américains qui avaient joué pour un réalisateur français leur propre rôle dans une adaptation cinématographique d’une discussion sur la mort, le mysticisme et l’art, développée dans les années 70 lors d’un stage de théâtre expérimental. C’est « méta » et c’est la pièce la plus drôle de la saison. Assis à la table d’un restaurant, le personnage d’André Gregory parle et celui de Wally Shawn mange. En ouverture, sur de petits écrans posés au sol de chaque côté de la scène, Wally erre dans les rues de Genève. En voix off, il nous présente André et raconte qu’il a été retrouvé en pleurs dans la rue car il ne pouvait se remettre de Sonate d’Automne de Bergman, dans lequel le protagoniste constate?: «?dans mon art, j’ai réussi à vivre, mais pas dans ma vie?».

Un dîner parfait Lire plus

Noirs vaudevilles

Eric Salama fait le pari d’un diptyque composé d’un vaudeville d’Eugène Labiche (L’affaire de la Rue Lourcine) et de Si ce n’est toi, cynique pièce apocalyptique d’Edward Bond. Le thème de l’oubli servira d’efficace fil rouge à ces deux mises en scène, supposées s’éclairer mutuellement, mais si la mécanique comique de Labiche dynamise agréablement le splendide texte de Bond, la noirceur des personnages peine toutefois à se manifester.

Noirs vaudevilles Lire plus

« Combien de fois on a fait l’amour, en tout ? »

Un couple expérimente la passion amoureuse : dans cette adaptation d’une nouvelle de l’Américain William Faulkner, publiée en 1938, la Française Séverine Chavrier fait le choix d’une mise en scène contemporaine. Sa puissante composition d’images prend toutefois le risque d’emprisonner le texte. Corps nus, matelas envahissant le plateau comme pour former un monochrome sur lequel s’aimer, cris, sauts, refus de routine : la flamme est là. Charlotte (la Belge Deborah Rouach, fraîche et spontanée) a quitté enfants et mari pour Harry (Laurent

« Combien de fois on a fait l’amour, en tout ? » Lire plus

Peur sur les planches

Il n’en restera plus aucun. Sur un écran, implacablement, un texte défile et annonce le tragique destin des « dix petits pêcheurs ». En fond sonore, une boîte à musique joue la comptine du célèbre roman d’Agatha Christie, ici nouvellement ré-adapté : Les Dix Petits Nègres. Cette obsédante mélodie, annonciatrice des mystérieux meurtres, rythmera la pièce jusqu’à vous glacer le sang. Tous sont coupables, et ils vont payer. Lumière tamisée, machine à fumée, inquiétante ambiance sonore, projections fantomatiques : le suspens est digne des grands films noirs. Toutefois, si Robert Sandoz emprunte certains codes au cinéma, il ne s’y complaît pas. Sa langue est celle du théâtre et elle restructure à sa manière le fil des événements. Après un vaudeville (Monsieur chasse ! qui travaillait également, mais par le rire, le thème de la culpabilité) et une poétique adaptation de la bande-dessinée Combat Ordinaire, le génial metteur en scène neuchâtelois s’attaque avec audace au théâtre policier. Si le genre est trop souvent boudé par le théâtre francophone, cette création a la générosité de le prendre au sérieux.

Peur sur les planches Lire plus

Les maîtres fous

Sur un texte adapté du roman Le lieutenant de Kouta de Massa Makan Diabaté, six comédiens redonnent vie à la tradition orale des griots. Épisodes contés, scènes entrecoupées de proverbes : sur fond de colonialisme, la narration se diffracte. « Toute personne qui voudrait raconter cette histoire devrait me payer 20 francs ! » s’amuse le lieutenant Siriman Keita. « Les histoires n’appartiennent à personne » réplique la sensuelle Awa, sa future épouse. « Hier tu nous as raconté une histoire différente ! » lui reproche encore un ami, alors qu’il narre ses exploits au sein de l’armée coloniale.

Les maîtres fous Lire plus

Il y a quelque chose de pourri dans le Royaume de Bourgogne

Farce tragique, Yvonne, princesse de Bourgogne travaille habilement l’idée de différence. Les accords d’un harmonium débraillé retentissent dans le noir. La lumière se fait et un couple, brillamment dissonant lui aussi, paraît : Greta Gratos – égérie de la scène alternative genevoise – incarne une reine posée et majestueuse et Julia Batinova campe à la perfection un petit roi débordant d’une ridicule énergie. Ces derniers seront les garants des protocoles de ce royaume imaginaire (« Bourgogne » semblant ici renvoyer davantage au vin qu’à l’Histoire) et se montrent déroutés de voir leur remuant fils introduire une disgracieuse et apathique fiancée. Cette dernière lui est si insupportable que, lassé des convenus jeux de cour, il a décidé de l’aimer.

Il y a quelque chose de pourri dans le Royaume de Bourgogne Lire plus

Théâtre socialisme

Ils sont comédiens, musiciens, ont étudié la sociologie ou l’ethnologie. Ils ne sont pas pressés de trouver un métier. Ils font l’expérience d’un mode de vie en communauté dans l’appartement de l’oncle banquier de Véronique. Ils aimeraient changer le monde : mais comment ? En tuant le banquier, peut-être. Pour l’exemple. Nous sommes en 2013. Ces jeunes intellectuels n’ont pas connu mai 68.

Théâtre socialisme Lire plus

Une folie contemporaine

Une terre brune envahissant la scène mais aussi – et littéralement – les bouches et les corps. Des berlingots dont fusent liquides rouges ou blancs. Du rap hurlé dans un micro. « Être ou ne pas être » fragmenté et repris par trois fois au long de la pièce : la mise en scène d’Ostermeier est d’une violence sublime et sert avec intelligence la progressive perte de repères d’Hamlet. « C’est complet, archi-complet » répond-on au jeune couple désirant s’ajouter à l’interminable liste d’attente des spectateurs impatients d’applaudir le très à la mode Thomas Ostermeier. Des applaudissements, il y en aura, tant son travail rompt en effet puissamment avec le romantisme dont les mises en scène classiques affublent parfois Hamlet : si vous attendiez une relecture contemporaine du texte shakespearien, vous serez comblés.

Une folie contemporaine Lire plus