Entretien avec Michel Bourban

Michel Bourban. Assistant en Section de philosophie. Nicole Chuard © UNIL
Michel Bourban. Assistant en Section de philosophie. Nicole Chuard © UNIL

En complément à l’article paru dans Allez savoir ! 56 de janvier 2014, Michel Bourban, assistant en philosophie moderne et contemporaine à l’UNIL, aborde deux sujets. En quoi la théorie de la guerre juste aide-t-elle à mieux appréhender les questions que soulèvent les drones ? Ensuite, leur utilisation dans un contexte militaire et leur autonomisation croissante, amènent à s’interroger sur la notion de responsabilité.

L’expression « guerre juste » est un oxymore : comment une pratique aussi répugnante peut-elle être justifiée ? Les théoriciens de la guerre juste, comme Michael Walzer, sont les premiers à la dénoncer. Mais il arrive que lors d’un conflit, le choix ne se pose pas en termes de « bien » et de « mal », mais de « moindres maux », c’est à dire que la guerre soit la moins mauvaise des options possibles. Par exemple, continuer à négocier alors que des gens meurent peut s’avérer pire qu’entrer en conflit.

La guerre peut être justifiée si elle répond à plusieurs critères, qui se décomposent en deux parties : le jus ad bellum et le jus in bello.

Le premier, le « droit de la guerre », essaie de limiter le nombre de fois où des pays se lancent dans un conflit armé. Il contient plusieurs principes : une cause juste, une guerre décidée par des autorités légitimes, un conflit qui a des chances raisonnables de succès et qui ne représente pas la dernière option possible, mais la dernière option raisonnable possible. Bien entendu, ces principes sont l’objet de nombreuses interprétations, mais ils constituent néanmoins un socle commun pour juger de la justice ou de l’injustice d’une guerre.

Le second versant, le « droit dans la guerre », vise à réduire l’intensité, donc l’horreur, du conflit. Il implique la discrimination, c’est à dire que les combattants ne doivent sous aucune condition prendre pour cible des civils de manière délibérée. Ensuite, la proportionnalité. Cela signifie que les moyens employés doivent être proportionnels aux fins que vise la guerre et éviter les dégâts humains et matériels inutiles. Le Droit international humanitaire (DIH) s’est construit sur ces principes.

Signalons que le jus ad bellum et le jus in bello sont indépendants l’un de l’autre. Dans le cas inverse, cela pourrait par exemple impliquer qu’une cause « juste » permettrait d’employer des moyens illimités.

Responsabilité diluée

Pilotés par des opérateurs installés à des milliers de kilomètres du théâtre des opérations, les drones diluent les responsabilités. La chaîne de commandement est longue. Les ingénieurs inventent des technologies de plus en plus perfectionnées, les services de renseignements donnent les informations sur les cibles, des supérieurs donnent l’ordre de tirer, une personne derrière un écran manœuvre l’engin volant et déclenche le feu…

Dans le cadre du jus ad bellum, la responsabilité revient aux politiciens ou aux généraux qui ont décidé de la guerre. Dans le jus in bello, la responsabilité revient au pilote. En cas de bavure, elle peut être atténuée si un officier a donné l’ordre de tirer. Mais le devoir d’un soldat reste de refuser un ordre s’il estime que la cible est illégitime.

Aujourd’hui, un courant institutionnel et technologique glisse dans la direction d’une autonomisation croissante des drones. Cela pose un gros problème : la machine programmée pour éliminer une cible ne se posera jamais de questions comme : « Est-ce le bon moment ? ». Ou : « La camionnette que je vise est-elle remplie d’armes ou de réfugiés ? » Les principes de discrimination et de proportionnalité n’étant pas programmables, il ne sera jamais moralement et légalement acceptable de laisser un drone tuer de manière autonome.

Mais la responsabilité ne réside pas seulement dans le camp des utilisateurs des drones. Les deux camps doivent limiter les risques pour les civils. Or, les ennemis des Etats-Unis se dissimulent parmi les civils, notamment pour faire augmenter le sentiment anti-américain en cas de bavure.

Pour aller plus loin, l’article de Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, philosophe et juriste.

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