Entretien avec Daniel Rietiker

Daniel Rietiker. Chargé de cours au Centre de droit comparé, européen et international. Nicole Chuard © UNIL
Daniel Rietiker. Chargé de cours au Centre de droit comparé, européen et international. Nicole Chuard © UNIL

Que prévoit le Droit international humanitaire (DIH) quant à l’usage des drones ? Chargé de cours au Centre de droit comparé, européen et international de l’UNIL, Daniel Rietiker donne des éléments de réponse, en complément de l’article paru dans Allez savoir ! 56 de janvier 2014.

Les Conventions de Genève (CDG) ne prévoient pas de règles particulières au sujet des drones, qui sont, s’ils sont employés en tant qu’armes, considérés comme des armes conventionnelles. Au contraire des mines antipersonnel et des armes chimiques, par exemple, ils ne sont pas non plus expressément interdits par des conventions spécifiques. Il faut donc avoir recours aux règles générales.

L’article 35 du premier protocole additionnel aux CDG donne des règles fondamentales : le choix des moyens n’est pas illimité dans un conflit armé et il est interdit de provoquer des maux superflus. L’article suivant, le 36, traite des armes nouvelles et à l’obligation de déterminer si leur emploi doit être interdit ou non.

Deux autres principes généraux alimentent la réflexion sur les drones : d’abord, les civils doivent être épargnés lors d’un conflit armé. Ensuite, les moyens employés doivent être proportionnels à l’avantage attendu : c’est à dire qu’une attaque contre un objectif militaire ne doit pas avoir de conséquences excessives sur la population et les biens civils.

Le drone, plus discriminant qu’une frappe aérienne, répond en théorie à ces derniers principes. C’est également l’avis du président du CICR, Peter Maurer (lire l’entretien).

Signalons que le Droit international humanitaire (DIH) s’applique à toutes sortes de conflits armés, qu’ils soient légitimes ou non. Il se désintéresse de la notion de jus ad bellum, ou de « guerre juste », et se consacre à protéger les personnes, même si la guerre n’est pas légale en vertu du droit international.

Ce qui mène à une question de fond : la lutte menée par les Etats-Unis contre le terrorisme – hors de l’Irak et de l’Afghanistan – est-elle assez intense pour être qualifiée de « conflit armé »? Car pour pouvoir appliquer les Conventions de Genève, il faut que cela soit le cas (protocole II, article premier). Les « troubles » et les « tensions internes » ne suffisent pas.

Si le DIH ne s’applique pas, ce sont les Droits de l’Homme et le droit national interne de l’Etat concerné qui prennent à priori le relais. Selon une interprétation moderne du droit international, il convient de percevoir ces différentes branches de manière complémentaire pour éviter un vide juridique.

Or, les Etats-Unis préféreraient que le DIH s’applique, car cela leur permettrait de poursuivre leur lutte et de liquider leurs cibles n’importe où dans le monde, dans un cadre légal, selon eux. Evidemment, le CICR s’y oppose, de crainte de voir se créer un champ de bataille universel.

Peut-être pour finir quelques mots au sujet de la légitimité des frappes par drones en vertu du jus ad bellum, qui répond donc à la question si une guerre est légitime, ou juste, en vertu du droit international. A l’article 2 alinéa 4, la Charte des Nations Unies interdit la guerre. Mais l’article 51 autorise le recours à la légitime défense si un Etat membre est victime d’une « agression armée » : est-ce que les Etats-Unis peuvent se baser sur ce texte pour légitimer leurs frappes de drones au Yémen ou au Pakistan ?

Ces questions montrent que les conflits contemporains, très asymétriques, internationaux et dépourvus de champs de bataille classiques, constituent un défi pour le droit international, en particulier le DIH.

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