Lecture et trace : mémoire, interprétation, imaginaire et création (appel à contribution)

LA TRACE, Projet international et interdisciplinaire

Université de Bourgogne Franche-Comté (France) et Université de Sfax (Tunisie)

Colloque 1 « Lecture et trace : mémoire, interprétation, imaginaire et création »

Université de Bourgogne, Laboratoire CPTC EA 4178, Mission Recherche INSPE,  Dijon, les 26 et 27 septembre 2024

Appel à communication, date limite : 15 mai 2024

Terme à la fois usuel et symbolique, la trace désigne l’« empreinte ou suite d’empreintes sur le sol marquant le passage d’un homme, d’un animal, d’un véhicule » (Larousse). Il est aussi synonyme de vestige et entretient des liens intrinsèques avec la mémoire et le passé. En réalité, le terme dans sa simplicité apparente se prête à de nombreuses interprétations et constitue une matière très riche qui mérite d’être explorée systématiquement dans ses facettes multiples par des chercheurs inscrits dans de nombreuses disciplines.

Ainsi, le projet qui sera porté par les laboratoires CPTC et la mission recherche de l’INSPE de l’Université de Bourgogne ainsi que par le laboratoire LERIC de l’Université de Sfax a-t-il pour objectif de s’intéresser, dans une perspective largement pluridisciplinaire, à la trace ou aux traces dans les univers littéraires, artistiques et historiques. Il s’organisera autour de deux temps forts menés l’un en 2024 à Dijon et l’autre en 2025 à Hammamet lors de rencontres internationales entre chercheurs venus d’horizons divers, sur le plan géographique comme disciplinaire. 

Le colloque de Dijon se centrera en premier lieu sur la question de la trace comme source et effet de réception active, dans le cadre des pratiques de lecture. En effet, depuis l’émergence des théories de la réception, il est largement admis que la lecture ne constitue ni une impression pure mais passive dans la mémoire du lecteur, ni un simple moment extérieur à sa subjectivité. Confronté à cette présence-absence propre à toute écriture, l’acte de lecture se construit dans une réalité à la fois matérielle et symbolique, tout en offrant, comme forme de médiation entre le sujet et le monde, un espace de construction du sens – mais aussi de soi – situé entre mémoire et projection. Pour cela, la lecture s’inscrit initialement dans une nécessaire quête indiciaire de la trace avant de devenir elle-même une nouvelle trace chez le sujet lecteur. Trace construite de manière éminemment complexe dans la mémoire et l’imaginaire au point de créer une réalité subjective inédite, l’expérience de lecture peut ainsi devenir le lieu d’émergence d’un rapport renouvelé au monde qui entraîne disparition et re-création dans un lien au réel toujours dialectisé.  

En se centrant sur cette problématique de la lecture et de la trace, les organisateurs de ce premier colloque souhaitent mobiliser des démarches de recherche multiples qui pourront être aussi bien philosophiques, théoriques qu’analytiques et expérimentales dans plusieurs champs de recherche, allant des études psychologiques et neuroscientifiques jusqu’aux renouvellements actuels des théories de la réception. En s’appuyant sur l’analyse phénoménologique des émergences successives de la trace en lecture évoquée plus haut, on privilégiera en particulier quatre principaux domaines d’étude, sans toutefois refuser des perspectives inattendues et motivées.

 Axe 1 : traces et lecture des œuvres

Depuis les travaux de Carlo Ginzburg, et son ouvrage fondateur Mythes, emblèmes, traces (1986), la lecture a été intégrée dans ce qu’il nomme un « paradigme indiciaire » étendu à toute démarche herméneutique s’appuyant sur des indices qui peuvent, à partir d’un raisonnement déductif du récepteur, devenir des signes dotés de sens. S’appuyant sur un modèle cynégétique, déjà mobilisé par les encyclopédies de la Renaissance et, par exemple, mis en fiction dès Zadig de Voltaire, l’historien italien interroge et renouvelle, autour de la trace, l’épistémologie des sciences historiques et littéraires. Après les grandes mutations du Linguistic Turn et des théories de la réception, allant d’U. Eco jusqu’à l’œuvre iconoclaste de Stanley Fish, C. Ginzburg amplifie et modélise une conception de la lecture comme quête d’une trace toujours à interpréter, par un sujet inclus dans une communauté d’interprétation. Une telle conception –qui fait de la lecture une interprétation indiciaire – amène nécessairement à s’interroger sur ce qui fait trace dans le texte, pour qui et selon quelles modalités.  Des études précises portant sur l’analyse indiciaire d’œuvres – en particulier canoniques – à partir de corpus de réception pourront être proposées afin de faire avancer notre réflexion sur la nature et le fonctionnement des prises indiciaires que ménagent les textes. 

Axe 2 : traces et critique 

Dans le cadre de ce même paradigme, on pourra se pencher tout aussi fructueusement sur la phénoménologie de la lecture, telle que l’ont mobilisée, successivement et selon des modalités différentes voire contradictoires, certains critiques, tels Husserl, H. Gadamer ou, plus près de nous, M. Picard ou M. Charles. Il sera possible d’interroger la présence d’une pensée de la trace chez ces auteurs, en tension avec celle du signe interprétable privilégiée par la philologie classique. Cette dernière voyait l’interprétation du lecteur comme la maîtrise d’une grammaire inversée directement embrayée au signe, quand la recherche de la trace renvoie à une sémiotique profondément immanente. Qu’en est-il de cette analyse dans l’histoire de la critique, dans les théories contemporaines de la lecture ou dans les actuelles pratiques critiques, comme par exemple les travaux de lecture contre-auctoriale initiés par S. Rabaud ?   

Axe 3 : traces et cognition

C’est dans ce cadre, également, que l’on pourra analyser les effets de la mobilisation du paradigme indiciaire et du motif de la trace dans les actuels travaux de linguistique pragmatique inspirés du linguiste Ch. Sanders Pierce ou du psychologue K. Buhler. Au travers d’analyses générales ou d’études de cas particuliers et symptomatiques, on tentera de mesurer l’efficience du concept de trace dans la conceptualisation des mobilisations linguistiques et subjectives nécessaire à la com-préhension, au sens le plus large du terme, en lecture.

On pourra aussi mobiliser les travaux en lien avec la psychanalyse qui font, depuis S. Freud jusqu’à J. Lacan et sous une autre forme J. Derrida et H. Cixous, de la langue un signe interne à la subjectivité, trace même de toute « différance ». 

On pourra enfin s’interroger sur les apports récents des sciences cognitives et neurologiques concernant la mobilisation des traces dans l’acte de lecture. Dans la lignée des travaux de F. Lavocat (Interprétation littéraire et sciences cognitives, 2016), on verra comment la trace dans la lecture peut être mobilisée bien au-delà de la mémoire linguistique, et renvoyer à des stimulations perceptives et kynesthésiques, ou encore à des projections temporelles en lien avec les processus de mise en intrigue (Baroni, 2007).  Dans un tel cadre de réflexion, les apports des chercheurs en psychologie seront les très bienvenus et contribueront à remodeler et à préciser le concept de trace en lecture dans le cadre d’études cliniques ou de travaux de recherche qui incluent l’expérience de lecture dans l’analyse du sujet, des effets de mémoire et d’imaginaire qui en découlent pour le construire et le faire évoluer.  

Axe 4 : vers une didactique de la trace dans les études littéraires

Ce sera enfin le lieu où s’interroger sur la mobilisation du paradigme indiciaire sous des formes multiples dans les didactiques de la littérature contemporaines. À la suite des travaux initiés sur ce thème dès 2004 (Pottier, 2004), et au vu des travaux plus récents évoqués dans les axes précédemment cités, on se demandera comment la trace est ou peut être mobilisée dans l’actuelle prise en compte didactique de la compréhension en lecture littéraire, notamment via la figure du sujet-lecteur qui a constitué le grand tournant épistémologique des études de didactique littéraire depuis une trentaine d’années et les travaux, en France, de M. J. Fourtanier, G. Langlade et A. Rouxel. IO Quand la force et la forme de la trace interviennent-elle dans les dispositifs didactiques ? Comment l’enseignant peut-il s’en saisir de manière efficiente ? Comment en appeler à l’effet de trace dans un cadre collectif ? Jusqu’à quel point est-ce possible ? Souhaitable ?  Des résultats de recherches fondamentales et de recherches-actions autour des journaux de lecteurs et de toutes les formes d’appropriation des textes pourront ici éclairer l’efficience de la mobilisation d’un tel concept.  

Toutes ces approches pourront s’articuler autour de plusieurs temps : celui de la pratique de lecture et de ses modalités mais aussi celui, postérieur à la pratique, qui fait de la lecture elle-même une trace constitutive du sujet, qu’il s’agisse de son enrichissement mémoriel, cognitif ou imaginaire, ou qu’elle devienne même force projective et créative. 

À ces études critique et analytique sera associée la présentation, qu’on souhaite la plus ouverte possible au public durant ces deux journées, de démarches artistiques fondées sur la trace et la lecture indiciaire. L’œuvre du peintre, musicien et vidéaste Yves Hasselmann sera l’occasion de voir mobilisés bribes, détails, fragments ou fusions au sein d’une œuvre depuis longtemps portée par l’esthétique de la trace, cette dernière offrant le lieu par excellence de l’interrogation poétique du sens, qu’elle provienne de l’image fixe ou mobile ou encore du son, et de leurs multiples conjonctions. Cet accompagnement à la première partie de ce colloque, double, augurera également de la deuxième partie davantage ouverte sur les formes de la trace dans la picturalité.

BIBLIOGRAPHIE  

CHARLES, Michel. Composition, Paris, Le Seuil, 20l8.

DERRIDA, Jacques. De la grammatologie, Paris, Éditions de Minuit, 1967.

HUSSERL Edmund, Prolégomènes à la logique pure, Paris, PUF, 1969 [1901].

GADAMER, Hans Georg, Vérité et méthode, Paris, Le Seuil, 1976.

GINZBURG, Carlo. « Traces. Racines d’un paradigme indiciaire ». In Mythes, emblèmes, traces. Morphologie et histoire, Paris, Flammarion, 1989. p. 139-180.

LANGLADE, Gérard et ROUXEL, Annie (éd.), Le sujet lecteur : lecture subjective et enseignement de la littérature, Rennes, PUR, 2004. 

LAVOCAT, Françoise, Interprétation littéraire et sciences cognitives, Paris, Hermann, 2016.

PICARD, Michel, La lecture comme jeu : essai sur la littérature, Paris, Les Éditions de Minuit, 1986.

POTTIER, Jean-Michel (éd.), « Seules les traces font rêver. » Enseignement de la littérature et génétique textuelle. Actes des Ve rencontres des chercheurs en didactique de la littérature, Reims, SCEREN CRDP Champagne-Ardennes, 2005. 

RABAU, Sophie (éd.), Lire contre l’auteur, Saint Denis, Presses universitaires de Vincennes, 2012.  

REMY, Floriane, « Yves Hasselmann. Musicalité picturale », in « 55 artistes. Talents à découvrir », Art absolument, numéro spécial juin 2015.

RICOEUR, Paul, La mémoire, l’histoire, l’oubli. Paris, Le Seuil, 2000.

Merci d’envoyer votre proposition (titre, résumé de 500 mots maximum, axe principal d’inscription, références bibliographiques principales) et une brève notice bio-bibliographique aux deux adresses suivantes avant le 15 mai 2024 :

martine.jacques@u-bourgogne.fr

saadiayahia@gmail.com

L’avis du Comité scientifique sera donné au 01er juin 2024.

Comité scientifique :

Virginie Brinker, MCF Langue et littérature françaises, Université de Bourgogne

Arbi Dhifaoui, PU Histoire XVIIIe siècle, Université de Sfax

Henri Garric, PU Littératures comparées, Université de Bourgogne

Martine Jacques, MCF Langue et littérature françaises, Université de Bourgogne

Lassaad Jammoussi, PU Littérature et images, Université de Sfax

Samia Kassab-Charfi, PU Langue et littérature françaises, Université de Tunis, Faculté des sciences humaines et sociales.

Sylvie Laigneau-Fontaine, PU Langues et littératures anciennes, Université de Bourgogne

Caroline Raulet-Marcel, MCF Langue et littérature françaises, INSPE, Université de Bourgogne

Bénédicte Shawky-Milcent, MCF Langue et littérature françaises, INSPE, Université Grenoble Alpes

Séverine Tailhandier-Barbero, MCF Sciences de l’éducation, INSPE, Université de Bourgogne

Saadia Yahia Khabou, MCF Langue et littérature françaises, Université de Sfax.