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Un nouveau parc périurbain a vu le jour dans les bois du Jorat en 2021, devenant ainsi le deuxième du genre en Suisse reconnu par la Confédération. Pascal Vittoz (IDYST) participe aux premiers suivis de cette forêt qui entre dans une nouvelle phase après l’arrêt total de l’exploitation forestière. Comment évoluera ce paysage forestier, lieu de promenades privilégié de l’agglomération lausannoise, ces 50 prochaines années ? Les premiers jalons étant posés, il faut désormais laisser la forêt nous apporter les réponses, à son propre rythme.
Muni d’une carte et d’une boussole, Pascal Vittoz s’aventure au cœur du massif à la recherche de la parcelle qu’il doit étudier aujourd’hui. Une traversée par les fourrés et c’est une zone dominée par les épicéas qui se révèle. Ces conifères, plantés au XIXe siècle ou au début du XXe siècle en raison de leur croissance rapide, demeurent encore majoritaires aujourd’hui. Sans cette intervention humaine motivée par des raisons économiques, la zone serait plutôt couverte de sapins et de hêtres à l’heure actuelle.
Quel sera donc l’avenir de la forêt, de sa faune et de ses habitants ? C’est là tout l’objectif de cette étude. Pascal Vittoz s’occupe du suivi de la flore, en particulier du sous-bois, afin d’étudier les conséquences de la mise en réserve d’une forêt sur la diversité floristique. Ces relevés seront réalisés tous les 10 ans, en collaboration avec un botaniste mandaté, Loïc Liberati, ancien étudiant de FGSE (Faculté des géosciences et de l’environnement) et Patrice Descombes, ancien étudiant de FBM (Faculté de biologie et de médecine), et actuel conservateur au Jardin botanique de Lausanne. Ils se partagent les 132 points de suivi répartis aléatoirement dans les parcelles forestières, selon un plan établi par l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL), dans le but d’observer le devenir de la forêt.
Le nouveau Parc naturel du Jorat vise à favoriser la présence de bois mort. Avec lui, prospèreront certains oiseaux qui creusent dans les vieux troncs, les coléoptères dont les larves se nourrissent du bois et les champignons qui décomposent le bois mort. Une partie de la forêt – la zone centrale du parc – ne subira aucune intervention pendant les 50 prochaines années : pas de coupes, pas d’exploitation, pas de passage en dehors des sentiers. Elle sera simplement laissée à son évolution naturelle, à l’exception de quelques coupes nécessaires pour assurer la sécurité des sentiers. Dans la zone de transition, plus au sud, vers le Chalet à Gobet, l’exploitation forestière continuera comme auparavant, mais certaines mesures seront mises en place pour favoriser la biodiversité et accueillir le public.
Dans chaque parcelle, les botanistes examinent deux surfaces concentriques autour du point sélectionné aléatoirement par le WSL. Ils décrivent la structure de la forêt et répertorient la flore dans les strates herbacée, arbustive (moins de 3 mètres de hauteur) et arborescente (plus de 3 mètres de hauteur). Cela permet d’avoir une idée de la régénération : si un type d’arbre est présent dans toutes les strates, il a de grandes chances de se maintenir dans la forêt du futur.
Les botanistes établissent l’inventaire complet de la flore dans deux zones concentriques à partir d’un point central marqué sur la photo par un piquet bleu. Le premier disque de 10 m², correspond au standard utilisé pour le monitoring de la biodiversité en Suisse. Le deuxième, de 200 m², qui donne une image plus complète de la flore du sous-bois, permet une meilleure description de la structure de la forêt, telle que la taille des arbres et la proportion de bois mort.
Un piège à coléoptères suspendu au centre de la parcelle témoigne de la présence de différents suivis réalisés par d’autres groupes de scientifiques. Pour explorer le devenir de la forêt, des relevés réguliers sont également effectués pour étudier les usages (piétons, vélos, chevaux) et la faune (coléoptères, batraciens, chevreuils…).
Après l’arrêt de l’exploitation forestière, on peut s’attendre à ce que les arbres vieillissent, ce qui conduira à une forêt plus dense et plus sombre, avec moins de lumière atteignant le sol et donc moins d’espèces végétales dans le sous-bois. Cependant les aléas des tempêtes et les changements climatiques rendent les pronostics difficiles. Les épicéas, par exemple, pourraient souffrir de la chaleur et être en partie décimés par les attaques du bostryche, un coléoptère ravageur. Dans une forêt classique, les forestiers coupent les arbres atteints pour endiguer leur prolifération. Mais que se passera-t-il lorsque plus aucun contrôle sanitaire des arbres ne sera réalisé ? Le bostryche se répandra-t-il davantage ? Leur présence favorisera-t-il d’autres essences que l’épicéa ?
« Cette réserve est mise en place pour 50 ans, c’est plus que la moitié d’une vie humaine, environ dix fois un projet de recherche standard. » Pascal Vittoz
Il faudra donc attendre pour voir les bénéfices de ce parc se matérialiser. Les projets habituels de recherche sont planifiés sur une durée de 3 à 4 ans. Ici, c’est insuffisant pour étudier la flore forestière qui évolue très lentement. Cette étude, qui s’étend sur l’échelle de vie de l’arbre, ne fournira donc ses résultats que dans plusieurs décennies.
Que trouvent les botanistes dans les bois du Jorat ?
La forêt est dominée par l’épicéa et le hêtre, avec souvent des sous-bois assez pauvres en diversité végétale. Toutefois, certaines zones plus humides, comme les frênaies, réservent des surprises et des espèces moins communes. La prêle des bois, par exemple, est une espèce commune dans les Alpes mais bien plus dispersée sur le Plateau. Les prêles sont parmi les plus anciens végétaux, leur apparition remontant à près de 400 millions d’année. Certaines espèces étaient des arbres importants au Carbonifère, alors que les plus grands représentants actuels atteignent 1 m environ.
Pour aller plus loin
- Site web du Parc du Jorat
- Site web de Pascal Vittoz