Découvrir les secrets souterrains: comment des microéléments des sols ont un impact global

Cette publication est également disponible en : English

Marco Keiluweit est spécialiste en biogéochimie des sols. Le rôle des sols dans les changements climatiques et le cycle du carbone l’interpelle particulièrement. Les questions sur lesquelles il se penche actuellement à l’Institut des dynamiques de la surface terrestre – qu’il a rejoint en 2022 – portent sur les processus fondamentaux dans les sols. Comment la dynamique de la matière organique du sol est-elle régulée ? Qu’est-ce qui détermine le piégeage souterrain du carbone et la santé du sol ? Avec Emily Lacroix, première assistante, ils nous parlent ici de leur programme ambitieux : il englobe à la fois l’échelle globale des environnements naturels et les enchevêtrements microscopiques qui s’y jouent. En faisant le pont entre ces échelles, leur travail débouchera sur des avancées dans notre compréhension de l’interaction entre les sols, le changement climatique et l’agriculture durable.

Une exploration dans un univers complexe

Marco Keiluweit : Mener des recherches dans les sols représente un défi : ce sont des systèmes très diversifiés et dynamiques. Les plantes, les microbes, les minéraux et la matière organique interagissent et sont en perpétuel remaniement. Je cherche à mieux appréhender ces dynamiques régissant les sols. Isoler et décrire les processus physiques, biologiques ou chimiques est une quête de longue haleine.

Les sols, bien plus que de simples amoncèlements de terre, abritent une vie foisonnante où de nombreux éléments interagissent en une chorégraphie complexe. Les processus physiques, biologiques et chimiques qui animent cette danse sont si intimement liés qu’il devient ardu de les isoler et de les étudier individuellement.

Le cycle du carbone dans les sols est au cœur de nos recherches. Nous cherchons à connaître les mécanismes qui stockent le carbone dans les sols ou au contraire le libèrent. Ces mécanismes déterminent en somme si les sols accéléreront ou contribueront à atténuer le changement climatique. En effet, les sols abritent environ trois fois plus de carbone que l’atmosphère et les océans combinés. Il est donc de la plus haute importance de comprendre comment le cycle du carbone dans le sol est affecté par le changement climatique.

Au-delà de l’aspect environnemental, l’étude des sols revêt également un intérêt économique crucial. En effet, la fertilité et la productivité agricole sont étroitement liées au cycle du carbone dans le sol. Comprendre comment ce précieux élément influence la qualité des terres cultivables ouvre la voie à des pratiques agricoles plus durables et efficientes.

Des approches complémentaires à différentes échelles

Marco Keiluweit : Afin d’identifier les mécanismes fins du cycle du carbone et d’évaluer l’effet de perturbations environnementales telles que le changement climatique sur ces mécanismes, nous avons besoin de travailler à différents niveaux. À large échelle par exemple, notre objectif ultime est de proposer des stratégies de gestion des terres adaptées aux caractéristiques uniques de chaque type de sol, afin d’atteindre l’équilibre délicat entre l’optimisation de la productivité des plantes et la réduction des émissions de CO2.

En élucidant la relation complexe entre les méthodes de gestions des sols et le stockage du carbone dans le sol, les scientifiques espèrent trouver la clé pour minimiser l’empreinte carbone de l’agriculture.

Nous étudions également des écosystèmes naturels, par exemple dans les Alpes. Dans les sols alpins, 90 % du carbone est prisonnier du sol. Nous souhaitons évaluer la manière dont ce vaste réservoir de carbone du sol réagit à l’évolution de la couverture neigeuse. Nous surveillons actuellement la façon dont le cycle du carbone du sol dans ces systèmes réagit à l’évolution de la dynamique de la fonte des neiges dans les régions alpines.

Ces microélectrodes de sol mesurent en continu les paramètres chimiques influençant le cycle du carbone dans les sols, par exemple les niveaux de nutriments, la teneur en oxygène, l’humidité, etc. En plaçant plusieurs de ces senseurs sur le terrain, l’équipe obtient une bonne indication des variations spatiales, saisonnières et temporelles de la dynamique du carbone du sol. 

Marco Keiluweit : À plus petite échelle, nos recherches se concentrent plus particulièrement sur la rhizosphère. C’est la zone du sol où les racines de plantes interagissent avec le sol. Les racines relâchent des composés carbonés dans le sol (sucres, acides organiques), que les microbes absorbent, fixent sous forme de carbone organique puis métabolisent et relâchent sous forme de CO2. La compréhension fine de ces interactions plantes-microbes-sol et de leurs variations permettra de déterminer sous quelles conditions le sol aura tendance à stocker ou dégager du gaz carbonique. 

Un prototype d’étude du système racinaire dans des conditions contrôlées. Emily Lacroix cultive cette plante in vitro dans un milieu contenu entre une vitre et un polymère moulé. Il sera également possible de varier le milieu de culture pour tester différents facteurs tels que les niveaux de nutriments et d’humidité ou la présence de micro-organismes sur le transport et la consommation de gaz.

Emily Lacroix : Pour ma part, je m’intéresse en particulier aux microsites anoxiques : des poches dans lesquelles il n’y a pas d’oxygène. Elle se forme en particulier à proximité des racines. Ces poches ont une influence sur le cycle global du carbone, car les microorganismes y transforment moins rapidement le carbone organique en CO2. Mes principales questions sont : où et comment se forment de tels microsites dans la rhizosphère ? Leur fréquence est-elle liée à l’humidité ou la texture du sol ? Peut-on mesurer leur influence sur la capacité du sol à fixer ou relâcher du CO2 ?

Afin d’observer in situ la formation de poches (microsites) anoxiques, Emily Lacroix place des échantillons de sols dans une chambre d’essai. Un même sol est mélangé à des cristaux de quartz (peu réactifs) de tailles différentes pour simuler des variations de texture sans changer la nature du sol. Sur la photo de gauche, cela correspond à des échantillons de sols de différentes couleurs.
Une « fausse racine » – correspondant à une sonde à micro dialyse (photo de droite) – libère du carbone dans le sol à l’instar d’une racine de plante réelle. Son avantage est de permettre un contrôle précis de la quantité et le type de carbone rejeté dans le sol.
Le taux d’humidité du sol peut également être modifié afin d’identifier sa potentielle influence sur la formation de poches anoxiques.

Au terme de l’expérience, Emily mesure le taux d’oxygène et sa répartition dans l’échantillon : un papier chimique réagit à la présence d’oxygène indicateur (carré rose sur l’image de gauche). Ce papier est ensuite exposé à une caméra dotée d’une lampe UV (image du centre). À l’écran, les zones riches en oxygènes apparaissent en rouge-orange et les zones anoxiques en vert-jaune (image de droite). Il est ainsi possible d’identifier rapidement la répartition et le nombre des zones anoxiques qui se créent à proximité d’une racine.

Marco Keiluweit : Finalement à l’échelle microscopique, nous analysons des échantillons de sol au moyen d’un microscope de pointe à rayonnement infrarouge (infraredlight microscope). Sa haute résolution nous permet de décrire les interactions de la matière organique, des minéraux ou des microbes dans nos échantillons.

Caractériser les associations de microbes et de minéraux dans les échantillons de sol est l’une des prouesses rendues possibles par le microscope infrarouge. La résolution de ce microscope permet de distinguer les différents types de matière organique (morte ou vivante) et de minéraux dans les échantillons de sol.
Il s’agit du seul microscope infrarouge de ce type en Suisse et son nombre d’utilisateurs augmente rapidement à la FGSE ainsi que dans d’autres institutions dans les domaines des géosciences, de la microbiologie et de l’ingénierie.

Prochaines étapes : Relier les mécanismes à petite échelle aux observations macroscopiques

Marco Keiluweit : Notre objectif est de mieux prévoir la réaction des sols au changement climatique à l’avenir. Et nous ne pourrons améliorer nos prévisions qu’en établissant un lien entre les observations macroscopiques du changement et les mécanismes microscopiques. Ces dernières années, notre compréhension de la dynamique du carbone dans les sols a progressé rapidement, ce qui me fait espérer que nous serons mieux équipés pour faire face aux pressions croissantes exercées sur nos sols par le changement climatique et l’intensification de l’utilisation des terres à l’avenir.

Emily Lacroix : J’espère que mes premières expériences en conditions contrôlées seront concluantes. Je pourrais alors mesurer la formation de poches anoxiques (microsites) à proximité de vraies racines dans des conditions réelles. Si les résultats sont concluants, je souhaite effectuer des mesures qui nous permettront de mieux comprendre comment ces processus cruciaux influencent la dynamique du carbone dans le sol.

Pour en savoir plus

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *