Le Budget Terro réduit notre impact environnemental en donnant une valeur à la vie. Il accompagne la transition en étant solidaire des plus pauvres.
Par Thomas Boury,
Ce n’est plus à prouver, le mode de vie occidental en recherche de croissance perpétuelle provoque une avalanche de désastres écologique sur la Terre entière. D’innombrables études scientifiques nous alertent sur ces dangers invisibles à nos sens et dont les conséquences dépassent notre entendement, extinction de la biodiversité et réchauffement climatique en tête.
Face à ses menaces, oserons-nous inventer des systèmes de régulation qui nous permettront d’échapper à la catastrophe annoncée ? Oserons-nous remettre en cause notre frénésie consumériste et nos modes de production mondialisés basés sur un pétrole peu cher ? Oserons-nous assumer nos pollutions et sécuriser nos approvisionnements par la relocalisation de nos industries ? Essayons ici un petit exercice de pensée, osons rêver et soyons disruptifs pour le meilleur et non pour le pire. Imaginons un système de régulation inédit, le Budget Terro.
Le Budget Terro se veut un frein à notre consommation de masse qui détruit le vivant, alimente le réchauffement climatique, épuise les ressources et transforme notre planète en poubelle. Il réoriente les consommateurs vers une alimentation locale, de saison, biologique, peu transformée. Il favorise des biens d’équipement durables, réparables, produits localement, et peu polluants dans leur utilisation. Enfin il privilégie les énergies bas carbone.
À chaque début d’année, chaque français reçoit un Budget Terro qu’il pourra dépenser pour faire ses achats pendant un an. Le Budget Terro prend en compte l’ensemble des impacts environnementaux pour chaque objet ou service acheté : émission de CO2, consommation d’eau, production de déchets nucléaires, dispersion de produits chimiques, destruction de la biodiversité, utilisation de plastique, émission de particules fines, exploitation des ressources, dégradation des sols, déforestation, dispersion de médicaments etc…
Le Terro, une monnaie qui compte ce qui compte vraiment
Le Terro fait naître une nouvelle économie qui donne une valeur à la Terre et à la vie. L’économie actuelle, qui ne compte que les coûts du travail et du capital, est incapable de prendre en compte la valeur de la Terre et de la vie au prétexte que les ressources naturelles sont infinies. Aujourd’hui, confrontés à l’épuisement de nombreuses ressources minières dans les décennies à venir (argent, indium…), nous sommes obligés de reconnaître que notre monde est fini et que ce cadre de pensée économique centenaire est obsolète.
Attribué à hauteur de 20 000 Terros par personne, le budget Terro correspond environ au revenu médian des Français en euro. Dans son fonctionnement, le Budget Terro rejette toute interdiction, le consommateur fait librement ses choix et arbitre entre ses différents désirs pour respecter son budget. Il peut alors continuer à prendre l’avion mais devra renoncer à sa voiture ou inversement.
Concrètement, chaque article en vente a un prix en Terro en plus de son prix ordinaire affiché en euro. Un client peut donc facilement juger des qualités écologiques des produits en comparant leurs prix respectifs en Terro. Ces nouveaux prix en Terro accompagnent la volonté croissante des clients d’adopter une consommation plus écoresponsable et offrent une lisibilité que la multiplication des labels ne permet plus. Les achats impulsifs de fast fashion, de high-tech et d’autres gadgets, exemples typiques de produits non durables et de mauvaise qualité, seront limités par des prix en Terro plus dissuasifs. Le coût des services est conditionné à l’usage qui en est fait, de sorte qu’un abonnement mobile ou internet coûtera davantage selon la consommation totale de donnée.
Dans les faits, chaque consommateur possède une carte Terro. Comme une carte Vitale, cette carte porte un numéro individuel qui permet d’enregistrer tous les achats d’une personne et de les déduire de son Budget Terro annuel. À tout moment, il est possible de consulter son compte pour prendre connaissance de l’état de son Budget. La protection des données recueillies doit faire l’objet d’une rigueur extrême pour que celles-ci ne puissent pas être détournées pour d’autres applications.
Le Terro aide à donner des ordres de grandeur. Comparer ce qui vaut 1000 Terros à ce qui en vaut 1 permet de mieux comprendre les impacts de chacun de nos achats et d’adapter nos efforts judicieusement, en conscience. À titre d’exemple, en Terro, 1 aller-retour Paris – New York en avion équivaut environ à 14.000 km avec une Twingo en ville et à 4700 kilos de pommes de terre (équivalence limitée au CO2). Manger des patates bios toute l’année ne compensera donc jamais votre voyage en Amérique.
Le Budget Terro comme déclencheur d’une transition écologique solidaire
Le Budget Terro valorise la sobriété et la consommation écoresponsable et pénalise la surconsommation. De fait, en fin d’année, les consommateurs dont les achats ont un faible impact écologique recevront un Bonus incitatif versé en fonction du montant en Terro restant dans leur Budget. À contrario, si le Budget est dépassé, le consommateur devra payer un Malus proportionnel au dépassement. Le Malus est utilisé exclusivement pour financer le Bonus et accompagner la transformation des entreprises. Ce système de Bonus-Malus est évidemment solidaire des ménages modestes, toute transition écologique étant impossible sans un soutien aux plus pauvres.
Les investissements liés à la transition écologique concernant la mobilité, l’isolation des logements et la transformation énergétique peuvent également être soutenus par le Terro, remplaçant ainsi des systèmes d’aide illisibles et arbitraires. Prenons comme exemple le remplacement d’une chaudière au fioul par une pompe à chaleur. L’aide en Terro attribuée pour la pompe à chaleur tient compte de quelques paramètres : l’impact écologique de la pompe à chaleur elle-même, l’estimation de sa durée de vie, les économies d’émission de CO2 et la production de déchets nucléaires sur toute cette durée de vie. Plus le gain écologique est important, plus l’aide en Terro le sera. Les aides sont donc allouées sur des gains écologique réels calculés, et non sur des choix politiques.
Des fondements scientifiques plutôt qu’idéologiques ou financiers
Mais d’où vient ce prix en Terro ? Qui le calcule ? Une assemblée d’experts et de scientifiques indépendants devra évaluer les coûts environnementaux des plastiques, des métaux, des carburants, des pesticides, des engrais azotés, des médicaments et de tout ce que nous produisons. Les coûts environnementaux des substances sont d’autant plus importants qu’ils participent à l’aggravation des risques planétaires les plus menaçants (cf rapport de Rockström sur les limites planétaires). Citons par ordre d’importance les trois risques majeurs : la disparition de la biodiversité, la perturbation du cycle de l’azote, et le réchauffement climatique. Certains coûts seront délicats à estimer. Le cas du nucléaire, qui produit des déchets hautement toxiques d’une durée de vie très longue, mais qui est en même temps une énergie bas carbone, illustre bien cette difficulté. L’arbitrage entre bénéfices et risques est posé statistiquement et non idéologiquement. L’objet du Terro n’est en aucun cas de se substituer aux agences sanitaires pour déterminer les atteintes sur la santé humaine.
Une fois ces coûts de base évalués, les entreprises les intègrent à une analyse du cycle de vie pour estimer le coût des produits fabriqués en Terro. L’analyse du cycle de vie (ACV) est une méthode d’évaluation normalisée (ISO 14040 et 14044) permettant de réaliser un bilan environnemental multicritères et multi-étapes d’un système (produit, service, entreprise ou procédé) sur l’ensemble de son cycle de vie (cf Wikipédia). Il suffit de compléter et d’adapter les méthodologies d’ACV à l’utilisation du Terro. Un système d’aides et de barèmes doit être mis en place pour accompagner les entreprises de petites tailles dans la définition de leurs prix en Terro. Les prix en Terro sont donc totalement dissociés des marchés financiers et ne peuvent être soumis à aucune spéculation.
Le consommateur prend soudain conscience que nous devons collectivement changer nos habitudes pour respecter notre Budget Terro individuel. En parallèle, les entreprises comprennent qu’elles doivent répondre à de nouvelles attentes et se contraignent à baisser le prix en Terro de leurs produits. Un cercle vertueux se met alors en place. La qualité et la réparabilité des produits s’améliorent. Les premières relocalisations industrielles et les mutations agricoles s’opèrent. Petit à petit les impacts environnementaux liés à la consommation décroissent. Pour accélérer ce mécanisme le budget Terro diminue de 3% tous les ans, soit une diminution d’environ 50% des dégâts environnementaux en 20 ans.
De nouveaux prix pour une consommation écoresponsable
Les prix vont-ils augmenter pour le consommateur ? Il ne faut pas se le cacher, les prix vont forcément augmenter, en partie à cause des relocalisations et de la baisse des volumes vendus. Mais il faut raisonner à long terme, et en termes qualitatifs plus que quantitatifs. Aujourd’hui la durée de vie moyenne d’un lave-linge est de 7 ans. Si demain ces mêmes lave-linges ont une durée de vie de 20 ou 30 ans, leur prix peut bien être multiplié par deux sans que le consommateur ne perde de pouvoir d’achat. Le but du Terro est de toujours privilégier la qualité à la quantité, à l’opposé de la tendance actuelle. Cette question du prix pose aussi un problème éthique. Est-il juste de laisser une dette environnementale abyssale à nos enfants ? En d’autres termes, acceptons-nous aujourd’hui de perdre un peu de notre pouvoir d’achat pour que demain notre planète reste habitable ?
Est-ce si fou d’imaginer la mise en place de ce Budget Terro ? Bien que la conscience écologiste émerge dans notre pays, beaucoup semblent encore penser que la construction de quelques panneaux solaires suffira à répondre aux enjeux du XXI siècle. Piégés dans les logiques de croissance et de solutionnisme technologique, il nous est presque impossible d’imaginer un autre monde. Le budget Terro semble ambitieux, certains diront radical. En réalité, face à l’immensité des défis auxquels nous faisons face, nous n’avons d’autre choix que de proposer des projets de rupture, basés sur de nouvelles valeurs et ayant la force de redessiner des futurs souhaitables.
Rêvons encore un peu plus loin. Basé sur la valeur donnée à la vie, le Terro est une monnaie qui n’a pas de frontière, elle est par essence universelle. Le modèle du Budget Terro pourrait potentiellement être appliqué dans le monde entier, inspirant aussi bien les pays industrialisés que les pays en voie de développement. Pour cela il faudrait préalablement que les états abandonnent leur rêve de grandeur et comprennent que toute la puissance du monde ne sert à rien dans un monde devenu inhabitable.