L’exil des communards

Le Café du Levant à Genève, un des lieux où les exilés communeux aimaient à se retrouver. (Le Monde illustré, collection particulière).

Pour celles et ceux des vaincus de 1871 un tant soit peu connus qui n’étaient pas morts ou en prison, la fuite hors de France fut souvent la seule possibilité d’échapper à « l’expiation complète » promise par M. Thiers. Mais en quoi consista, concrètement, cette fuite ?

L’exil des communards parisiens et provinciaux reste aujourd’hui encore une question insuffisamment connue. Il est d’ailleurs assez révélateur qu’il ait fallu attendre 2003 pour que soit tentée une première synthèse par Marc Vuilleumier, notre collègue suisse récemment disparu, à qui je tiens ici à rendre publiquement hommage.

Je me propose donc de procéder à un rapide tour d’horizon concernant l’état de nos connaissances en pointant quelques questions d’ordre général ou méthodologique.

Pour celles et ceux des vaincus un tant soit peu connus qui n’étaient pas morts ou en prison, la fuite hors de France fut souvent la seule possibilité d’échapper à « l’expiation complète » promise par M. Thiers.

Partir donc, mais où ?

D’abord il fallait trouver un pays d’accueil dont les portes ne soient pas d’emblée fermées aux réfugiés politiques communeux, ce qui était loin d’être évident. Il fallait de plus que ce pays offre des garanties de sécurité suffisantes face aux éventuelles demandes d’extradition formulées par la France.

Sur ces deux points, la situation variait d’un pays à l’autre. Aux États-Unis les réfugiés politiques étaient considérés comme des immigrés ordinaires et admis sans aucune restriction ; en Grande-Bretagne il existait une solide tradition d’accueil des exilés politiques et, depuis l’affaire Simon Bernard en avril 1858, les réfugiés se savaient protégés par les tribunaux anglais. En Belgique, les communards fugitifs étaient tolérés à la condition de s’engager à ne pas avoir d’activité politique. En Suisse la situation était différente dans chaque canton ; mais dès juillet 1871, le canton de Genève refusa de donner suite à la demande d’extradition qui visait Razoua après que sections locales de l’AIT eurent agité la question de l’indépendance nationale, et cela semble avoir dissuadé les autorités françaises de faire d’autres tentatives dans ce sens. Ailleurs, les problèmes se réglaient souvent au cas par cas.

Le refus opposé par les tribunaux du canton de Genève à la demande d’extradition d’Eugène Razoua dissuada la France de renouveler ce genre de procédure (collection particulière).

Pour les candidats à l’exil, deux autres critères avaient également une grande importance : la proximité géographique du pays d’accueil avec l’Hexagone, car dans l’attente du retour espéré, la plupart d’entre eux souhaitaient ne pas trop s’en éloigner ; et si possible qu’on y parle français. C’est ainsi qu’en Belgique la quasi totalité des communards s’installèrent à Bruxelles et en Wallonie, et il en alla de même en Suisse, où les réfugiés, notamment ceux qui s’étaient compromis dans les tentatives communalistes de la moitié sud de la France, plébiscitèrent les cantons francophones, et particulièrement la ville de Genève si proche de la frontière, alors même que la Suisse alémanique offrait bien davantage d’opportunités d’emploi.

Reste que les candidats au départ saisirent en général la première opportunité qui s’offrait à eux, sans vraiment choisir. On sait que certains d’entre eux bénéficièrent de l’aide de diverses filières organisées : les militants suisses et belges de l’AIT se montrèrent les plus actifs dans ce domaine en apportant à Paris des passeports en blanc, mais a aussi connaissance d’exfiltrations organisées par certains milieux radicaux ou Franc-maçons, et même protestants. On ignore combien de fugitifs bénéficièrent de ce type d’aide, mais en tout état de cause cela ne concerna qu’une petite minorité. Quelques autres purent s’en remettre individuellement à des solidarités professionnelles ou amicales pour bénéficier de documents d’identité prêtés ou d’un voyage clandestin en train, déguisés en chauffeur de locomotive. On peut même citer le cas du sous-gouverneur en charge de la Banque de France durant la Commune, le marquis de Ploeuc, qui accompagna en personne jusqu’en Suisse Charles Beslay, l’ancien délégué communard à la Banque. Mais la grande majorité des fugitifs ne purent compter que sur eux-mêmes et durent se contenter de partir là où ils pouvaient.

Pour toutes ces raisons, le choix du premier pays d’accueil fut au mieux un choix contraint, et le plus souvent un non-choix.

Quel fut le nombre de ces exilés ?

Il est là encore difficile de répondre avec précision. On sait que 3 313 condamnations par contumaces furent prononcées. Mais tous ces condamnés n’étaient pas partis en exil. Certains avaient été sommairement exécutés, d’autres se terraient en province en s’efforçant de dissimuler leur identité. À l’inverse, beaucoup avaient simplement anticipé une condamnation jugée inévitable, mais qui parfois ne se matérialisa pas à cause de l’engorgement des cours martiales. À tous ceux-là doivent aussi être ajoutés les quelque 300 prévenus condamnés à des peines de bannissement.

En l’absence d’une liste officielle compilée par les autorités françaises, la seule manière de parvenir à une estimation plausible du nombre des exilés communeux est d’additionner les effectifs connus pour chacun des pays d’accueil. Soit pour la Suisse sans doute moins de 1 000 individus (dont 500 dans la seule ville de Genève) ; 1 700 pour la Belgique ; et moins de 2 000 pour la Grande-Bretagne. D’autres pays encore en accueillirent au total peut-être trois centaines (environ 200 aux États-Unis, une poignée en Italie, en Espagne, au Luxembourg, en Allemagne, en Autriche-Hongrie, en Uruguay et en Argentine, etc.). En ajoutant les épouses et les enfants qui suivirent parfois le père de famille dans sa fuite ou le rejoignirent au bout de quelques mois, on arrive à un total de l’ordre de 5 à 6 000 personnes.

La difficulté ici est double. D’abord la documentation disponible s’avère très hétérogène en fonction des dispositions légales et des pratiques propres à chaque pays d’accueil, mais aussi suivant la période. On dispose ainsi d’une liste nominative assez précise compilée par les autorités pour la Belgique ; pour la Grande-Bretagne une liste nominative a été reconstruite par l’historien Paul Martinez, qui pense avoir identifié entre 80 et 90 % des exilés. Pour les États-Unis, on en connaît sans doute un peu plus de la moitié grâce à leur presse. En revanche, en ce qui concerne la Suisse, il règne un certain flou, car quand ils ont été conservés, les recensements cantonaux concernant les exilés sont d’une fiabilité variable. Reste aussi le problème des femmes, invisibles parmi les invisibles, dont on n’apprend souvent la présence en exil que de façon incidente.

Capitaine de la Garde nationale sous la Commune, Jules Perrier réussit à gagner Genève où il ouvrit un magasin spécialisé dans le tissu de deuil. Il devint ultérieurement le premier grand collectionneur de souvenirs de la Commune (collection particulière).

De plus, au-delà des deux premières années d’exil certaines sources commencent à se se tarir et les renseignements deviennent moins précis. Avec l’usure du temps, la presse des exilés s’étiole et leur action militante décline du fait de la crise que connaît l’AIT, à laquelle beaucoup ont adhéré ; par ailleurs la surveillance par les polices locales et/ou françaises, ainsi que par les consuls tend à se relâcher. Il en résulte que l’état des nos connaissances est fluctuant suivant les pays.

Ensuite, on sait que les exilés ont été très nombreux à multiplier les déplacements d’un pays à l’autre – pour des raisons d’ailleurs très diverses : recherche d’un emploi, d’un climat plus clément, pour échapper à des tracasseries policières ou aller retrouver des amis, etc. Il faut donc prendre garde à ne pas les compter deux fois ou plus et procéder à des vérifications en prenant en compte les itinéraires individuels, du moins quand ils nous sont connus.

Qu’était-ce que la vie en exil ?

Nous n’avons là aussi qu’une connaissance parcellaire. Après avoir quitté la France, les communards en fuite se trouvaient certes en sécurité, mais confrontés à toute une série de problèmes intrinsèquement liés à leur nouvelle condition d’exilé.

On sait que le temps de l’exil est borné par deux moments, celui de l’arrivée et celui du retour, et traversé par une interrogation lancinante, celle de la durée. Car l’exilé vit dans une attente permanente et ne s’installe pratiquement jamais définitivement. Dans le cas des communards, après la fin de non-recevoir opposée aux premières demandes d’amnistie de l’automne 1871, il apparut très vite que l’attente allait être longue. Il fallait donc s’organiser pour tenir dans la durée.

Dans leur vie de chaque jour, difficile par définition, une des consolations offertes aux communards réfugiés à l’étranger était le fait d’appartenir à une communauté, et parfois d’y trouver aide matérielle et soutien moral, en se retrouvant notamment dans divers lieux de sociabilité où ils pouvaient échanger souvenirs et espoirs de revanche prochaine.

Le Café du Levant à Genève, un des lieux où les exilés communeux aimaient à se retrouver. (Le Monde illustré, collection particulière).

Pourtant, en dépit d’une fraternité politique réélle reposant à la fois sur un vécu commun, sur des détestations unanimes (des despotes en général et de Thiers en particulier, de la bourgeoisie affairiste et des massacreurs du peuple, …), ainsi que sur quelques idéaux largement partagés, tels leur foi en une république qui serait démocratique et sociale – encore que des désaccords étaient susceptibles d’apparaître dès qu’il s’agissait de préciser le contenu de la formule –, les lignes de fracture politiques étaient nombreuses et les causes de fâcherie tout autant. Dans plusieurs cas, celles-ci dégénérèrent en conflits ouverts, avec des accusations ad hominem, parfois tranchées par des jurys d’honneur, voire par des bagarres ou un duel.

Tandis que la France paraissait entrer dans une phase de normalisation et d’apaisement en s’efforçant d’oublier le dénouement sanglant de la Commune, constat qui semble avoir engendré chez beaucoup d’exilés une lente montée de la désespérance, les divisions politiques en leur sein, l’éclatement de l’Internationale en deux tendances se vouant une haine réciproque avant son rapide déclin, les manœuvres en sous-main des blanquistes, qui tentèrent en 1873-74 une véritable OPA sur une Internationale déjà moribonde, les difficultés à trouver des relais de propagande en France et la crainte récurrente d’un coup d’État royaliste furent autant de facteurs à l’origine d’une fragmentation progressive de la communauté des exilés. Sans compter que nombre d’entre eux furent par la force des choses contraints d’opter pour des stratégies de survie individuelles – je vais y revenir –, prenant du même coup leurs distances avec la vie collective du groupe.

On peut cependant constater qu’à partir des contacts noués au sein de la communauté exilée, il se créa toute une série de réseaux, généralement de nature politique, dont la réactivation périodique, y compris après le retour d’exil, laisse deviner qu’ils ne cessèrent sans doute jamais totalement de fonctionner, ne serait-ce qu’au ralenti, ou sur la base d’affinités personnelles.

Quelle fut l’influence et les répercussions de la présence des exilés communards dans la vie politique intérieure des pays d’accueil ?

Même si on possède déjà quelques indications par exemple pour la Suisse, grâce là encore à Marc Vuilleumier, ou pour les Etats-Unis, c’est un point qui reste encore largement à explorer.

Questions de méthode : les fruits d’une approche de bas en haut

Si elle est nécessaire, une approche de haut en bas ne saurait à elle seule épuiser la question qui nous préoccupe. Il faut donc l’aborder de façon à renverser la perspective, en procédant de bas en haut, par une approche plus ciblée des exilés pris en tant qu’individus. Il est en effet essentiel d’insister sur ce point : si l’exil constitua une expérience collective, ce fut aussi pour chacun des protagonistes concernés une expérience singulière.

Car en dépit de leur appartenance à une communauté, et parfois même à cause de son existence, chaque exilé restait individuellement confronté à des difficultés sans nombre. On connaît les plaies de l’exil telles que les a définies Étienne Arago alors qu’il vivait lui-même une expérience douloureuse en Suisse une décennie plus tôt[1] : tout exilé est individuellement victime de l’oisiveté forcée et de son isolement, d’où un sentiment de découragement croissant et, paradoxalement, une exacerbation de son orgueil national qui tend à le couper de la population locale. Il rumine son humiliation qui le pousse à se répandre en récriminations. Sans compter le fait qu’il doit vivre dans la crainte perpétuelle des mouchards et des agents provocateurs – craintes qui ne relevaient pas du fantasme, car les archives de la police française ont révélé un certain nombre de cas de trahison avérée.

C’est là une autre raison qui rend la question de l’exil difficile à appréhender pour l’historien. Si les exilés ont bien partagé une expérience collective, il y a aussi dans l’exil une dimension très personnelle. Et, il faut le dire, les principaux concernés se sont d’une manière générale montrés peu enclins à s’épancher sur cette période difficile de leur vie. À côté de ce qu’ils ont partagé et qui leur est commun, chacun d’entre eux pouvait vivre une même situation de façon très différente. Il importe donc de reprendre la question au niveau du vécu de chaque individu, en sachant que l’on va immanquablement se heurter à des difficultés encore plus importantes concernant la recherche de sources.

La première chose qui frappe quand on suit des itinéraires individuels, c’est que l’arrivée en terre d’exil fut un moment particulièrement difficile. Alors même que sauf exception les vaincus se retrouvaient totalement démunis et déstabilisés, il leur fallait surmonter le choc d’une réadaptation dans un environnement profondément étranger. Tous les problèmes étaient à résoudre simultanément : assurer le pain quotidien, trouver un logement, un travail, le cas échéant se familiariser avec une langue inconnue, affronter les différences culturelles, se conformer aux lois en vigueur sous peine d’être sanctionné ou expulsé. Ce fut sans doute le moment où la solidarité des nationaux des pays d’accueil fut la plus indispensable. Or, presque partout, la population locale se montra au mieux méfiante et le plus souvent hostile face à ceux qui lui avaient été présentés par la presse comme des monstres sanguinaires. Seule exception notable, la petite frange politisée qui gravitait autour des sections de l’Internationale et qui avait eu accès à d’autres sources d’information concernant la réalité de la Commune. Même si elle diminua progressivement, la solidarité de cette poignée de coreligionaires politiques fut dans bien des cas un réconfort précieux, car c’est de ceux-là que vinrent les premières aides à l’installation. Ainsi à New York, le Suisse Constant Christenert, qui tenait une pension, nourrit et logea les réfugiés communards à leur arrivée le temps qu’ils puissent trouver un travail. En Angleterre, en Suisse, en Belgique et aux États-Unis, les sections de l’AIT organisèrent plusieurs souscriptions qui vinrent s’ajouter aux maigres subsides arrivant de France. Reste que les réfugiés connurent le plus souvent une existence d’emblée marquée par une précarité à peine atténuée par cette solidarité.

Assez rapidement, les exilés prirent eux-mêmes l’initiative de construire des formes d’entraide : restaurants coopératifs, comme la Marmite sociale à Genève et à Bruxelles, écoles pour les enfants de réfugiés à Londres, aides financières par le biais de sociétés comme La Solidarité à Genève ou, plus tard, les tombolas organisées par la Société des réfugiés de Londres (parmi les lots un tableau de Courbet ou des ouvrages dédicacés de Marx…). L’entraide joua parfois aussi dans la recherche d’un emploi. On peut par exemple citer l’entreprise de construction mécanique créée par Langevin et Avrial en Alsace, qui employa un certain nombre de rescapés de la Commune avant d’être contrainte de fermer par décision des autorités allemandes, ou encore à Lausanne Paul Pia, qui fit embaucher plusieurs exilés installés en Suisse par la société de chemin de fer qu’il était chargé de liquider[2].

Au final, les communards exilés connurent des fortunes variées qu’il faut apprécier au cas par cas, en fonction de leurs aptitudes professionnelles et de la situation économique du moment – et on sait par exemple à quel point la crise économique mondiale de 1873-1874 s’avéra déstabilisante pour le marché de l’empoi –, parfois aussi de circonstances fortuites. À une extrémité de l’éventail il y eut quelques réussites notables : le fondeur d’art Zéphirin Camélinat, ancien directeur de la Monnaie, réussit son intégration en Angleterre, s’y remaria après le décès de sa compagne, et y créa une entreprise métallurgique ainsi que plusieurs commerces rapidement prospères ; mais il possédait les rudiments de la langue. Ou en Suisse l’ancien colonel Adolphe Bertheault, qui fonda à Genève une entreprise de construction, laquelle remporta le marché de l’édification du monument Brunswick. Autres exemples un peu surprenants, le colonel Brunel, entré sur concours à l’École navale de Dartmouth en Grande-Bretagne comme professeur et qui eut pour élève le futur Édouard VII, ou encore Paul Martine, ancien normalien, qui devint le précepteur des enfants du commandant de la Garde impériale en Russie. On connaît aussi quelques cas de reconversion réussie : on pense par exemple à Jean-Louis Pindy, ébéniste de métier, devenu essayeur-poinçonneur d’or juré dans le Jura suisse, où il s’installa définitivement.

Membre élu de la Commune, colonel gouverneur de l’Hôtel de Ville, Jean-Louis Pindy se réfugia en Suisse où il milita activement au sein de la Fédération jurassienne de l’Internationale. Installé à La Chaux-de-Fonds, il obtint le brevet cantonal d’essayeur-juré en 1876 et fut reçu premier au concours d’essayeur-poinçonneur des matières d’or et d’argent soumises au contrôle de l’État (collection particulière).

Il faut d’ailleurs noter à propos de cette petite minorité que leur réussite n’entraîna pas de renoncements idéologiques spectaculaires. 

À l’inverse, beaucoup de réfugiés semblent avoir eu une vie passablement voire extrêmement difficile, à l’image du journaliste et chansonnier Jean-Baptiste Clément, qui fut contraint d’avoir recours à divers expédients pour survivre. Quant au général Okolowicz, qui vivotait à Bruxelles de son petit négoce en mercerie, il évita l’expulsion grâce à la protection d’un politicien catholique conservateur personnellement très intéressé par ses talents de racommodeur de porcelaines de Chine. D’une manière générale, la vie des communards exilés fut plutôt aléatoire.

Retracer dans le détail des milliers de parcours d’exilés reste pour l’instant un objectif difficilement atteignable. L’expérience nous donne cependant quelques bonnes raisons d’espérer que l’avènement de l’informatique et l’engouement pour la généalogie débouchera sur des échanges fructueux d’information avec la cinquième ou sixième génération de leurs descendants.

Retourner au pays ?

Pour en finir avec cet inventaire, il reste une question importante à évoquer, celle du retour au pays. Grâce aux travaux de Laure Godineau, c’est sans doute le chapitre le mieux connu de l’histoire de l’exil communard. Je me contenterai donc de quelques remarques générales.

Longtemps ardemment espéré, le retour au pays s’avéra souvent difficile. Quasiment une décennie s’était écoulée, et une page nouvelle était en train de s’écrire : la République (conservatrice et modérée) était désormais solidement installée et la situation politique avait changé. L’usine remplaçait un peu partout l’atelier et, éprouvés par les difficultés de la période qu’ils venaient de vivre et par les efforts consentis pour s’adapter à un mode de vie totalement différent, ceux qui revenaient n’étaient plus les mêmes. Pour beaucoup, le retour d’exil s’apparenta dans les faits à un deuxième exil, avec son lot de nouvelles souffrances vécues comme la prolongation de celles de l’exil, et avec pour ces hommes et ces femmes le sentiment amer de se sentir étranger dans un pays qu’ils pensaient être le leur, mais qui ne ressemblait pas vraiment à celui qu’ils avaient idéalisé durant leur éloignement forcé. En dépit de l’accueil triomphal réservé à quelques grandes figures comme Rochefort, Vallès ou Louise Michel, le retour des exilés, mais aussi des déportés amnistiés, se fit dans une relative indifférence et leur réinstallation au sein de la société française fut souvent difficile et décevante.

Rien de surprenant donc à ce que le retour en politique des anciens exilés ait été divers. Alors qu’ils se trouvaient désormais devant un mouvement ouvrier nouveau et différent, qui s’était bâti sans eux – nonobstant l’aide apportée en coulisse par Malon à l’occasion du congrès ouvrier de Marseille qui vota en 1879 un programme collectiviste –, il ne se forma pas le « parti de la Commune » que certains avaient espéré depuis l’exil. On peut néanmoins rappeler qu’une poignée d’anciens exilés furent élus à différents postes de responsabilité, et que l’expérience de l’exil communard ne fut pas sans influence sur la vie politique à la gauche de l’échiquier français, puisqu’à l’exception de Jaurès, tous les chefs de file des principaux courants se réclamant du socialisme furent d’anciens exilés ou déportés : Eudes et Vaillant pour les blanquistes, Malon, Guesde, Lafargue, Brousse, ou encore Allemane, pour sa part ancien déporté en Nouvelle-Calédonie. Mais d’autres, bien plus nombreux, firent le choix de se cantonner dans une pratique militante locale ou se fondirent dans l’anonymat.

La page de l’épisode communaliste se trouva dès lors en partie tournée, laissant progressivement aux commémorations puis aux historiens le soin d’en perpétuer la mémoire.

Michel Cordillot est professeur émérite de civilisation américaine à l’université Paris-8. Il a récemment coordonné La Commune de Paris 1871. Les acteurs, l’événement, les lieux, Paris, éditions de l’Atelier, 2021.

Note de bas de page

  1. Étienne Arago, Une voix de l’exil. Genève, Blanchard, 1860 ; « Les sept plaies de l’exil », p. 211-213.
  2. A ce propos, voir le billet de Christian Marmy sur ce blog.

Pour citer ce billet de blog : Michel Cordillot, « L’exil des communards », Blog du Centre Walras-Pareto, 1 novembre 2021, https://wp.unil.ch/cwp-blog/2021/11/lexil-des-communard-es/.

Vous aimerez aussi...