Par Emilie Roch
Cupidon est malade / de Pauline Sales / mis en scène Jean Bellorini / Le Théâtre du Passage / 21 février 2016 / plus d’infos
Librement inspiré du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare, Cupidon est malade aborde avec fraîcheur et originalité le thème du divorce et du remariage à travers le point de vue des enfants.
« Un mariage est une bonne journée pour enterrer une hache de guerre », déclare Lysandre à sa toute nouvelle épouse Hermia, un peu attristée dans sa robe blanche en tulle. C’est que le plus beau jour de la vie de cette dernière est obscurci par l’humeur maussade de sa fille Tine, qui ne montre aucun enthousiasme face à l’union de sa mère avec le père de Robin. Tine et Robin ont une dizaine d’années, ne sont pas frère et sœur et assistent au remariage d’un de leurs parents. Ils ressassent les phrases types que les parents servent aux enfants pour leur annoncer leur séparation : « il n’y a pas de responsable, personne de coupable, surtout pas toi, ne va pas t’imaginer ça », etc. Puisqu’eux doivent se forcer à manger des choux de Bruxelles, leurs parents ne pourraient-ils pas se forcer à s’aimer encore, rien qu’un peu, juste assez pour rester ensemble ? Tine et Robin, bien déterminés à désunir le nouveau couple formé par Hermia et Lysandre, trouvent un allié en la personne de Cupidon, rencontré par Tine quelque temps auparavant. D’après le récit de la jeune fille, l’époque antique où le dieu de l’Amour pouvait voler, armé de son arc et ses flèches, semble bien loin. Au XXIe siècle, Cupidon est aveugle, bossu à cause de ses ailes atrophiées et vit dans un HLM avec sa mère Vénus. Constat de la précarisation de l’amour, à une époque où le nombre de divorces a explosé ? Toujours est-il que Cupidon a remis à Tine un petit pot de confiture, pouvant faire tomber amoureux celui qui le renifle de la première personne qu’il verra. Les deux enfants décident de s’en servir, dans l’espoir que leurs parents respectifs se remettent ensemble : Hélène, la mère de Robin, et Bottom, le père de Tine, sont également présents au mariage.
Le spectacle se décline en deux parties : dans la première, les enfants occupent le devant de la scène et élaborent un plan d’action ; dans la deuxième, ils sont spectateurs des conséquences assez désastreuses du philtre, qui n’a évidemment pas fonctionné comme ils l’escomptaient. Les quatre adultes vont ainsi s’aimer et se déchirer le temps d’une nuit d’été, jusqu’à l’aube et la résolution apaisée qu’elle amène. Tous les ingrédients sont présents pour captiver un jeune public, bien représenté ce 21 février au Théâtre du Passage : un jeu d’acteurs très dynamique, une scénographie et de la musique jouant de contrastes visuels et sonores. Le vert de la pelouse, l’écran en arrière-fond oscillant du rose au bleu, les costumes aux couleurs vives, les boules à facettes qui tombent du plafond, tant d’éléments qui captent le regard du spectateur. De plus, la métaphore du football qui traverse toute la pièce pour signifier que le théâtre est surtout un terrain de jeu, tout comme l’amour peut-être, est en même temps très ludique. Tous les personnages – y compris la mariée – portent des crampons assortis à leur costume et le philtre d’amour est caché par les enfants à l’intérieur du ballon de foot avec lequel les parents se font des passes au début de la pièce. Jouée sur scène par deux musiciens, la musique alterne des morceaux de clavecin aux sonorités baroques avec d’autres tout à fait électro accompagnés à la batterie électronique. Manière intéressante de faire le pont entre Shakespeare et le texte de Pauline Sales. Le texte est par ailleurs très rythmé, parfois rimé, presque versifié, musical au point que la parole des personnages se transforme en chant dans les moments de forte émotion.
Cupidon est malade mobilise quelques noms et rôles des personnages du Songe d’une nuit d’été, dont il reprend également le topos du philtre d’amour mal administré. L’opposition entre le monde des fées et celui des hommes du Songe se transforme en une opposition entre l’univers des enfants et celui des adultes dans la pièce mise en scène par Jean Bellorini. En cherchant à raviver l’amour éteint entre leurs parents, Tine et Robin les observent succomber aveuglément aux sentiments les plus artificiels, car provoqués par un charme magique. Si le pot de confiture enchanté n’apporte pas les résultats espérés par les deux enfants, il a tout de même le mérite de les aider à accepter le mariage d’Hermia et de Lysandre et à comprendre que les flèches de Cupidon ne frappent pas forcément qu’une fois et pour la vie. La pièce porte un regard empathique tant sur le bonheur des parents qui se remarient que sur la souffrance éprouvée par les enfants. Au spectateur de se faire l’arbitre de cette partie entre deux mondes.