Par Théo Krebs
Une critique sur le spectacle :
Le Jardin des délices / Conception et mise en scène par Philippe Quesne / Compagnie Vivarium Studio / Théâtre de Vidy (Lausanne) / du 26 septembre au 5 octobre 2023 / Plus d’infos.
Au théâtre de Vidy, Philippe Quesne et la compagnie Vivarium studio présentent Le Jardin des délices, inspiré du tableau du même nom de Jérôme Bosch. Dans cette juxtaposition de paroles, d’images, d’actions, de textes et de sons, les spectateurs sont libres de faire leur marché. Mais ces éléments disparates ne sont pas organisés pour les inviter à entrer dans le spectacle, qui reste opaque.
Huit personnages ayant l’air de revenir du New Age sortent d’un van. Ils apportent avec eux un œuf géant qu’ils déposent au sol. L’un après l’autre, ils effectuent ce qui ressemble à un rituel. Aucun d’entre eux ne fait la même chose, ils ne semblent pas vraiment s’écouter. Ce rituel commun est en fait un ensemble de gestes individuels. Très vite, certains s’éloignent du groupe et s’en vont, en parallèle, monter diverses installations, des haut-parleurs ou encore des chaises pour un cercle de parole.
C’est là la grande force du spectacle : l’attention des spectateurs n’est jamais réellement dirigée. À tout moment, nous sommes libres de regarder où nos yeux nous portent. La compagnie Vivarium studio porte bien son nom : les spectateurs se trouvent face à cette scène comme devant un bocal où ils sont libres d’observer ceux qui évoluent au sein de cet espace délimité par la scène. L’un des défis sera de tenter de retracer les règles qui ont cours dans cet univers.
Il peut cependant être difficile d’y parvenir, et de relier ces différentes images hétérogènes entre elles. Apparaîtront souvent des évocations ponctuelles du tableau de Jérôme Bosch : des poses, des fraises énormes en fond de scène, ou encore l’œuf géant du début. Différents morceaux de textes empruntés à Shakespeare, à Dante, à Van Ruysbrock et à Laura Vazquez sont donnés à entendre, proférés par les personnages ; ou à voir, projetés sur un écran. Ils se perdent sur la scène tandis que les paroles se superposent.
Les personnages se donnent en spectacle. L’un commence à parler dans ce cercle de parole où chacun est censé présenter un poème l’un après l’autre. Mais ce n’est pas réellement ainsi que cela se passe : ils s’interrompent sans cesse, pour proposer un autre poème, une chanson, ou faire un grand bruit. Les personnages sont incapables de s’écouter entre eux. Les spectateurs eux-mêmes pourront avoir une grande peine à fixer leur attention sur l’un ou l’autre de ces éléments, pris dans ce maelström d’événements parallèles. D’autant plus qu’il y a, placé en bord de scène côté cour, un écran attirant l’œil, sur lequel défilent continuellement d’autres discours – ou parfois les mêmes, à l’avance. Sous cette avalanche d’informations, les spectateurs peuvent se perdre. Les personnages, en représentation entre eux, ne sont pas en représentation pour les spectateurs. Ces derniers ne sont pas invités à pénétrer dans ce qui se passe sur scène, seulement à regarder ces individus sortis du van comme une curiosité derrière une vitrine.
Seule exception, les moments musicaux collectifs, dans lesquels ces individus s’écoutent et font communauté dans une action unique. Ceux qui regardent peuvent alors se joindre à eux et se fondre dans cette expérience sensorielle. Ces moments sont malheureusement trop rares et trop courts, coupés à chaque fois par un bruit sourd qui interrompt le chant. Alors chaque individu se redétache du groupe et redevient individu. Et les spectateurs reviennent à leur place et recommencent à chercher un sens à ce qu’ils voient.