Par Ivan Garcia
D’autres / De Tiphanie Bovay-Klameth et Alexis Rime / Mise en scène par Tiphanie Bovay-Klameth et Alain Borek / Compagnie TBK / Théâtre 2.21 / du 28 février au 12 mars 2017 / Plus d’infos
Seule sur scène, la comédienne Tiphanie Bovay-Klameth fait vivre les « Autres ». Du pasteur typique de paroisse à la jeune marraine dévouée en passant par la coach de gym, elle nous fait remémorer des personnes qui ont probablement marqué notre vie et peut-être même la sienne…
En ce dimanche de mars 2017, la salle est comble au théâtre 2-21 de Lausanne. Il semblerait néanmoins que le dimanche n’y soit pour rien puisque toutes les représentations des jours suivants sont complètes ! Quel engouement ! Dès lors, on s’attend à une représentation exceptionnelle, pleine d’acteurs, de décors, d’effets spéciaux…. Pourtant, rien de tout cela. Dans ce petit carré noir du 2-21, une seule comédienne. Sans accessoires, sans autres compagnons, elle fait revivre un imaginaire « d’autres » et occupe l’espace de manière dynamique. Face à la multiplicité des personnages, il peut sembler un peu difficile pour le spectateur de s’y retrouver dans ce mélimélo de conversations entre les différentes personnes qu’incarne la comédienne. Néanmoins, une intrigue « principale » se perçoit : la soirée annuelle de la société de gym de Borigny.
Au début de la représentation, on se trouve face à une scène touchante dans laquelle une marraine veut jouer avec sa filleule, par la suite, nous assistons à la conception des costumes pour la soirée de gym de Borigny. On regarde alors le florilège de préparations qui nous amène à cette soirée ; répétitions, moments familiaux, décès et aléas personnels sont de la partie. La reconstitution de l’intrigue, des changements de personnages et des liens à établir échoit aux spectateurs qui devront se montrer actifs dans leur imaginaire. Quant à notre comédienne, elle assure parfaitement les transitions entre les différents personnages. Guidée par un décor se limitant à cette salle aux murs noirs et à quelques tuyaux métalliques, Tiphanie Bovay-Klameth utilise l’espace un peu comme une salle de jeux dans laquelle l’imagination trouve sa place. Scénario de gymnastique, danse folle et galipettes offrent un moment de ludisme aux spectateurs. Si la représentation comporte une forte dose de gaieté, elle aborde également le thème sérieux de la disparition du père qui marque beaucoup le personnage principal. Là, ce sera au spectateur de créer les liens qui manquent au récit et peut-être même qu’à la fin de la représentation, celui-ci aura une surprise lors de la dernière danse…
« D’autres » n’est pas uniquement le récit d’une vie ou la transfiguration d’un imaginaire délirant. Les moments et les rencontres qui ont lieu dans cette histoire ne se limitent pas à une singularité particulière mais nous touchent tous. Pour reprendre les mots de la romancière Annie Ernaux, nous sommes alors face à un « Je transpersonnel » qui permet à chacun de nous de reconnaître ces stéréotypes de personnages, ces clichés que chacun trouve dans son existence. En effet, qui ne peut retrouver dans ses propres souvenirs, des équivalents à cette présentatrice de soirée de gym avec ses phrases stéréotypées ? à ce pasteur qui prononce un sermon mais invite les gens à faire des dons pour soutenir les activités paroissiales? À cette vieille-dame qui établit une division entre « les jeunes » et les « vieux» au sein des sociétés locales? Il s’agit là peut-être de l’impact principal de cette représentation, faire surgir en nous des expériences vécues et des personnes rencontrées dans notre vie. Arthur Rimbaud mentionnait déjà que «Je est un autre». En moins métaphorique mais en plus authentique, Tiphanie Bovay-Klameth montre que si les « Autres » ont toujours été avec nous, il est toujours possible de les faire s’exprimer à travers nous et pour nous.