Pandax
Conception et mise en scène par Nicole Lagarde et Cirque La Compagnie / Théâtre Le Reflet (Vevey) / Du 3 au 4 mai 2025 / Critique par Hadrien Halter .
4 mai 2025
Par Hadrien Halter
Des cendres, un art bien vivant

S’éloignant d’une forme de cirque centrée sur la performance en tant que telle, La Compagnie propose avec Pandax un spectacle novateur et remarquable, racontant une histoire simple et touchante. Le résultat fascine autant qu’il impressionne ; il amuse autant qu’il émeut. Une nouvelle manière de faire du cirque, dont on redemande.
C’est l’histoire de cinq frères qui ne se connaissent pas, ou si peu. La seule chose qu’ils avaient en commun, leur père, est mort et tout juste sorti du crématoire. Il s’agit maintenant pour la fratrie d’inconnus d’aller répandre les cendres de leur paternel. Ils partent dans une Fiat Panda déglinguée afin d’honorer sa mémoire. Évidemment, le chemin est semé d’embûches et les problèmes, conflits et accidents s’empilent dangereusement. C’est tout simple, drôle, et pourtant c’est tellement plus.
Loin du spectacle circassien traditionnel tentant par tous les moyens de surpasser ses compétiteurs par des effets toujours plus sensationnels, loin des numéros à l’enchaînement discontinu, loin de faire du spectaculaire de chaque acte acrobatique une fin en soi, La Compagnie intègre ses numéros dans une dynamique narrative où chaque acte acrobatique sert le propos de son spectacle. Au début de celui-ci, les acrobates sont coincés dans leur petite voiture, faisant des tours et des tours de chapiteau. Ils s’élancent hors de leur automobile et y replongent : ils s’accrochent au toit, sautent du pare-brise manquant vers le capot défoncé ou bien courent depuis l’extérieur pour traverser la fenêtre ouverte d’une portière. Tout se passe bien et l’ambiance est bonne malgré les conflits inévitables, du moins jusqu’à ce qu’ils percutent un chevreuil (interprété sur scène par un régisseur plateau avec une fausse tête d’animal). Plus tard, la tentative de relancer le moteur de la voiture avec l’électricité d’un lampadaire se transforme en un numéro de mât chinois à plusieurs, culminant par la plongée d’un des artistes à travers les corps arqués de ses camarades, dans une descente jusqu’au sol à peine ralentie par la présence de ces derniers. Pendant une heure quinze, les cinq artistes revisitent avec un humour et une énergie fabuleuse les classiques du cirque : ils jouent avec des balles de pétanque, sautent à la bascule ou font des pyramides humaines à dos de moto. Rien ne paraît redondant ou hors de propos.
On pourrait légitimement comparer l’approche de La Compagnie à celle des spectacles de Marc Oosterhoff, qui, à travers la magie nouvelle, le cirque ou la danse, utilise l’illusion et le mouvement non pas comme fin en soi, mais comme des outils dramaturgiques au service de l’histoire racontée. De la même manière, les arts du cirque, sous la houlette de La Compagnie, se chargent à merveille de nous transmettre le récit placé au centre du spectacle, aussi bien que la psychologie des personnages que l’on suit. Tout ou presque dans Pandax est pantomime et le peu de paroles échangées sont presque inaudibles, sans que cela ne gêne jamais la compréhension de l’histoire. Le spectacle se charge ainsi d’une intensité narrative, d’une force poétique et d’une ingéniosité qui forcent l’admiration.
L’accompagnement musical assuré par Seraina De Block, Ondine Cantineau et Astrid Creve est étonnant et pourtant parfaitement adapté au spectacle. Il oscille entre musiques traditionnelles montagnardes, interprétées avec des instruments typiquement circassiens (trompette, sousaphone ou encore clavier aux sonorités d’orgue de barbarie) et des vocalisations rappelant les chants polyphoniques corses. Tantôt gaillard et entraînant, tantôt contemplatif et presque mélancolique, cet ensemble cohérent et puissant renforce la poésie visuelle des acrobates qui alternent pitreries et performances athlétiques.
En sortant du chapiteau, une réflexion s’est imposée à moi : le cirque offre aux arts vivants une manière singulière de renouveler leurs formes. De nombreux spectacles cherchent aujourd’hui à dépasser la frontalité classique du théâtre, de repenser la relation au public et les conventions de leur réception. Dans cette quête de renouveau, le cirque de La Compagnie pourrait servir de modèle : il invite le public à une expérience à la fois ludique et sensible, en jouant avec la dramaturgie et la scénographie d’une manière qui ouvre des perspectives stimulantes pour d’autres formes scéniques.
Le chapiteau planté dimanche à Vevey a fait salle comble et la longue ovation concluant la performance était entièrement méritée.
4 mai 2025
Par Hadrien Halter