Océan mer
D’après le roman d’Alessandro Baricco et la traduction de Françoise Brun / Mise en scène par Lionel Fournier / Théâtre Le Spot (Sion) / Du 7 au 10 mai 2025 / Critique par Killian Lachat .
9 mai 2025
Par Killian Lachat
Tableau à l’eau de mer

Sur la scène du Spot à Sion, la compagnie valaisanne Étéya interprète les occupants d’une pension en bord de mer. Dans une adaptation du roman Océan mer d’Alessandro Baricco sortit en 1993, Lionel Fournier propose un spectacle contemplatif jouant sur l’esthétique du tableau.
Dira, jeune fille de dix ans en charge de l’intendance de la pension Almayer, commence par s’adresser au public et se met à raconter le début de l’histoire. Sophie De Guérines, son interprète, joue la jeunesse enfantine tout en rappelant avec une pointe de malice l’impressionnante perspicacité du personnage, ce qui lui vaut un rôle de narratrice omnisciente au sein du spectacle, opérant les transitions et se chargeant de la narration entre les différents passages de l’intrigue et à la fin. L’adaptation se constitue par la suite en une mise en dialogue du roman tout en conservant son organisation tripartite : l’arrivée des personnages à la pension, le récit du naufrage et la fin tragique.
La compagnie est composée de pas moins de huit acteurs, ce qui permet d’offrir une adaptation riche du point de vue du ton. Par exemple, les personnes d’Elisewin – une jeune fille, interprétée par Chloé Zufferey, qui doit se soigner en entrant dans la mer – et de Sœur Pluche – une religieuse qui l’accompagne, campée par Olivia Seigne – offrent souvent un contrepoint comique à l’intrigue plus grave, par exemple au travers de la lecture des prières atypique de Sœur Pluche. Dans la même veine, le professeur Ismaël Bartelboom (Benjamin Bender) qui cherche la fin de la mer pour la consigner dans son Encyclopédie des Limites constitue le complément au peintre Michel Plasson (Christian Cordonier), qui, lui, cherche les yeux de la mer afin de savoir où elle commence. Les interactions de ces personnages constituent de brèves piqûres comiques, permettant de raviver l’attention des spectateurs face au tableau contemplatif qui lui est offert, souvent immobile, tout en rendant les personnages plus touchants.
Conformément au roman, la deuxième partie du spectacle, est entièrement dévouée à un impressionnant seul en scène de Yuriy Zavalnyouk, interprète du docteur Savigny, qui raconte le naufrage de son navire. Durant près de vingt-cinq minutes, il déclame face au public le récit du calvaire, de la folie et de la faim lors de la dérive qu’il a vécue sur un radeau. L’usage d’un rideau blanc derrière le comédien permet la projection d’un effet aquatique en fond bleu rappelant à la fois la mer et la folie du personnage – certaines formes mouvantes produisant un effet quasi-hypnotique. Il faut s’accrocher face à la longueur et à la lente descente dans la folie du docteur pour sentir monter l’intensité qui sourde, à la fois dans la voix mais aussi dans la basse sonore qui s’installe, avant de se libérer sous la forme d’un cri de détresse.
La troisième partie fait réapparaître les personnages principaux, y compris le taciturne Adams et l’adultérine Anne Devéria. Stéphanie Boll offre une interprétation posée et tout en sensibilité de ce personnage qui attend la venue de son amant. La poésie de la mer, censée la guérir, se traduit par un instant de danse et de fragilité, doublée par une musique planante. La tension monte peu à peu jusqu’au dénouement tragique. Contrairement à l’ensemble de la pièce qui utilise des nuances de bleu pour symboliser la mer, cette fin plonge la scène dans une lumière rouge surprenante, sans parole, suspendue au tempo d’une musique lente et sobre.
La mise en scène joue ainsi sur une esthétique contemplative, produisant différents tableaux. Les comédiens sont souvent tous présents sur scène et restent immobiles dans l’attente de leur réplique, le passage d’un moment et d’un lieu à un autre étant figuré par l’usage des lumières et des projecteurs. Les costumes, dans des nuances de bleu, et le plateau blanc, légèrement incliné et recouvert de valises, évoquent la mer. L’usage de la technique permet également d’accentuer cet effet contemplatif par l’ajout de musique extradiégétique au piano et au violoncelle, ou encore de chuchotements qui évoquent eux-mêmes le bruit des vagues, ajoutés par moment en interne à la fiction. Cette esthétique sobre permet de contempler la mer dans plusieurs registres, avant qu’elle ne s’éteigne petit-à-petit comme s’émiette la pension Almayer alors que tous les personnages quittent le plateau un à un.
9 mai 2025
Par Killian Lachat