Par Julie Fievez
Une critique sur le spectacle :
Booom ! / Une création collective avec Luxxx, Isabelle Vesseron, Carolina Varela, Adrien Rupp, Michael Scheuplein / Théâtre de Vidy / du 28 mars au 06 avril / Plus d’infos.
Le 30 mars 2021, la ZAD de la colline du Mormont, près d’Éclépens et de La Sarraz, est évacuée. BOOOM !, c’est le bruit que fait l’anéantissement de mois de lutte par les forces armées ; c’est le bruit de la dislocation des habitats, des liens et des rêves qui y grandissaient ; c’est surtout le bruit de colères, prêtes à exploser. Ces expériences sont transformées en un récit lumineux. BOOOM ! devient le bruit de l’impact que provoque cette création sur son public. Et, peut-être aussi, finalement, le bruit de touxtes cell.eux qui, ensemble, s’unissent pour un monde meilleur.
Les orchidées, symbole de la première ZAD suisse née le 17 octobre 2020, jonchent le sol. C’était alors pour les sauver des projets d’extension du cimentier Holcim que ce sont regroupé.e.x.s d’innombrable.x.s militant.e.x.s. Celles de plastique, présentes sur la scène du Théâtre de Vidy, ont un tout autre objectif. Il s’agit de raconter la lutte, non seulement comme instant donné mais surtout comme mode de vie. Pour cela, chacun.e.x utilise ce qui lui paraît le moyen le plus juste pour se dévoiler. Pendant que l’un projette ses dessins, réalisés principalement à l’encre de chine, l’autre cuisine des cookies. De même le chant est beaucoup utilisé pour pallier les manquements de la parole – une des performeuse, par exemple, ne parlant pas français. Une des questions que portent les comédien.ne.x.s est, en effet, notre rapport au langage. D’une part, celui-ci semble être un outil de révolte. L’un raconte avoir rejoint la colline après avoir entendu le slam envoyé par l’un de ses amis. L’autre, avoir taggé sur le goudron du chemin qui menait à la ZAD les histoires de cell.eux qui y grimpaient. Son texte commençait par « Et si habiter signifiait plus que vivre entre quatre murs ». Comme le reste, il a disparu. Le langage sert là encore à transmettre. Une place est également donnée aux témoignages, enregistrés, d’une personne sexisée membre de la Grève féministe et d’une personne racisée. Leur diffusion permet de rendre compte des liens entre les différentes luttes et de l’importance d’utiliser l’espace du théâtre pour leur donner une voix.
Et pourtant, d’autre part, tout n’a pas besoin – ou ne doit pas – être dit. Ainsi, l’arrivée dans la ZAD suppose de choisir un blaze et de masquer certaines informations. L’une des performeuse.x raconte qu’à la question « Tu fais quoi dans la vie ? », on lui répondait « Ben, je vis. ». L’ordre des choses était bouleversé, ce qui a de l’importance en ville ne signifiant plus rien dans la nature. Le langage aussi s’avère insuffisant, et c’est parfois dans les blancs ou les à-côtés que se révèlent les éléments les plus importants. Dans le public, on peut apercevoir les sourires rendant compte de l’adelphité régnante. Dans les quelques trous de mémoire des performeur.euse.x.s se dévoile toute l’authenticité de ce qui est conté. Enfin, dans le cahier de Michael Scheuplein, les pages blanches révèlent l’émotion des rencontres qui ponctuent son parcours de militant : un mariage tout en couleurs à Briançon ou un repas partagé pour Shabbat. C’est donc sûrement dans ce qui n’est pas dit que se situe l’essentiel du message transmis. D’ailleurs, le décor est par lui-même signifiant : au plafond, le grand mobile composé de troncs d’arbres semble représenter l’ouverture sur la nature. Celle-ci n’a pas non plus besoin de mots pour s’exprimer. Et peut-être, semble-t-on deviner en filigrane, que si les hommes cessaient de lui imposer leur langage, elle irait mieux.
Car le langage est aussi perçu comme oppressif. Dans la ZAD, il était omniprésent pour tenter de démêler des questions compliquées. Or c’est souvent cell.eux qui l’utilisaient le mieux qui étaient écouté.e.x.s. De même, en fin de parcours, Carolina Varela pose les questions : « Pourquoi devrais-je vous parler ? Êtes-vous sûrs de vouloir écouter ? Êtes-vous sûrs de vouloir entendre ? ». Elle interroge les possibilités de dire une lutte en utilisant des mots au passif oppressif tout en questionnant notre position en tant que spectateur.rice.x.s.
En effet, le spectacle nous donne le sentiment d’être partie prenante de la lutte. Tout est d’ailleurs mis en place pour qu’on se sente accueilli : du thé, des coussins placés directement sur la scène. Une réelle proximité est créée. Du maquillage est même proposé : les plus téméraires s’en barbouillent et signifient par là même leur engagement. La devise est « Si tu viens en ami.e.x la maison est tienne ». Alors que des combats similaires à celui de la ZAD du Mormont traversent au même moment les pays frontaliers, le sentiment de n’être pas seul est plus que nécessaire. C’est exactement cette sensation qui règne tandis que, invité à sortir hors des murs du bâtiment, le public est réuni face au lac, sur la plage de Vidy : la possibilité, malgré les doutes et les remises en question, de faire collectivité autrement.