Par Julie Fievez
Une critique sur le spectacle :
Quand souffle le vent / Mise en scène Pauline Epiney / TLH – Théâtre Les Halles / les 29 et 30 octobre 2022 / Plus d’infos.
Avec Quand souffle le vent, la metteuse en scène et comédienne valaisanne Pauline Epiney signe un spectacle tout en douceur et en émotion. Ils sont cinq à monter sur scène dans le cadre de ce projet de théâtre amateur : âgé.e.s de plus de 65 ans, ils nous content ce qui est et ce qui fut, mais aussi ce qui sera. Loin d’un récit mortifère, moments de vie, amours inconditionnels et grands rêves s’entremêlent pour proposer un spectacle touchant dont, c’est certain, on se souviendra.
Avec le temps tout s’en va …
Pauline Epiney rentre en scène la première : elle se raconte à travers la description des rues de Sierre, non loin du Théâtre des Halles. Le public s’exclame, se souvient : la rue en pavés, la neige jusqu’à mi-cuisse, ce premier baiser échangé proche du château de Villa. Quand vient le tour de la petite troupe de comédien.ne.s-amateur.rice.s, mes voisin.e.s de rangée, apparemment de la même génération, ne s’arrêtent plus : les souvenirs des un.e.s rappellent le passé des autres. À travers les musiques choisies par les artistes en herbe, les esprits semblent se rencontrer pour partager, le temps d’un instant, ce que leur évoquent les quelques notes.
Ainsi se construit le spectacle à travers un travail consciencieux des images et de leur pouvoir évocateur. À partir des nombreux détails qui animent chaque histoire, l’imagination opère : les spectateur.rice.s se retrouvent couché.e.s dans l’herbe grasse de l’Écosse, sentent l’odeur des saucisses grillées pour un anniversaire, perçoivent le jazz qui s’écoule d’un club de la Nouvelle-Orléans. Les sens en éveil, le public est plongé dans des époques ou même des continents différents. Mais c’est, cependant, les récits de l’intime et du quotidien qui touchent particulièrement. Le travail à la première personne ainsi que les quelques hésitations ou oublis donnent à voir une mémoire qui n’est pas figée mais qui, au contraire, continue de s’élaborer. À la manière du conte de tradition orale, le récit semble être ici le reflet de son objet : une forme vivante, destinée à se réinventer sans cesse.
Mais vivre sans tendresse …
C’est notamment dans la construction de sa relation avec les spectateur.rice.s que le spectacle est unique. Au départ impressioné.e.s par la salle comble puis de plus en plus à l’aise, les cinq comédien.ne.s n’hésitent pas à s’offrir tout entier au public, à le regarder ou à s’adresser directement à lui lorsqu’arrive un doute. « C’est à toi là », peut-on aussi entendre chuchoté ; parfois c’est un geste affectueux qui vient accompagner l’histoire d’un moment particulièrement douloureux. La forme du récit de vie mais aussi l’authenticité difficile à imiter des comédien.ne.s perturbent les catégories traditionnelles. C’est avant tout une mémoire vécue qui est présentée : en ce sens, l’émotion est palpable lorsque sont remémorées la rencontre d’une idole ou la mort d’un amour. Mais on retrouve, toutefois, un véritable travail des corps et de mise en scène. Un canapé permet ainsi aux comédien.ne.s de se rassembler et de figurer une discussion entre ami.e.s. À ces moments collectifs, viennent se superposer des récits singuliers mais dans lequel l’Autre a toujours une place prépondérante.
Una matina, mi son svegliato …
Aussi, dans une société dans laquelle les personnes âgées souffrent de solitude et sont invisibilisées, Pauline Epiney prend le contrepied et fait acte de résistance face aux différents dictats. À travers notamment une vidéo de David Gaudin, ce sont des corps vieillissants qui sont donnés à voir : étranges que ces plis et ces taches inhabituels. Pourtant, les spectateur.rice.s le savent alors, ils ne sont que l’écho des moments dont ils ont été les témoins le temps d’une soirée. À travers ce spectacle, se noue aussi l’envie d’aller interroger ses propres grands-parents ; de se retrouver pour se faire raconter les grands moments d’une vie ou les rêves fous de demain. Par là même, ensemble, de se remémorer ce qui s’en est allé pour construire des souvenirs nouveaux.