Les Univers

Les Univers

Mise en scène par Joël Maillard / Conception et écriture Tiphanie Bovay-Klameth, Joëlle Fontannaz, Nicole Genovese, Joël Maillard, Alexis Rime / Compagnie SNAUT / Tutu Production / L’ Arsenic Lausanne / du 5 au 10 avril 2022 / Critiques par Noémie Jeannet et Antoine Klotz .


Avons-nous réellement vu Les Univers ?

11 avril 2022

© Dorothée Thébert Filliger

Inclure un concert de variété française dans un spectacle à propos d’un sujet scientifique tel que celui des univers parallèles, voilà le défi relevé par Joël Maillard et son équipe. Tout en nous faisant profiter d’un album fantasmé regroupant des morceaux de grands noms de la musique francophone, Tiphanie Bovay-Klameth, Nicole Genovese et Joël Maillard nous emmènent dans différents espace-temps où d’autres spectacles se déroulent au même moment. On finit par se demander quel est le spectacle principal…S’il y en a un ?

Au début des Univers, il est encore difficile de savoir si nous assistons à un concert de tubes un peu ringards d’artistes internationaux ou à un spectacle de théâtre. En effet, nous retrouvons sur scène un trio musical enjoué à l’idée de nous interpréter les chansons de l’album D’autres mondes sont possibles – une anthologie de la chanson parallèle incluant des artistes tels que Jean-Jacques Goldman, Renaud ou encore Céline Dion. Chacun chante et joue d’un instrument différent en fonction des chansons. L’imitation de Goldman est un peu exagérée, mais cela rend la performance d’autant plus amusante et reconnaissable. Néanmoins, on espère que l’heure et demie prévue pour ce spectacle ne consistera pas seulement en un enchaînement de tubes imaginés et interprétés par une bande de personnages un peu loufoques, au risque de devenir un peu pompant à la longue.

Heureusement, le concert ouvre la voie à une multitude de « spectacles dans le spectacle » faisant allusion aux différents formats sous lequel celui-ci aurait pu être pensé s’il n’avait pas tourné autour d’un concert. En effet, à la fin de la première chanson, les artistes sur scène nous expliquent la découverte d’un 33 tour dans un marché aux puces à Lausanne de l’album D’autres mondes sont possibles touchant à la thématique des mondes parallèles. Grâce à la table ronde qui s’ensuit, ceux-ci nous expliquent leur intérêt et leur recherche concernant la physique quantique, ainsi que l’inspiration que cet album a suscitée en eux. Ils prennent notamment l’exemple du Schrödinger’s Cat, titre d’une chanson fantasmée et chantée par Jane Birkin et Serge Gainsbourg sur l’album, pour clarifier cette notion. Cela fait donc un lien entre une des chansons de l’album et la théorie des mondes parallèles.

Maintenant que le spectateur a désormais compris qu’il assiste au dévoilement d’un multivers, il est témoin successivement d’une scène de ménage à la façon d’un vaudeville quantique, d’un discours maladroit d’un président d’une société secrète ou encore d’un one-man show d’un clown qui fait peur : tant de combinaisons possibles qui auraient pu avoir lieu (ou qui ont lieu) si les artistes n’avaient pas choisi le chemin du concert de pop française. Les transitions entre chaque univers sont effectuées de façon souvent abrupte, en éteignant et en rallumant soudainement les lumières, alors que les comédiens ont complétement changé de place et de costume.

Il est finalement intéressant en tant que public de comprendre le processus de création d’un tel spectacle. En effet, les artistes ont décidé de se baser sur la trouvaille de ce fameux album dans un marché aux puces pour créer le point de départ de ce projet artistique rocambolesque. Étonnant, quand on voit où cela a mené, c’est-à-dire à l’explication théorique ainsi que la démonstration scénique de la signification des mondes parallèles selon les membres de la compagnie. Néanmoins, on comprend, en prenant du recul, que leur but a probablement été de nous faire jouir de cette compilation de morceaux méconnus du grand public. On pourrait d’ailleurs considérer certains morceaux comme s’ils avaient été interprétés par un Renaud ou une Jane Birkin d’un univers parallèle, tant les paroles et le style sont tirés par les cheveux et ne leurs ressemblent pas. Grâce à ces décalages qui jalonnent le spectacle, Joël Maillard et son équipe nous font ainsi découvrir la théorie de la physique quantique de façon légère et imagée.

Ainsi, on se laisse joyeusement transporter par ce trio excentrique et décalé à travers tout le spectacle, bien que quelques moments entravent la lisibilité et la cohérence du propos. En effet, le tourne-disque placé au milieu du plateau à la fin du spectacle faisant entendre au public une chanson de Baschung, présente sur le fameux album, ne rajoute rien à la dynamique du spectacle. Au contraire, après les moments de rire que nous ont fait vivre plus tôt les comédiens, se retrouver face à ce tourne-disque statique est un peu ennuyant. Par ailleurs, la vision des coulisses en fond de scène où l’on voit les personnages communiquer avant leur entrée en scène en tant que membres du groupe de musique notamment est superflue. Ces moments se répètent à plusieurs reprises alors même que nous avons compris le « fonctionnement » du spectacle peu après le début. Néanmoins, la thématique des univers parallèles mise en lien avec les chansons de l’album est totalement jouissive pour le public et ce d’autant que ce lien paraît totalement improbable au premier abord. Le passage d’un univers à l’autre à travers différents petits spectacles nous fait d’ailleurs hésiter : quelle partie du spectacle était en réalité la partie principale ? On se rend compte que la question importe peu. Finalement, qu’importe l’univers, tant qu’on a l’ivresse !

11 avril 2022


Voyage voyage

11 avril 2022

©Dorothée Thébert Filliger

Et si ? Chaque parcours possède son lot d’incertitudes et de regrets. Et si on pouvait abattre les barrières entre les mondes et les réalités pour en observer toutes les occurrences ? Joël Maillard explore les différents possibles des univers parallèles en faisant voyager les spectateurs de l’un à l’autre dans un spectacle aux longueurs certaines mais aux fulgurances hilarantes.

« D’autres mondes sont possibles », c’est le nom du vinyle que le groupe Les Univers a trouvé un jour aux puces de Rumine après n’avoir pas réussi à assister à une table ronde sur la taxidermie. La table ronde, c’est le format théâtral coup de cœur du groupe Les Univers après être parvenu à assister à une table ronde sur la taxidermie au Palais de Rumine. Tiens donc, les deux idées semblent se faire échos. C’est normal : ce sont deux univers parallèles nés de deux bifurcations possibles à partir du même événement, car c’est bien de multivers dont parle Joël Maillard dans Les Univers, création malheureuse de la période covid qui a enfin l’occasion d’être jouée à l’Arsenic. Il emmène ainsi les spectateurs de l’une à l’autre de ces réalités dans une suite de scènes liées entre elles par des références aux autres univers possibles. L’enjeu de la pièce consiste donc à comprendre comment l’on passe de l’un à l’autre en mobilisant nos connaissances préalables des autres réalités.

Le spectacle s’ouvre sur un groupe de reprises amateur que ne renierait pas une maison de quartier. La musique est gentillette, les imitations de Renaud ou Jane Birkin plus ou moins réussies. L’approximation est voulue et on se revoit aller écouter un groupe d’amis peu talentueux mais que l’on a tout de même envie de soutenir. Malheureusement, lorsqu’on imite bien le médiocre, sur la durée la reproduction et l’originale ont tendance à fusionner en un unique concert, c’est-à-dire, celui d’un groupe de musique amateur peu inspiré. Au bout de la troisième chanson, le temps devient long et les applaudissements polis. Heureusement, on change vite d’univers et on se retrouve spectateurs d’une table ronde dont la performance ne peut être qualifiée que de magistrale. Tous les codes du format ont été intégrés: le jeu est naturel, le propos passionnant. Le public est absorbé par ce que racontent les intervenants, notamment Joël Maillard, phénoménal en médiateur culturel à la timidité enflammée. Cette table ronde est l’occasion de faire le point sur le fonctionnement de la théorie des univers et donc du spectacle. On y évoque de nombreux possibilités, anticipation de ce qui va suivre. On se délecte des liens entre chaque réalité avec une grande satisfaction lorsqu’on arrive à les identifier. Rien n’est laissé au hasard et aucune idée n’est abandonnée. Coup de génie lorsqu’il s’agit de parodier le discours d’adieu d’un gourou de secte en le traitant comme une assemblée de société de campagne du Gros-de-Vaud, la salle est hilare tout du long. Coup d’ennui lorsqu’on pastiche un vaudeville dont le pitch ne laisse présager aucune issue heureuse. Que ce soit intentionnel ne rend malheureusement pas l’ennui plus supportable.

C’est là tout le problème de Les Univers : le spectacle ouvre beaucoup de portes, évoque de nombreuses possibilités et, dans un souci d’exhaustivité, s’acharne à vouloir tout traiter, tout intégrer dans sa narration ce qui inévitablement implique des longueurs. Lorsque le groupe de musique amateur revient à la toute fin, l’envie de les écouter n’est plus présente, surtout lorsqu’on connaît la qualité de la prestation. C’est dommage, car la pièce regorge de pépites: certaines chansons sont très drôles, certains costumes marquent les esprits par leur aspect on ne peut plus kitsch et on est très heureux de retrouver l’éléphant Babar dans une fabuleuse scène de karaoké. Cependant, les spectateurs doivent jouer les orpailleurs et séparer les pépites de quelques morceaux de gravier, ce qui nuit fortement à la valeur de la récolte. Certains univers valent la peine d’être visités et donnent même l’envie d’y retourner, d’autres méritent simplement de rester sur la liste des voyages que l’on ne fera jamais.

11 avril 2022


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