Le Paradis des chats

Le Paradis des chats

D’après Emile Zola / Adaptation et mise en scène Delphine Barut / Théâtre des marionnettes de Genève / du 27 avril au 8 mai 2022 / Critiques par Manon Lelièvre et Claire Cornuz .


LE PARADIS DES CHATS. Et celui de la petite souris alors ?

02 mai 2022

© Carole Parodi

Du 27 avril au 8 mai, la Cie Mokett propose une nouvelle création au Théâtre des Marionnettes à Genève. Adapté de quatre nouvelles du recueil des Nouveaux contes à Ninon d’Emile Zola, Le Paradis des chats aborde la thématique des inégalités sociales, où le paradis des uns fait l’enfer des autres. Cher à l’écrivain et malheureusement encore d’actualité, ce sujet est amené avec légèreté et sagesse à travers l’univers de la marionnette.  

Trois comédiens, aux allures de garnements parisiens – chemisiers rayés et petit bérets – jouent aux cartes sur un coffre. Soudain, un bruit les surprend. Il semble venir du coffre lui-même, boîte à surprises d’où sort… une petite souris.

Ne s’agit-il pas d’une histoire de chats ? De fait, les Nouveaux contes à Ninon d’Emile Zola n’ont rien à voir avec les souris. Publié en 1874 dix ans après les Contes à Ninon, ce recueil de petites nouvelles traite du contraste entre les classes : la richesse des uns, la pauvreté des autres et les interactions hypocrites, affectées, voire impossibles entre les deux camps. Œuvre de jeunesse, ce recueil témoigne déjà de l’intérêt de Zola pour la nature humaine. Il la dévoile et en dénonce les travers avec ironie et malice dans des récits brefs et piquants. Le spectacle propose l’adaptation de quatre d’entre eux : Le chômage, racontant la vie de plus en plus précaire d’un ouvrier au chômage et de sa famille ; Le paradis des chats, relatant l’histoire d’un gros chat angora gâté qui fait l’expérience de la rue ; Le jeûne, qui illustre le rêve d’une petite baronne invitant le vicaire à dîner tandis que celui-ci fait un sermon sur l’abnégation ; et Les épaules de la marquise, qui montre une magnifique dame, à la vie oisive et luxueuse, pleine d’une fausse compassion pour les malheureux.

Et cette petite souris alors ? J’y viens. En adaptant ces quatre nouvelles, Delphine Barut et Clea Éden choisissent le modèle animalier du Paradis des chats qui illustre la différence des classes et l’hypocrisie aristocrate à travers les yeux et l’expérience d’un gros matou. Le vicaire prend ainsi la forme d’un vieux pélican, la petite baronne est une colombe, la marquise, une hermine au pelage blanc et la famille ouvrière devient une petite bande de souris. Le choix de cet univers animalier permet une approche métaphorique de la société, gardant à la fois la légèreté de l’écriture zolienne et la gravité des situations dénoncées. Mais tandis que Zola écrit des récits bien distincts, l’adaptation théâtrale propose ici un enchevêtrement des intrigues. Les apparitions fugaces des différents personnages dans chaque histoire apportent une cohérence scénique et dramaturgique bienvenue, situant le tout dans un même espace et marquant davantage encore le fossé entre les classes sociales. Le choix des animaux ne se fait également pas au hasard : l’énorme bec rappelle la gourmandise du vicaire tout en montrant son hypocrisie ; l’hermine, dont la fourrure est symbole de richesse, illustre parfaitement la marquise ; et notre petite souris, petite peluche entre les doigts des comédiens, représente en réalité un pauvre ouvrier parmi tant d’autres.

Les deux univers – animalier et marionnettique – s’accordent merveilleusement bien. Chacune des marionnettes est faconnée simplement, par quelques objets et tissus qui suffisent à représenter les personnages. Le gros matou angora est composé de deux boules bleues pour sa tête et son corps, un manchon pour une patte et un fichu pour sa queue. Ces éléments ne sont pas attachés les uns aux autres, mais ils se meuvent ensemble afin de donner corps au gros chat. La marquise-hermine, quant à elle, s’anime simplement avec une tête en bois accrochée à une écharpe en fourrure s’enroulant autour de la comédienne qui lui prête sa voix. Et bien que les comédiens soient à vue et fassent entièrement partie de la narration, ils s’effacent au profit des marionnettes, qui prennent entièrement leur place dans l’espace. En outre, les comédiens manient un dispositif lumineux, composé de minuscules projecteurs ainsi que de blocs luminescents. Les instruments, déplacés au fil de la représentation, guident les spectateurs à travers les récits. Cette simplicité apparente des accessoires et de l’espace scénique sert parfaitement l’approche métaphorique de la dramaturgie. La magie des conventions théâtrales, utilisée avec délicatesse et sensibilité, donne vie aux marionnettes et emporte naturellement les spectateurs dans l’univers des contes.

Qu’arrive-t-il à la petite souris ? Pour le savoir, il suffit d’aller ouvrir le coffre, de la laisser filer sous ses pieds et de se laisser porter par son histoire.

02 mai 2022


Animaux animés dans un monde zolien

06 mai 2022

© Carole Parodi

Au Théâtre des Marionnettes de Genève, Delphine Barut et la Compagnie Mokett présentent Le Paradis des Chats, une adaptation dramatique de quatre nouvelles d’Emile Zola, tirées du recueil Nouveaux Contes à Ninon. En plus de la nouvelle éponyme, le spectacle adapte Le Chômage, Le Jeûne et Les Épaules de la Marquise, en entremêlant les intrigues,  éclairant ainsi les différents aspects d’un monde bien zolien. Le spectacle nous emmène dans ce tableau animé, où la précarité des uns et la prospérité des autres sont présentées avec des marionnettes d’animaux et sous les lumières d’une satire presque tragique.

Le Paradis des Chats est originellement la seule nouvelle des Nouveaux Contes à Ninon à raconter directement les aventures d’animaux, ici celles d’un chat domestique et empâté à la recherche d’aventures sur les toits de la ville. Toutefois, dans le cadre du spectacle, les personnages des autres nouvelles ont eux aussi été métamorphosés en souris (pour Le Chômage), en hermine (pour Les Épaules de la Marquise) ou même en pélican (pour Le Jeûne) afin d’accentuer leurs traits et les aspects humoristiques, tragiques et ironiques de cet univers zolien. Le Paradis des Chats reprend certaines connotations associées à certains animaux: par exemple, les souris sont ici les petites gens, ouvriers, mendiants et personnes oubliées par un monde obnubilé par le profit; l’hermine n’est autre que la marquise elle-même, qui reste au chaud grâce à sa belle fourrure et ses richesses; et le pélican, un vicaire, clame ironiquement l’importance spirituelle du jeûne tout en arborant son large gosier. Sur scène, un grand coffre et des cases rectangulaires décorés de toutes parts servent de décor aux marionnettes, et parfois d’habitations. La taille de ces éléments est aussi indicatrice du statut de chacun : de petites boîtes pour les souris, un grand rectangle représentant un vitrail d’église pour le vicaire pélican, posé sur le coffre pour le chat, et l’hermine tient sa demeure dans le coffre même. Les marionnettes ressembleraient presque à des peluches, ou même des jouets, tenues et manipulées directement par les comédiens et comédiennes. A certains moments, ces derniers portent directement les costumes des marionnettes elles-mêmes. En effet, celles-ci changent de taille lorsque l’action le demande: tantôt petites lorsqu’elles gambadent dans le décor, tantôt en taille réelle de l’animal qu’elles représentent. Le spectacle est rythmé par une bande-sonore qui accentue les moments de peine ou de joie, et se transforme même en chanson de comédie musicale lorsqu’arrivent les présentations de la marquise – comme pour refléter la légèreté de sa vie prospère, en contraste avec les vies plus miséreuses des souris. Ces histoires et ces personnages s’entremêlent et se rencontrent, mais surtout via des allusions : le vicaire s’en va, prétextant une visite à la marquise; une colombe est attrapée au sortir de l’église par un chat affamé ; et une des petites souris, qui meurt de faim, mendie auprès de la marquise. Si chaque histoire cherche avant tout à peindre un portrait d’un pan de la société, leur rencontre développe un croquis global.

En une cinquantaine de minutes à peine, ce monde profondément réaliste fait tantôt rire, tantôt réfléchir, et lorsqu’on s’apprêtant à retourner à notre propre quotidien, on voudrait presque que le spectacle ait duré un peu plus longtemps, afin de profiter encore de ce tableau.

06 mai 2022


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