Une critique sur le spectacle :
Oncle Vania / Production Cie OC & CO / Coproduction Théâtre Actuel et Public de Strasbourg (TAPS) / d’après Anton Tchekhov / Adaptation et mise en scène par Olivier Chapelet / Théâtre des Osses, Fribourg / du 1er au 10 avril 2022 / Plus d’infos.
Entre nostalgique et visionnaire, la pièce de Tchekhov évoque un temps suspendu dans une famille de l’ancien régime prisonnière de sa propre passivité. Olivier Chapelet a adapté le texte pour créer un spectacle qui souligne l’enfermement de la famille, lors d’un été qui est à la fois une parenthèse dans la vie des personnages et une petite éternité, où ils tournent en rond.
Oncle Vania, pièce écrite en 1897, se déroule dans la maison de Sonia et de son père, le professeur Sérébriakov. Ce dernier n’y a plus vécu depuis longtemps, parce qu’il développait sa carrière en ville, où il s’est aussi remarié. Il percevait le revenu de ces terres, où l’oncle Vania et Sonia ont toujours travaillé, se privant parfois, pour lui verser son dû. Au moment où commence l’action, le professeur et sa nouvelle femme Éléna, belle-mère de Sonia (dont la mère est décédée), reviennent pendant l’été dans leur domaine. Les personnages s’ennuient et tombent amoureux les uns les autres. Sonia et Éléna sont amoureuses du docteur Astrov. Ce dernier et l’oncle Vania aiment Éléna. Ils sont soit nostalgiques du passé, où l’ordre régnait grâce à la défunte mère de Sonia, soit dans l’attente d’un futur très lointain, par le biais du docteur Astrov, qui plante des arbres et place sa confiance dans la nature.
Les personnages évoquent parfois le monde externe à leur microcosme, mais ce monde semble lointain, et n’a aucune réelle influence sur eux ou leurs relations. Le spectacle se déroule sous forme de huis clos. Le dispositif scénique souligne encore cet effet d’autarcie : lorsque les comédiens ne jouent pas, ils sont assis sur les côtés de la scène, comme si les personnages ne pouvaient quitter les lieux.
Au contraire de ces derniers, englués dans leur monotonie, les éléments du décor sont très mobiles. Des panneaux, d’abord sur le sol, sont levés au fur et à mesure du spectacle et réduisent petit à petit l’espace de la scène. Une table, quelques chaises, un piano permettent de représenter une pièce et sont eux aussi déplacés régulièrement. Les personnages n’ont de cesse de bouger leurs meubles. Est-ce une manière d’indiquer la fin des actes et de marquer le temps qui passe ? Ou faut-il comprendre que les personnages n’ont plus de repères ? Est-ce une recherche d’une ancienne disposition oubliée des meubles ? Ou, au contraire, de trouver un meilleur aménagement afin de mieux appréhender le futur ? Sans doute un peu de tout cela.
Tous ces changements à vue impliquent un rapport particulier et intime avec les spectateurs, comme si nous étions tous dans la même pièce de la maison : rien ne nous est caché. Les murs qui se lèvent sans cesse et enferment les personnages symbolisent les limites de leur vie, les cloisons dressées entre eux. L’oncle Vania, pour tenter de faire céder Éléna, lui a dit un jour : « Donnez-vous la liberté au moins une fois dans votre vie ! ». C’est ce que rapporte Éléna dans un monologue, où elle ajoute : « Mais je suis lâche. ». Cet échange résume leur état à tous : toutes les envies des personnages sont annihilées par leur passivité. Ils ne peuvent agir, malgré le souvenir du temps passé, qui leur fait miroiter une meilleure vie. Et lorsque l’oncle Vania se résout à tirer sur le professeur, dans un accès de colère, il le rate. Il est ainsi mis en échec. Malgré le départ de Sérébriakov et d’Éléna, les relations qu’ils ont entretenues les ont tous définitivement abîmés. Le passé fantasmé du vivant de la mère de Sonia s’éloigne toujours plus d’eux.
Le spectacle donne un aperçu d’une vie emplie d’ennui et d’échecs successifs. Pourtant, malgré la tristesse, quelques beaux moments suspendus dans cette ambiance morose surgissent dans le spectacle : une jolie complicité naît entre Elena et Sonia grâce à leurs confidences, lorsque cette dernière révèle son amour pour le docteur Astrov.
Par la relation d’intimité qu’il crée avec le public, le spectacle amène chacun à réfléchir à sa propre situation, la manière dont nous percevons notre passé et quelle place il occupe dans notre vie.