Flashs intergénérationnels

Par Sarah Neu

Une critique sur le spectacle :

Chambre avec vieux / Mise en scène par Fabrice Gorgerat / La Grange de Dorigny hors les murs / du 14 au 19 décembre / Plus d’infos.

© Fabrice Ducrest

Chambre avec vieux vient déranger avec pertinence ce qui nous gêne, interrogeant notre rapport au corps et à l’amour dans les étapes du vieillissement. La Cie Jours tranquilles part comme souvent de la mythologie grecque, pour une envolée lyrique étourdissante, pleine d’images, de nus et de dorures. Un éloge de la vieillesse qui adoucit nos appréhensions et nous fait sentir le caractère précieux de notre mortalité.   

Un décor brut et abstrait pose le cadre d’un spectacle dont on ne saisira jamais tout le sens. Un sol à motifs marbrés, une large colonne antiquisante sans chapiteau sur la gauche et une structure minimaliste en bois brûlé sur la droite. Derrière, un fond de scène détonnant : un mur de briques rouges recouvert d’un léger rideau blanc. Apparaît en comédien le metteur en scène Christophe Jaquet, fidèle à son allure retro pop, dont le pullover vintage annonce un décalage avec la ligne esthétique des autres personnages. Il se montre excessivement sensuel, ce qui entame d’emblée un discours sur notre rapport embarrassé au corps vieillissant. La dissonance entre ses gestes lubriques, ses cheveux blancs, son corps longiligne et son langage teinté d’un accent bien vaudois provoque des rires dans la salle, dans lesquels on devine une part de malaise. L’ appréhension commune de l’association entre vieillesse et sexualité restera dès lors un thème transversal de la pièce, qui cherche vraisemblablement à déconstruire les tabous qui gravitent autour de nos conceptions.  

Entre ensuite un trio de choristes vêtus dans les tons blancs, dont la douceur et l’âge avancé évoquent un trio d’anges gardiens. La pureté qu’induit leur image de groupe détonne avec le sens absurde des paroles qu’ils chantent, provocant à nouveau des rires déconcertés dans le public. n cadre narratif commence à être posé lors de l’apparition du sublime Tithon (incarné dans sa version jeune par le comédien et danseur Victor Poltier ), prince troyen réputé pour son incroyable beauté. On comprend alors que Christophe Jaquet incarne Zeus, le Dieu des dieux, qui a une maîtrise absolue de son monde. Puis interviennent la déesse de l’Aurore (Catherine Travelletti), le soleil (Fiamma Camesi) et selon toute probabilité la sagesse (Dominique Favre-Bulle). D’après le mythe grec, Aurore trouve Tithon si beau qu’elle demande à Zeus de lui accorder l’immortalité pour en faire son époux. Mais elle oublie d’exiger aussi la jeunesse éternelle pour lui. Le pauvre Tithon finit par vieillir éternellement, jusqu’à ce qu’Aurore le transforme en cigale pour le soulager et garder son chant auprès d’elle.

Le mythe n’est pas si clairement explicité dans la proposition de Fabrice Gorgerat, qui semble s’en servir comme toile de fond à un univers poétique et symbolique. S’enchaînent desimages fortes, mettant en valeur la corporalité de chaque personnage, dont les costumes dorés sont en harmonie avec l’esthétique chargée qui prédomine sur la scène. Le thème antique est exploité notamment au travers de références à l’Histoire de l’art, par exemple par le tableau très réussi que forment Tithon le jeune et Tithon le vieux (Armand Deladoëy) lorsque qu’ils sont à demi-étendus dans le lit de la déesse, dans une pose qui n’a rien de naturel et qui rappelle les toiles maniéristes des peintres de la Renaissance et les reprises classiques de ce genre au XVIIIe siècle. Fabrice Gorgerat réitère ici, comme il l’avait fait dans « Nous », une mise en valeur de chaque personnage par un effet de portrait mouvant, au travers duquel chaque univers intérieur est illustré par la présence physique.   La sensualité est au cœur de la performance des comédiens et comédiennes qui semblent habité.e.s d’une même pulsion effrénée. Cet élan se justifie par la présence de Tithon, élément déclencheur de ces énergies tumultueuses. La raison d’être de tout cet érotisme reste cependant parfois incompréhensible : est-ce pour bousculer nos représentations de la sexualité, qui incluent généralement peu les personnes d’un âge avancé ? ? Les personnes plus âgées présentes sur scène incarnent des forces tranquilles, des êtres d’un grand charisme. Comme l’évoque ici le Soleil, qui souhaite devenir mortel, la vieillesse rend plus réceptif et compréhensif. De ce recul découle une liberté amenant à une grande disponibilité de présence et d’esprit. Cette conception du temps bien particulière, quand le temps ne presse plus, car il n’y a plus rien à jouer, est transposée dans le rythme de certaines scènes dont la lenteur dégage une paisible langueur.