Un engrenage catastrophique

Par Stella Wohlers

Une critique sur le spectacle :

Une pièce pour les vivant.e.x.s en temps d’extinction / Monologue éco-féministe de Miranda Rose Hall / Mise en scène par Katie Mitchell / Théâtre de Vidy / du 25 septembre au 3 octobre


©Théâtre de Vidy

Le théâtre de Vidy accueille le spectacle écologiquement neutre de la metteuse en scène britannique Katie Mitchell, créé dans le cadre du projet Sustainable Theatre ?. L’équipe locale du spectacle est dirigée depuis Londres par Zoom afin de minimiser l’empreinte écologique et présente une pièce engagée qui réinvente la manière de produire des spectacles afin d’éviter une catastrophe écologique.

La comédienne Safi Martin Yé est l’unique oratrice du spectacle. Les deux vélos, à ses côtés, sur la scène, fournissent l’énergie nécessaire à la représentation, en alimentant la production de sons et de lumières. Des panneaux électriques affichent également le nombre de watts produits par les dynamos. L’action humaine à l’origine de ce système d’énergie est clairement mise en avant par la présence des cyclistes et des responsables techniques sur la scène. De plus, les vélos laissent entendre le son perpétuel et régulier de leurs roues. L’omniprésence de tout ce dispositif scénique donne corps et cohérence au discours écologique et militant.

Le monologue de Rose Hall remonte le temps depuis la formation de la Terre, de ses continents et des premières espèces vivantes en se basant sur l’ouvrage d’Elisabeth Kolbert, La Sixième extinction. Tandis que la comédienne décrit une à une ces extinctions, le public prend conscience que la sixième est la finalité du discours : une sorte de fatalité se dégage. Elle montre également, par des diapositives projetées, certaines des espèces qui se sont éteintes dans les trente dernières années. La perpétuelle présence de la mort rythme la pièce et tout se dirige vers elle. Les roues des vélos qui tournent en continu illustrent cet engrenage, cette fin catastrophique vers laquelle l’humanité se dirige si elle ne change pas ses habitudes.

La comédienne s’adresse directement au public qui n’est pas seulement récepteur du discours, mais devient également acteur. Il est invité sur scène à représenter des arbres, à mimer des petites bactéries naissantes avec les mains, ou prié de prendre la parole pour raconter un souvenir lié à la nature. Lorsque les spectateurs doivent intervenir, ils sont éclairés et les rôles s’inversent : c’est la comédienne qui écoute et observe.  L’intégration des spectateurs au discours mobilisateur permet une prise de conscience importante : il faut adopter un rôle actif pour éviter cette sixième extinction.

Ainsi, c’est en participant tous que ceci sera possible. Le contact avec le public et la présence de toute l’équipe sur la scène, des cyclistes aux responsables son et lumière, illustrent la nécessité d’agir tous ensemble. On aurait aimé toutefois que la collaboration entre êtres humains soit davantage mise en œuvre au sein même du spectacle. Ici, les personnes qui assistent la comédienne sont isolées et statiques. Ce n’est qu’à la fin du spectacle, lorsque les rideaux s’ouvrent sur un chœur d’une quinzaine de personnes, qu’est présenté tout un groupe unifié. Finalement, le mouvement cyclique des vélos symbolise bien la direction vers la sixième extinction que nous prenons tous en tant qu’êtres humains et le spectacle écologique de Katie Mitchell peut se comprendre comme l’une des actions possibles qui pourrait faire dévier la catastrophe de sa trajectoire :  une tentative de sortir de l’engrenage catastrophique bientôt irréversible de la destruction de la nature, grâce à la réinvention d’un théâtre non polluant.