Par Hugo Merzeau
Une critique sur le spectacle :
Pièce pour les vivant·e·x·s en temps d’extinction / Texte de Miranda Rose Hall / Mise en scène par Katie Mitchell / Théâtre de Vidy – Lausanne / du 25 septembre au 3 octobre 2021 / Plus d’infos.
Zéro-omission : le projet mêle ambition et simplicité dès sa formulation. La simplicité d’un dispositif scénique minimaliste pour tenter de répondre à la crise climatique et l’ambition d’une conférence sans tabou sur un sujet au centre de nombreux débats actuellement. Le spectacle explore les enjeux écologiques dans nos sociétés occidentales à l’aide d’une double narration, intime et scientifique. Un spectacle didactique qui propose une écologie scolaire.
Traiter de l’écologie au théâtre pose de nombreuses questions, notamment celle de la forme à adopter pour être pertinent et celle de la force propre au théâtre dans ce type de débat. Katie Mitchell connaît ces questions car ce n’est pas son premier spectacle qui aborde ce sujet mais elle a adopté ici une méthode novatrice dans la conception même de la pièce. Rien ne doit se déplacer. L’écosystème de la pièce doit limiter au maximum son coût énergétique et donc son impact environnemental. Pour ce faire, elle ne se déplace pas pour diriger mais procède par Zoom, les costumes sont des réutilisations de ce qui se trouve dans les théâtres, et l’énergie sur scène est produite par deux cyclistes. Safi Martin Yé incarne une dramaturge décontenancée par la tournure des événements qui surviennent tant dans sa vie personnelle que dans sa perception de l’évolution future de l’environnement. Elle prend place au centre d’un dispositif minimaliste : un micro à pied, le sien, trône au centre de la scène, entouré de deux vélos eux-mêmes surmontés d’un compteur de watts et, derrière chaque vélo, deux chaises. Le tableau est dressé. Afin de faire face à ce défi immense de raconter différemment l’état actuel du débat écologique, une sélection de micro-récits de son histoire individuelle vient s’intercaler pendant l’exposé de l’histoire de la vie sur Terre. Tandis que la tension augmente au fil des disparitions de masse évoquées par la conférencière, dans une ambiance sonore de fin du monde, le terreau émotionnel continue de s’enrichir de ses souvenirs d’enfance et d’autres expériences passées. A l’alternance entre ces deux régimes narratifs, s’ajoute, à petite dose, la participation du public orchestrée par la conférencière soutenue par Diane, une techniscéniste présente sur scène, et sa lampe. Puis l’expérience change de direction, la dialectique pédagogique fait place à un alarmisme plus pressant, les chauves-souris brunes remplacent les dinosaures en peluches, le discours historique cède face à un futur apocalyptique, bref la sixième extinction de masse a débuté. Il n’est plus question de la stratification terrestre mais bien de la disparition concrète et en continuelle accélération de la biodiversité qui compose notre monde. La prestation s’achève dans une ambiance de fin du monde dont l’alarmisme n’a d’égal que le pathos dans lequel le chœur, surgi du fond de la scène, plonge la salle tout entière, aux échos des remerciements adressés à l’ensemble du règne vivant.
Le théâtre, comme lieu d’interaction sociale, possède une spécificité dans le traitement de ces débats contemporains : sa faculté à provoquer des émotions par effet de réciprocité entre salle et scène par la proximité qu’induit le lieu. D’autant plus que cette pièce intègre dans son principe l’inclusion des spectateurs par des moments d’interactions et par une distance volontairement affaiblie au début du spectacle. Néanmoins, quelques éléments viennent perturber cette construction d’une empathie forte entre les spectateurs et les récits de vie désemparés de la conférencière. La surcharge d’éléments narratifs et discursifs affaiblit, par effet de proximité, l’aspect scientifique de la conférence, juxtaposée à des expériences intimes pas toujours probantes. La scène qui évoque, par exemple, la rencontre de la conférencière avec une guérisseuse shaman fait surgir des clichés liés à ce type d’expérience. Cette thématique possède un intérêt narratif et théâtral indéniable, il est donc d’autant plus regrettable qu’elle amène ici un effet de discordance, de même, plus généralement, que l’accumulation de micro-récits qui impliquent un grand nombre de registres différents – que l’actrice assume par ailleurs avec brio. La gestion des émotions des spectateurs nécessite peut-être de travailler différemment leur inclusion au service d’une pièce écoresponsable dans sa teneur énergétique ou dans son impact environnemental, car la frontière entre le sentiment de décalage et l’immersion empathique des membres du public est aussi fine qu’une feuille de cigarette.