Un voyage sans sas ni parachute

Par Hugo Merzeau

Une critique sur le spectacle :

Nous traversons une légère perturbation / Mise en scène par Loredana von Allmen / Théâtre du Pommier – Neuchâtel / du 22 au 24 octobre 2021 / Plus d’infos.

© Matthias Steffen

Le collège de la Promenade, transformé en aéroport pour l’occasion, accueille les spectateurs qui pour un soir seront les passagers du dernier vol de la compagnie Blue Horizon. Ce spectacle immersif brouille les codes traditionnels du théâtre en supprimant les espaces de transition. Un sentiment de décalage permanent, générateur d’effets comiques, permet alors de soulager les passagers qui embarquent pour leur dernier voyage. Un spectacle joueur dont on sort avec le sourire malgré les perturbations rencontrées.

« On n’est pas mort finalement ? » Debout dans la cour du collège de la Promenade, les voyageurs décontenancés hésitent à bouger, pas encore certains que le spectacle soit vraiment terminé, signe que l’immersion semble être un succès de l’embarquement à l’évacuation ou presque. Accueillis par deux hôtesses dans un hall de collège qui n’a rien à envier aux salles d’attente de l’aéroport de Genève, les spectateurs troquent leurs QR codes contre des similis billets d’avion. A cet instant, les voyageurs sont déjà plongés dans le monde fictionnel du dernier vol de la compagnie Blue Horizon. Les horizons d’attente du voyage et du théâtre traditionnel ne cessent de s’entrechoquer, et de ces contacts et décalages émergent le comique du spectacle.

La salle de gym, transformée pour l’occasion en douane d’aéroport, donne à voir pour la première fois les quatre comédiens, Marie Sesseli-Meystre, Sandro De Feo, Marcin de Morsier et Loredana von Allmen qui nous emmènent avec eux. Au rythme des coups de sifflets, nous suivons les douaniers et douanières qui se changent, à vue pour la plupart, enfilant ainsi leur tenue d’équipage. Une fois le check-in accompli, nous voici installés à nos places dans une réplique d’avion. La démultiplication de ces zones de transition crée une perte des repères classiques du théâtre, comme le rapport entre scène et salle ou le noir avant le début du spectacle, ce qui participe grandement à l’immersion des spectateurs dans ce voyage.

Pour la première fois, Loredana von Allmen endosse, en plus de son rôle de comédienne, celui de metteuse en scène. Le choix d’un tel décor permet une immersion maximale au détriment de la liberté des comédiens et comédiennes dans leurs expressions corporelles. S’ils arrivent par moment à contourner ces limites, notamment en diffusant dans l’avion plusieurs courts-métrages parodiques de genres différents réalisés par leurs soins, il en résulte quelques conséquences sur le rythme général du spectacle qui ne parvient pas toujours à surmonter les contraintes imposées.  Les monologues nuageux du commandant de bord offrent cependant une belle emphase aux dépressions atmosphériques que notre avion va bientôt rencontrer et constituent un filigrane narratif qui prend de l’importance alors que nous traversons la perturbation finale. Le saut sans parachute du commandant déclenche une ambiance plus tragique pour conclure notre voyage. Le personnel de bord poursuit cet ultime rebondissement à travers leurs récits intimes à propos de leur amour envers leurs fils, mère ou amant. Les contours d’une métaphore plus générale des drames ordinaires émergent momentanément avant que la « réalité » de la situation nous rattrape et que nous amerrissions : sommes-nous vivants ? Entre immersion et parodie, le dernier vol de la compagnie Blue Horizon nous invite à traverser avec humour et légèreté sa dernière perturbation.