Par Sarah Neu
Une critique sur le spectacle :
Le Malade imaginaire / de Molière / Mise en scène par Cyril Kaiser (compagnie Le Saule Rieur) / Théâtre des marionnettes de Genève / Spectacle programmé en novembre 2020 annulé après une représentation en raison des conditions sanitaires / Captation vidéo réalisée au Théâtre du Crève-Coeur en 2019 mise à disposition des participants de l’Atelier critique / Plus d’infos
C’est une actualisation brillante du Malade imaginaire de Molière que proposent Cyril Kaiser et sa Compagnie Le Saule Rieur avec une création dans laquelle huit des douze personnages sont incarnés par des marionnettes. Celles-ci, maniées par quatre comédiens et comédiennes au jeu vif et maniéré, sont particulièrement expressives. Une mise en scène extravagante et colorée qui revisite le grand classique en mettant en lumière l’action purificatrice du théâtre.
C’est après trois brefs prologues, hommages à la tradition de la comédie-ballet introduite par un moment musical et dansé, que le public retrouve son malade préféré recroquevillé dans un lit de bois étriqué au centre de la scène. Argan a l’allure ahurie et malicieuse d’un enfant maniant un jouet. Son long monologue d’entrée est ici adressé à une petite marionnette qu’il agite. Celle-ci représente son apothicaire bien-aimé, Monsieur Fleurant. Dès lors, la pièce se poursuit mêlant avec fluidité comédien.nes et marionnettes à tel point que les spectateurs et spectatrices cessent presque de les distinguer. Avec une énergie rythmée et bariolée, les entrées et sorties des différents personnages sont systématiquement annoncées par leurs apparitions graphiques derrière deux cadres découpés en fond de scène. Pour la répartition des rôles, le choix du metteur en scène a été d’attribuer les personnages hypocrites et tricheurs aux marottes, dont les traits portent le masque perfide d’un désintérêt caricatural. Ainsi, l’ensemble du corps médical et l’épouse manipulatrice Béline prennent corps grâce au travail minutieux du facteur de marionnettes Christophe Kiss. Ses créations mettent en évidence avec acuité et humour les stéréotypes grotesques qu’incarnent les différents partis en présence, que ce soit par la poitrine surabondante de l’épouse faussement maternante ou les traits vicieux et estropiés des médecins calculateurs. Si le texte de Molière est respecté à la lettre, plusieurs éléments, dont un interlude musical cadencé par du Jimi Hendrix, se font porteurs d’une veine plus contemporaine. Le jeu des quatre comédien.ne.s, quant à lui, est empreint des codes très expressifs de la commedia dell’arte. C’est une prouesse qu’ils accomplissent en manipulant et caractérisant par différentes voix les douze personnages de la pièce, au point que le public, gagné par le rire, finit par oublier que de nombreux échanges sont le fruit d’une seule et même personne.
La mise en scène, qui érige Toinette au rang de maîtresse du jeu, peut être vue comme une mise en abyme du théâtre. Particulièrement lorsque celle-ci, orchestrant la simulation de mort d’Argan, mène son petit monde domestique à la baguette, à la manière d’un Molière mettant en scène sa propre troupe. L’action a alors fonction de déployer la résolution ultime de l’intrigue. Le malade obstiné, après avoir fait le mort pour percer à jour les sentiments sincères de sa maisonnée, réalise que le plus grand des maux réside dans l’ignorance de la valeur de l’amour. Il découvre alors que le remède se trouve chez ses véritables proches et guérit par la seule force du lien, cela au même titre que le public, qui bénéficie dans la salle des bienfaits du théâtre.
C’est un plaisir que de voir ce classique adopté et investi par la grande famille chaleureuse que forment la Compagnie du Saule Rieur et ses figurines, après un travail similaire sur L’Ours de Tchékhov et La Cantatrice chauve de Ionesco. La pièce, alors qu’âgée de plus de trois cent ans, se laisse redécouvrir avec fraîcheur et intelligibilité.