L’espace et nous

L’espace et nous

Mise en scène d’Alain Borek et le Cabinet Créatif / Théâtre 2.21 / du 28 mai au 2 juin 2019 / Critiques par Lucas Lauth et Amina Gudzevic.


S’envoler pour “gamma” ?

2 juin 2019

@ Théâtre 2.21

Alain Borek et le Cabinet Créatif proposent, en co-production avec le Théâtre 2.21, une expérience ludique et inattendue à vivre jusqu’au dimanche 2 juin. L’espace et nous incorpore le public au jeu et en fait une communauté qui doit collaborer. Les spectateurs deviennent, le temps d’une soirée, participants d’un spectacle interactif et sont poussés à se poser des questions existentielles sur l’avenir de l’humanité. Le tout avec beaucoup d’humour et de deuxième degré.

Nous entrons dans une salle étroite du 2.21. Là, nous déposons nos téléphones portables et notre identité. Les noms de grandes villes du monde sont inscrits sur des badges ; nous en sélectionnons un : ce sera notre prénom pour la soirée. Nous sommes projetés en 2020. La terre, telle que nous la connaissons, n’existe plus. Notre petit groupe d’une trentaine de spectateurs doit alors prendre des décisions, coopérer, débattre pour choisir vers quelle planète s’envoler, décider des valeurs et habitudes à prendre et de celles qui sont à abandonner, ou encore se mettre d’accord sur les nouvelles règles qui dirigeront nos vies, dans le vaisseau et à notre arrivée sur la planète choisie. Ensemble, nous devons paramétrer les comédiens-cyborgs qui nous accompagneront durant notre voyage. Nous avons à définir leurs prénoms ainsi que leurs caractères. Nous faisons recours au hasard. Nos robots s’appelleront « Jean-Pierre » et notre cyborg principal sera de caractère « coulant ». Nous rions de cette liberté donnée aux spectateurs.

Dans l’atmosphère drôle et bon enfant instaurée par les membres du Cabinet Créatif, nous comprenons rapidement l’ampleur de notre responsabilité et des choix que nous avons à faire. Pourtant, dès les premières décisions à prendre, notre communauté ne trouve pas de terrain d’entente. Les premières dissensions se forment et des signes de domination s’installent. Certains imposent leurs idées haut et fort, d’autres se font plus discrets et suivent les indications. Des microcosmes se créent alors, avec des intérêts à défendre, des positions vis-à-vis du reste de la communauté, des rôles à jouer. Nombre de questions, représentatives de nos modes de vie actuels, sont soulevées : faut-il continuer à consommer de la viande sur notre nouvelle planète ? Doit-on interdire de fumer ? Quels sont les objets qui représentent notre culture ? Quelles vont-être les cultures laissées pour compte ? Pendant combien de temps pourrions-nous nous supporter ? Quelle est notre mission, déjà ?

Alain Borek et le Cabinet Créatif, par ce dispositif collaboratif inédit, cristallisent avec beaucoup d’humour et de légèreté les enjeux et incapacités à s’entendre de notre société actuelle. Nos idéaux sont grands, notre volonté de changement est forte, mais nous défendons chacun des valeurs et des priorités éloignées les unes des autres. Les sacrifices sont difficiles à réaliser et nous peinons à comprendre l’incapacité des autres à faire des concessions. Nous débattons de ce que l’on doit changer, modifier, oublier et peu de ce que l’être humain a su créer et qui doit être préservé. Cette production est une expérience sociologique forte et utile à chacun, en ce qu’elle permet d’appréhender la complexité de notre monde et de comprendre pourquoi il est si difficile de le faire évoluer.

2 juin 2019


Liberta Terra Gamma

2 juin 2019

@ Théâtre 2.21

L’occasion est donnée à un petit groupe de survivant·e·s de l’espèce humaine, les spectateurs du 2.21, de quitter notre planète, qui n’est plus viable. Guidés par Alain Borek et deux de ses acolytes, les spectateurs doivent s’entraider afin de construire un vaisseau et réinventer leur communauté. Le temps est compté, mais ce jeu de rôle aux allures futuristes n’impose pas de limites ni de frontières à la créativité de ses participant·e·s.

 « Welcome to security reception » peut-on entendre, dans différentes langues, dans la première salle. Sous ses airs de contrôle de sécurité, le processus d’identification débute. Tous les spectateurs déposent leur téléphone dans une petite boîte et sont priés de choisir une nouvelle identité : un nom de ville. L’aventure commence par une petite épreuve visant à tester la capacité de chacun à coopérer, se soutenir et s’entraider. La deuxième étape consiste à choisir un système de décision, car il est évident que si l’on doit tout recommencer ailleurs, il va falloir faire des choix, beaucoup. Nos trois accompagnants — des cyborgs dotés de capacités relationnelles — endossent plusieurs rôles durant cette aventure. À la fois médiateurs, conseillers, parfois meilleurs amis ou animaux de compagnie, ils répartissent les spectateurs dans différents postes, à savoir : se déterminer sur les principes de ce « nouveau monde », agencer le vaisseau, prévoir les stocks, les souvenirs que l’on emporte, etc. Il s’agit, ensemble, de se réinventer et de collaborer dans un seul but commun.

Tout cela tourne à l’expérience sociale, où la collectivité prend le dessus sur l’individu. Une cohésion, presque naturelle, s’installe entre des personnes de tous âges et horizons. Le spectacle brise les codes en abolissant la frontière entre les individus, en les forçant à mettre de côté ces appréhensions qui font que l’on ne se mélange pas, ou peu. L’aventure est d’autant plus spéciale qu’elle est unique : chaque soir de représentation voit s’affairer un nouveau groupe dont les idées, les valeurs, la créativité et l’esprit critique diffèrent du précédent. Mais c’est également un champ des possibles qui s’élargit au fur et à mesure des représentations, car au-delà du dispositif fictionnel s’installe une réelle réflexion sur le devenir de notre société et de ses ressources.

Il a été demandé à chaque spectateur, au début du spectacle, de s’écrire une lettre en se projetant dans l’année à venir et d’expliciter ce qu’il souhaite accomplir ou changer dans le monde. À la fin de l’aventure, un choix s’impose : soit récupérer la lettre, soit prendre une carte d’embarquement pour le vaisseau. Ce choix reflète deux réalités personnelles auxquelles sont confrontés les spectateurs. Dans le premier cas, il est question d’agir en choisissant la lettre qui expose une réalité possible, une proposition d’amélioration faite à soi-même. Dans le second cas, la fiction prend le dessus et l’aventure s’ancre dans celle-ci : le spectateur prend la décision d’abandonner la lettre ainsi que son contenu. Il est pourtant évident qu’Alain Borek et ses partenaires de jeu cherchent à stimuler l’imagination de leurs spectateurs dans le but de questionner la société et ses crises actuelles, en offrant la possibilité, à la fin du spectacle, d’une remise en question individuelle. Et si la survie de l’espèce humaine dépendait de sa part d’humanité, c’est-à-dire du sentiment de bienveillance et de compassion que l’on a envers autrui, que l’on a en soi ?

2 juin 2019


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