Par Ivan Garcia
Une critique sur le spectacle :
…avec un U-Boot / Création de la compagnie You Should Meet My Cousins From Tchernobyl / Mise en scène de Christian Cordonier et Isumi Grichting / Petithéâtre de Sion / du 31 janvier au 10 février 2019 / Plus d’infos
Au Petit Théâtre de Sion, l’ambiance aquatique d’Avec un U-Boot entraîne le public dans un spectacle au sein duquel deux êtres discutent de tout et de rien. Sous la surface, des liens se créent et des souvenirs émergent.
L’immersion dans la représentation commence dès que le seuil du théâtre est franchi. Le Petit Théâtre de Sion organise ses soirées en fonction des thèmes des représentations. Ce soir-là, toute l’équipe est déguisée en marins, en nageurs, et autres avatars aquatiques. Durant la saison, la première partie des soirées est constituée par une forme brève toujours en rapport avec la thématique du spectacle présenté. A cette occasion, il s’agit de la performance d’un chanteur ; celui-ci arbore un long manteau de fourrure et des lunettes de soleil. Il grimpe sur une scène improvisée et chante une composition de son crû «Hiroshima, Tchernobyl, n’appuie pas sur le bouton» – référence directe au nom de la compagnie qui présente le spectacle, You Should Meet My Cousins From Tchernobyl. Suite à cela, la maîtresse de soirée, un tuba dans la bouche, invite les spectateurs à descendre dans la salle.
Dans la cave du théâtre, le décor est posé. Au coin, une petite scène, en forme de cube, situe l’action dans un sous-marin. Instruments de mesure, tabourets, périscope et ordinateurs sont installés. Au centre de ce cube, deux personnes se tiennent debout. Une femme, en combinaison orange, et un homme, en combinaison bleue, débutent une procédure d’immersion. Ludmila et Josh sont en mission. Dans leur sous-marin, ils voyagent avec un objectif peu clair… Parfois, ils reçoivent des messages et des cartes postales de la surface. Lorsqu’ils prononcent ce mot, «la surface», une nostalgie s’empare d’eux. Leur idéal serait de remonter sur terre, de retrouver leurs familles, et de passer à nouveau du temps au soleil. Or, dans ce sous-marin, sorte de contre-enfer sartrien, ils sont bloqués et parlent peu. La musique, plutôt discrète, tient pourtant une place importante dans cette création parce qu’elle permet de glisser entre les différents plans de la représentation, celui de la diégèse et celui, encadrant, de la musique de scène. Ludmila, notamment, apprécie beaucoup cette musique qui, d’une certaine manière, permet de franchir le quatrième mur. Souvent, elle porte ses écouteurs sur les oreilles pour entendre de la musique électronique, largement audible par les spectateurs, et, à un certain moment, un rock russe retentit dans le sous-marin. La musique sert de lien entre ces exilés et le monde extérieur. Il en sera beaucoup question, de liens. Pourtant, entre eux, les comédiens n’interagissent pas beaucoup. Ludmila est la capitaine du sous-marin et Josh, son employé. Ils entretiennent un rapport fluctuant, parfois vertical, parfois horizontal, mais semblent pourtant proches. Lors d’une lecture de cartes postales et messages, Josh se délecte d’une amie qui lui transmet son souhait de «manger un kebab» en sa compagnie ; chacun des protagonistes se recrée un monde, à l’intérieur du sous-marin, à travers ces objets qui les lient à l’extérieur. Cet extérieur qui, lui, est idéalisé et intangible. La représentation maintient le public dans le flou. On ne sait pas vraiment, sauf un bref instant, l’heure qu’il est, où est le sous-marin, ni l’objectif réel des personnages… Le public doit faire appel à son imagination, afin de créer des liens et du sens, entre les événements montrés.
Alternant entre différents dispositifs narratifs (dialogues, vidéo, musique,…), Avec un U-Boot est la première création d’Isumi Grichting, ancienne élève de la Manufacture, et de Christian Cordonnier, en collaboration avec Julie Bugnard, également une ancienne élève de la Manufacture. En entraînant les spectateurs dans une atmosphère calme avec peu d’informations narratives, les jeunes comédiens circulent entre différents niveaux diégétiques, en interrogeant nos manières de combler les non-dits.