Par Lucien Zuchuat
Une critique sur le texte de la pièce :
Le Projet / De Luisa Campanile / Pièce créée en 2017 au Centre Dramatique National de Poitou-Charentes / Plus d’infos
Dans sa dernière pièce, Le Projet, Luisa Campanile, dramaturge italienne et suisse, licenciée en psychologie, questionne la validité de notre système d’éducation dans un monde louant la rapidité et l’efficacité. Rencontre.
D’emblée, elle m’a confié que la post-dramaturgie, qui l’avait nourrie à ses débuts lui « cassait les pieds ». Trop froide ? Trop cynique ? C’est que Luisa Campanile a le souci de l’humain, qu’elle croit à la puissance d’un théâtre où la narration a fonction de résilience. Il ne s’agit pas ici d’optimisme gratuit, loin s’en faut… Chez elle, ces valeurs agissent comme une injonction à rester éveillé, à scruter, pour mieux s’en défendre, les exigences de performance et de profit qui organisent jusqu’aux sphères les plus intimes de nos vies.
Aussi la question de la transmission, du choc générationnel tient-elle une place particulière dans les écrits de la dramaturge, comme pour mieux interroger l’inadéquation fondamentale entre nos valeurs humanistes, notre héritage moral et la brutalité dont notre quotidien est tissé. Dans Le Lion d’Abyssinie (2014), elle mettait en scène une famille, héritière d’un passé colonial, devant faire face à la crise de l’emploi en Europe ; dans La Friche, parue en 2016 chez L’Ecole des Loisirs, des adolescents s’accaparant un terrain vague érigé en symbole de leurs différends avec la municipalité.
Sa dernière pièce, Le Projet, écrite en résidence au Centre Dramatique National de Poitou-Charentes, poursuit ce questionnement : le récit prend place dans une école de quartier que le malheureux vocabulaire administratif qualifierait de « difficile ». On y retrouve Marie, une anti-héroïne toute d’abnégation, à la fois enseignante aux méthodes peu académiques, femme vivant avec un conjoint qui a fait le choix du retrait social et mère d’un garçon précoce qui répond au nom onirique de MonCœurx2. Une anti-héroïne car, en dépit de toute sa volonté, elle demeure témoin plus qu’actrice : de misère en misère, sa force est d’essayer de faire de son mieux, de ne pas succomber au défaitisme ambiant, d’ignorer – ou de faire tout comme – que la moitié de la classe déjà ne vient plus en cours, que le matériel fait défaut, que les infrastructures se délitent petit à petit comme dans son couple des brèches de plus en plus profondes se creusent. On la suit dans ce voyage du côté des perdants, des délaissés, ce voyage intérieur où le réel se mêle au souvenir, les temporalités se superposent, les langues, enfin, se brouillent, dans un texte qui unit la poésie et le langage vif de l’adolescence.