Macbeth

Macbeth

D’après William Shakespeare / Adaptation et mise en scène de Valentin Rossier/ New Helvetic Shakespeare Company / La Grange de Dorigny / du 21 au 29 octobre 2017 / Critiques par Ivan Garcia et Laure Salathé. 


Vapeurs de whisky

27 octobre 2017

© Marc Vanappelghem

Premier spectacle d’une nouvelle saison théâtrale à la Grange de Dorigny, le Macbeth de Valentin Rossier divise les spectateurs. Alors que la pièce de Shakespeare est une tragédie aux actes sanglants, cette mise en scène plonge le public dans l’univers de Valentin Rossier, un huis-clos teinté d’une fibre dostoïevskienne, dans laquelle règnent folie, ténèbres, manipulation et breuvages alcoolisés.  

L’histoire de Macbeth est célèbre : grand guerrier dirigeant les armées de son cousin Duncan, roi d’Ecosse, le personnage enchaîne les honneurs. Lorsqu’il rencontre trois sorcières qui lui prédisent un avenir radieux, il bascule dans la criminalité et assassine tous ceux qui risqueraient de s’opposer à son ambition. Chez Valentin Rossier, le sang se teinte couleur whisky. Il fallait oser travestir le grand guerrier des Highlands en « criminel en col blanc » adepte de Scotch et visiblement mal en point moralement et physiquement.
Dans le salon d’une chambre d’hôtel du siècle passé, ou plutôt d’un salon de château, Macbeth et Banquo siègent, whisky à la main, sur un confortable canapé gris-vert. Vêtus de costumes sans cravates, au style Vito Corleone dans Le Parrain de Francis Ford Coppola, ils discutent de leur avenir. Macbeth est fatigué. De l’ascenseur central du salon apparaissent les trois sorcières. Leur look est un étrange mélange entre Cruella d’Enfer et La famille Adams. Elles prédisent l’avenir des deux amis : Macbeth deviendra roi et Banquo aura une descendance royale. Leur caractère sensuel crée une ambiance festive. L’ascenseur est le seul moyen d’accès à la chambre et au salon du château ; il fait le lien entre le monde extérieur et le monde intérieur, constituant un monde à part entre les deux. Le trio de femmes qui en sort est-il la personnification des désirs (alcoolisés) des deux compagnons  ou s’agit-il de personnages fantomatiques ? A l’opposé du canapé, côté cour, une longue table sert de bar à diverses bouteilles et verres à whisky. Sur celle-ci, un magnétophone vient s’ajouter à ce sobre décor de moquette et de rideaux verts. L’objet servira parfois de relais aux paroles de différents personnages. C’est de lui que sortent les mots de Macbeth qui informent Lady Macbeth de la prédiction ; c’est lui qui répond à la folle ivresse du protagoniste, produisant des discours que Macbeth imagine, telle une mauvaise conscience.

L’histoire de Macbeth version Valentin Rossier, c’est aussi l’histoire d’un manipulateur. Une fois couronné, le héros s’emploie à éliminer ses anciens alliés. Pour ce faire, le nouveau monarque fait appel à des « hommes de main » qui, semblables aux Men In Black, exécuteront les basses besognes du souverain. Lady Macbeth ne reste pas en marge de ce manège manipulatoire puisque c’est elle qui, sous ses airs de « femme fatale » de films noirs, pousse Macbeth à l’acte. Les costumes notamment mettent en avant cet aspect « mafieux » : l’accoutrement des personnages, dans une atmosphère oppressante et fermée, rappelle l’ambiance thriller et l’univers d’une pègre toute-puissante prenant les décisions et les faisant exécuter par d’autres. Lady Macbeth, seule femme de pouvoir, au milieu de ces hommes, montre qu’elle tient un rôle similaire à celui de Macbeth mais qu’elle l’exerce sur son époux lui-même. En effet, si Macbeth contrôle les autres personnages, il se fait manipuler par les personnages féminins, le trio des sorcières ou Lady Macbeth : pouvoir et séduction sont ici liés comme moteurs de l’action. Les personnages féminins, tous vêtus de noir, semblent symboliser de manière allégorique les plus sombres désirs du souverain qui, tiraillé d’abord entre moralité et ambition, cède face à la tentation. La mise en scène pousse à s’interroger sur le pouvoir des chimères de l’esprit humain, dans une tragédie à huis clos aux vapeurs de whisky.

Si cette lecture approfondit les caractéristiques psychologiques de Macbeth, elle laisse de côté les actions guerrières propres à la tragédie de Shakespeare. On regrette malgré tout que ce refus de tout grand mouvement ait ici pour corollaire une lenteur surprenante dans le déroulement des actions, qui, jointe à l’effet de huis-clos, produit à la longue un sentiment de lassitude chez les spectateurs eux-mêmes.

27 octobre 2017


L’ivresse du pouvoir

27 octobre 2017

© Marc Vanappelghem

Macbeth tue Duncan. Puis il tue Banquo. Peu à peu, sa folie prend le dessus. Il ne voit plus clair, ne fait plus la différence entre le réel et ce qu’il imagine. Dans la mise en scène de Valentin Rossier, les spectateurs voient l’action par le prisme de la folie, ne distinguant plus ce qui est du ressort de l’imagination du personnage de ce qui ne l’est pas. Dans ce spectacle créé à l’Orangerie cet été, la pièce de Shakespeare prend une dimension étrange, comme un cauchemar de Macbeth.

Macbeth (Valentin Rossier) offre des discours intenses, criés, hurlés et parfois pleurés. La folie du personnage est amplifiée par le whisky, dont il se sert en abondance. Si son allure est fatiguée à l’ouverture du spectacle, elle se fait vaseuse, défraîchie, au fur et à mesure des meurtres et de la liqueur. Il crie, il pleure, il implore les trois sorcières et exaspère sa femme ; il est perdu, sa peur se noie dans son remords. Son état empire jusqu’au moment où, titubant, sa couronne sur la tête, il s’en va combattre Macduff. La relecture de Macbeth en personnage qui boit explique peut-être le ralentissement progressif de la pièce : les tirades se font un peu traînantes, surtout vers la fin, ponctuée de nombreux silences. Ce rythme, il faut le dire, est lui même quelque peu lassant : dommage que l’état de Macbeth, présenté comme las dès le début, ne puisse que s’aggraver.

La sensation d’assister à une hallucination du personnage donne l’impression de vivre l’histoire à travers les yeux de Macbeth. Les spectateurs sont comme pris au piège et n’aperçoivent jamais l’extérieur de cette petite chambre, tout comme Macbeth est pris au piège dans ses pensées, ses regrets, son délire. La mise en scène de Valentin Rossier nous met en état de voir l’action par le filtre de la folie du roi et de son ébriété. C’est peut-être pourquoi les personnages féminins – les sorcières et surtout Lady Macbeth – sont fortement – et parfois grossièrement – sexualisés, ou pourquoi le spectre de Banquo apparaît de manière absolument épouvantable. Dans cette interprétation, c’est l’attitude détachée de Lady Macbeth, et non la démence de son mari, qui paraît déplacée. Au milieu de tous ces remords, ces personnages sans pitié, et cette volonté de presser le destin qui finit en bain de sang, qui peut dire ce qui est imaginé par Macbeth ?

Dans les scènes de délire, la lumière se fait plus tamisée et une musique psychédélique fournit un fond sonore vaporeux, qui nous plonge encore plus dans l’esprit torturé du roi d’Écosse. L’ascenseur qui permet l’entrée et la sortie de presque tous les personnages apporte une touche d’humour, lorsqu’au milieu d’un dialogue sérieux, les portes s’ouvrent sur une brève sonnerie et que la musique d’ascenseur, dans tous les sens de l’expression, s’introduit dans la chambre d’hôtel. Cette boîte, seul lien avec l’extérieur, nous enferme dans cet espace clos, étouffant, semblable à la folie dont Macbeth ne parvient pas à se défaire. Cloîtré dans cette chambre, il n’en sortira que pour tuer Duncan et pour aller à la rencontre de celui qui le tuera.

27 octobre 2017


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