La grenouille avait raison
De James Thierrée / Théâtre de Carouge / du 5 avril au 8 mai 2016 / Critiques par Valmir Rexhepi et Jehanne Denogent.
5 avril 2016
Par Valmir Rexhepi
Fléchir
James Thierrée, nous conduit jusqu’à l’ouverture, sous l’arbre. Personne n’est en retard. Personne n’est à l’heure non plus. Il n’y a plus de temps, si ce n’est celui, onirique, qui coule par plaisir, parfois par remous. Nous voilà tombés dans le trou.
J’étais dans un rêve.
Dans l’hémicycle aux sièges drapés de rouge, d’autres personnes prennent place. Face à nous, la scène, aguicheuse, sensuelle, voilée de son rideau couleur lave. Et puis, soudain, alors même que nous faisons encore du bruit ou peut être que du bruit sort des murs, un corps, couvert de tissus pourpres, attache notre regard, descend les escaliers jusqu’au rideau, se fond en lui et s’allume. Le tout s’embrase et la scène se révèle.
Je suis assis, pris au piège, comme ces personnages qui jouent devant moi : Il me semble avoir lu quelque part, une feuille, un écriteau, un bout de papier froissé – ou peut-être est-ce ma voisine qui me l’a dit ? – que c’est l’histoire de personnes prises au piège, quelque part, hors du monde ; que James Thierrée a construit ce piège auquel lui-même se prend ; que souvent ses créations ne visent rien de précis mais touchent tout le monde. Je ne suis sûr de rien, j’étais dans un rêve.
Je ne les entends pas bien, ou peut être font ils danser leurs lèvres, sans bruit, comme ils font danser leur corps. Je suis pris au piège, ravi à moi-même, et ne peux que vivre la poésie qui se construit dans mes yeux, dans mes oreilles, dans la légère moiteur de mes mains (il fait chaud : beaucoup de personnes rêvent ensemble). Et mon cœur ne bat plus. Il vibre, produit des sons qui éclatent sur scène, des notes de piano, de violon, des bruits de pas qui frôlent le sol, le caressent.
J’étais dans un rêve.
Non pas le mien, ou le rêve de quelqu’un en particulier. Un rêve que je ne saurais rêver, la nuit, les yeux fermés, seul. J’ai vu un escalier pousser, fleurir, danser avec les personnages ; des lumières qui regardent, un piano piaillant seul quelques airs de son cru ; une grenouille immense, légère, translucide. La grenouille avait raison ? Elle avait toutes nos raisons. Elle les a prises, enfermées dans une boite aux parois de fumée, nous offrant enfin le loisir de ne plus réfléchir, mais simplement fléchir. Prendre de l’élan, bondir. Et plonger dans le songe.
5 avril 2016
Par Valmir Rexhepi
5 avril 2016
Par Jehanne Denogent
Une libellule sur un cerceau
Avez-vous déjà vu … une nymphe qui se transforme en otarie ? Une pile d’assiettes qui ne dégringole jamais ? Un paillasson rampant ou une fille dont le corps forme plus de mots que le dico ? Bientôt, oui !
Sans le remarquer, quelque part entre la porte d’entrée, le billet déchiré ou le moelleux du siège, je suis tombée dans un monde magique. Pouf. Sans crier gare. Il m’a fallu quelques minutes pour m’en apercevoir, alors qu’une créature drapée de rouge, mystérieuse et impérieuse, traverse le public encore babillard. Arrivée sur scène, elle fond pour passer sous le rideau. Oui : ELLE FOND ! Avez-vous déjà vu une personne encapuchonnée de velours rouge fondre ? Pour de vrai, pas dans les films ? Je suis maintenant heureuse de l’annoncer : moi oui !
Et les surprises ne s’arrêtent pas là. De loin pas. Derrière cette guide mystique, nous pénétrons plus avant dans le monde merveilleux de James Thierrée. Là, les gens se déplacent en de souples pirouettes, le piano joue sans pianiste, les escaliers tournent à l’infini, une fleure-soucoupe volante s’épanouit dans les airs (si si !), … Nimbant ce fouillis génial, une voix chante et conte par bribes l’histoire des malheureux sur scène, les enfants du roi. Par jalousie, l’ancienne femme de ce dernier, détrônée suite à la révélation de son mystérieux secret, les a enfermés ici. Pour passer le temps (et le nôtre, délicieusement), ils inventent des jeux et voyagent par l’imagination.
Son univers, James Thierrée l’invente depuis quelques années déjà. Avec sa Compagnie du Hanneton, fondée en 1998, il a mis en scène plusieurs spectacles comme : La Symphonie du Hanneton (1998), La Veillée des abysses (2003), Au revoir parapluie (2007). Il n’y a pas que les titres qui sont originaux. Les créations derrière ces chouettes noms sont singulières, époustouflantes et simplement très belles à voir. Influencé par le cirque de ses parents et par son grand-père Charlie (Charlie Chaplin pour les connaisseurs), James Thierrée engendre des formes scéniques hybrides. Il mêle le cirque, les acrobaties, le clown, le théâtre, le gromelot, la danse, le contorsionnisme, … tout ça sur un petit plateau. C’est grand !
Il reste toutefois une énigme : pourquoi la grenouille avait-elle raison ? A vrai dire, je ne saurais trop vous dire. Parce qu’à première vue, lorsque la grenouille apparut sur scène, je crus que c’était un dragon de nouvel-an chinois, tout de papier et de vent vêtu. Il n’empêche, la vision était saisissante ! Des mystères persistent et c’est très bien comme ça. La Grenouille avait raison chatouille l’imagination, laissant vivre les associations et les interprétations.
Pour apercevoir un peu de magie, certains se rendent sur le quai 9 ¾, d’autres entrent dans une armoire. Ce n’est pas trop commode (gare au mauvais jeu de mot), il faut en convenir. Plus facilement, sans vraiment comprendre comment, je suis entrée et puis revenue d’un monde magique, quelque part entre le rideau baissé, le siège tiède et le billet jeté. A essayer !
5 avril 2016
Par Jehanne Denogent