Sauvage : Opéra de Chambre
De Dominique Lehmann (musique) et Pierre Louis Péclat (livret) / mise en scène Hélène Cattin / Théâtre de la Grange de Dorigny / du 8 au 10, puis du 15 au 17 janvier 2016 / Critiques par Emilie Roch et Amandine Rosset.
8 janvier 2016
Par Emilie Roch
Pulsions sauvages
Impudique et effrontée, la mystérieuse Liaraca se divertit à gratter la fine couche de bienséance qui régit les rapports entre quatre amis de la bonne société. Sauvage : Opéra de Chambre donne à voir et à entendre le choc entre un monde « primitif » incarné par Liaraca, libre de toute convention sociale, et les membres d’un monde civilisé, empêtrés dans leurs jugements de valeur.
Entre Liaraca (Diane Muller, comédienne) et Marie (Arielle Pestalozzi, mezzo-soprano), le contraste est saisissant : la première vole un manteau, boit au goulot d’une fiole en forme de crâne humain et lance sa culotte sur la vaisselle, tandis que la seconde désinfecte tout après le passage de la « sauvageonne ». Suite à une interminable séance d’échange de politesses avec ses amis – Madeleine (Elisabeth Greppin-Péclat, soprano), Pierre (Michel Mulhauser, ténor) et Paul (Raphael Hardmeyer, baryton) –, Marie, visiblement gênée, leur demande conseil sur la façon de gérer la présence de la jeune femme indisciplinée. « Le bon sens doit guider l’être humain », lui répond Paul, le moralisateur du groupe, alors que Pierre se ressert de porto tout en roucoulant avec Madeleine.
Les scènes s’alternent ainsi entre les interventions de Liaraca, accompagnées d’une musique aux tonalités « sauvages » (les percussions dominent), et les échanges entre Marie et les autres, dont les trémolos lyriques sont accompagnés au piano et à la contrebasse. Tout bascule lorsque Liaraca, nue sous son blazer, surgit pendant la réunion entre les quatre amis : malaise du côté des femmes, tentative de créer un dialogue de la part de Paul, rapidement écarté par Pierre, subjugué par la jeune femme. Fou de désir et totalement désinhibé par la présence de Liaraca, Pierre se laisse aller à des pulsions animales, que ses amis bien-pensants ne parviennent plus à réfréner.
La fin du spectacle a de quoi laisser le spectateur perplexe : le basculement dans le drame est si précipité et brutal, et le jeu d’acteurs si peu crédible à ce moment-là, que le final en devient loufoque. Difficile de déterminer si les rires du public sont recherchés ou non par la mise en scène à ce stade du spectacle. Quoiqu’il en soit, ce final excessif a pour effet d’atténuer la portée de la réflexion de cet opéra sur la nature de l’homme, opposée à la culture. « Qui est le sauvage ? », se demandait Dominique Lehmann, le compositeur de Sauvage (aujourd’hui décédé) à sa création en 2002. La « sauvageonne » ou l’homme civilisé aux instincts refoulés ? La pièce souffre par moments du manque de nuances dans la représentation des différentes facettes de la sauvagerie humaine. Est-il nécessaire de montrer Liaraca, affublée de plumes dans le dos, tordant le cou à un lapin et le croquant, cru ? Ou encore de faire de Pierre, jusque-là tout à fait banal, un assassin frénétique à peine son désir éveillé ? À vous de juger, jusqu’au 17 janvier à la Grange de Dorigny.
8 janvier 2016
Par Emilie Roch
8 janvier 2016
Par Amandine Rosset
Civilités et sauvagerie
Comment réagir face à la sauvagerie ? Est-ce que tout le monde n’aurait pas une part sauvage au fond de lui-même ? Et finalement, qu’est-ce que la sauvagerie ? Voilà les questions que soulève l’opéra tragicomique repris par Hélène Cattin.
La metteure en scène Hélène Cattin s’est lancé le défi de diriger sa première pièce musicale. Pour ce faire, elle a décidé de reprendre la création tragicomique Sauvage, qui date de 2002, en mémoire de son compositeur romand Dominique Lehmann, mort en 2006. La scénographie de cet opéra de chambre est très simple et nous met dans l’ambiance d’une terrasse en plein été, notamment grâce au plancher surélevé et aux costumes estivaux des personnes présentes sur scène. L’espace est construit en deux parties : celle des comédiens-chanteurs et celle des musiciens situés dans un coin de la scène, qui interagissent tout au long de la pièce avec eux.
Au commencement, le public se retrouve face à une jeune fille prénommée Liaraca, interprétée par Diane Muller, qui sera la seule à parler sur scène puisque tous les autres personnages s’exprimeront en chantant. Sans comprendre exactement qui est cette femme mystérieuse, on perçoit la provocation et la forme de folie qu’elle répand autour d’elle. Ce personnage va servir d’élément déclencheur de la sauvagerie au cœur de la pièce.
Loin d’être toujours présente sur la scène, elle est cependant au centre du propos des quatre autres personnages présents justement pour parler d’elle. En effet, Marie, la femme qui a accueilli Liaraca chez elle, a demandé à des amis de venir la soutenir dans l’éducation et la civilisation de la jeune fille. C’est de cette confrontation entre le monde plein de civilités représenté par les chanteurs et l’animalité incarnée par Liaraca qu’émerge un questionnement sur la définition même de la sauvagerie, qui n’est peut-être pas exclusivement négative. Mais ce qui va véritablement lancer le débat seront les différentes réactions des chanteurs à l’arrivée de Liaraca. Chacun va vivre cette rencontre à sa manière et une question va alors prendre l’ascendant sur le reste : où se cache vraiment la sauvagerie ?
La musique est aussi au centre de la pièce. Elle aide à dissocier les différentes atmosphères ou les différents discours tenus sur scène. Elle fait monter la pression, particulièrement grâce aux percussions bien présentes. Elle amplifie véritablement toutes les actions et aide les spectateurs à mieux suivre l’histoire qui leur est présentée, car elle illustre des discours qui sont parfois un peu difficiles à comprendre, notamment lors de canons où chacun des personnages tient un propos différent. Si vous voulez découvrir ou redécouvrir la musique de Dominique Lehmann, rendez-vous donc à la Grange de Dorigny entre le 15 et le 17 janvier 2016.
8 janvier 2016
Par Amandine Rosset