Les Acteurs de bonne foi / de Marivaux / mise en scène Geneviève Pasquier et Nicolas Rossier / Théâtre des Osses / du 14 novembre au 8 décembre 2015 / plus d’infos
Geneviève Pasquier et Nicolas Rossier poursuivent leur exploration du théâtre dans le théâtre ; après l’épique Illusion comique cornélienne, c’est une jolie comédie de Marivaux qu’ils choisissent de revisiter. Fresque paysanne dans la paille d’une écurie, ça pétille, ça tambourine, ça danse, ça rit, c’est exutoire.
« Ils font semblant de faire semblant ! » s’exclame Blaise entre deux bégaiements. En voilà un pour qui cette petite comédie n’a rien de drôle. Le pauvre paysan, admirablement demeuré, est au désespoir d’assister à la séduction de sa pimpante Colette par le valet Merlin. C’est qu’il ne comprend pas, morgué !, qu’il s’agit de théâtre. Mais la fiction en est-elle vraiment une ? Blaise se trompe-t-il tout a fait ? Ses yeux naïfs ne décèleraient-ils pas ce qui se joue réellement dans la pièce montée par le fantasque Merlin ?
Dans cette mise en abyme marivaudienne, la vie des personnages contamine leur spectacle, et vice-versa. Nous-mêmes, on s’interroge : qui joue, qui ne joue pas ? Les niveaux se brouillent. C’est que, bien sûr, entre réalité et fiction, les frontières sont poreuses. Ce thème est bien connu, mais il est abordé ici avec humour, légèreté et très grande intelligence. Par une mise en scène ingénieuse, le binôme des Osses exploite le potentiel comique, et presque philosophique, de cette petite fantaisie de Marivaux, servie par de fabuleux comédiens.
Du théâtre dans le théâtre
Tant de fils à démêler ! Pas étonnant que les personnages s’y perdent. Un groupe de quatre paysans, valets ou femmes de chambres, est enrôlé par la riche tante d’Eraste, hobereau promis à la gentille Angélique, pour présenter un court spectacle à la future belle-mère du jeune homme. Deux couples donc répètent leurs rôles sous la baguette de Merlin (interprété par l’excellent Pierric Tenthorey dont la maîtrise de la prestidigitation est exploitée avec talent). Ce dernier se sert des caractères de chacun pour inventer un canevas qui doit brouiller les relations amoureuses par des chiasmes et des méprises, et auquel se mêlent divers numéros burlesques. Or le théâtre joue bien son rôle d’agent révélateur ; pour ces acteurs en herbe, les quiproquos deviennent trop réels, et Merlin lui-même semble se prendre au jeu.
Dans la deuxième partie, la pièce bascule chez les aristocrates, en visite dans l’écurie. C’est maintenant à la tante d’Eraste d’endosser la fonction de metteur scène pour monter une farce cette fois-ci bien plus machiavélique. Car désormais, ce ne sera plus la vie qui se mélangera au théâtre mais le théâtre qui investira la vie. En donnant à penser à tous que son projet de marier son neveu est changé, elle forcera la mère d’Angélique à se donner en spectacle. Pas étonnant d’ailleurs que le rythme de la pièce retombe un peu : la machinerie devient plus vile et les personnages, moins colorés, plus nobles et, disons-le, plus ennuyeux, sont également plus pernicieux. Par vengeance et pour son divertissement personnel, la méchante tante se joue de ses pairs qui devront s’humilier pour lui complaire.
Danses de foin et bruits de ferme
Dans ce désordre pourtant, l’harmonie ne manque pas. Un garçon de ferme se charge de rythmer ce capharnaüm de personnages-acteurs. La tête dans son béret, il joue du ukulélé et du violoncelle, du kazoo et des percussions en tous genre. Lui – ou elle puisqu’il s’agit de la musicienne Sara Oswald – et les autres comédiens exécutent une musique faite maison, signée Mathieu Kyriakidis, en direct de la scène. Avec bidons et bâtons, poutrelles et écuelles, ils garnissent la pièce de mélodies populaires, donnent vie aux balais et aux œufs et font danser les meules de foin.
Alors la paille jaillit et jonche le sol. Elles sont bien réelles, ces meules. Au fur et à mesure que le spectacle avance, les voilà soulevées, jetées, renversées, permettant ainsi de former différents tableaux sur le plateau sans que jamais ces transformations scéniques ne nuisent à la fluidité du spectacle. Dans ce climat pittoresque à l’odeur de bois sec, on se laisse emporter, sans cesse surpris par des idées toujours plus insolites mais qui ne trahissent jamais le propos de la pièce.