Love on the (méga) byte / mise en scène Benjamin Knobil / musique et composition Lee Maddeford / Théâtre 2.21 / du 13 au 18 octobre 2015 / plus d’infos
Trois voix humaines et une voix électronique. Mais cette dernière ne contaminerait-elle pas les trois premières ? Internet a-t-il définitivement transformé les relations sociales, au point d’en devenir lui-même un protagoniste omniprésent ? Voilà la thématique que cette opérette aux accents grivois se donne pour mission d’explorer, en désordre et en chanson.
Lee Maddeford, compositeur d’origine américaine et adepte de théâtre, s’allie à Benjamin Knobil, auteur et dramaturge vaudois, pour signer cette toute nouvelle création de la compagnie lausannoise 5/4. Suivant son habitude, Maddeford s’amuse à allier art musical et dramatique pour un rendu que l’on peut espérer décapant. D’ailleurs, le titre semble l’annoncer : référence manifeste à « Love on the beat » de Serge Gainsbourg, voilà qui devrait nous assurer d’une pièce enlevée. Mais il reste surtout du morceau de Gainsbourg les soupirs lubriques des comédiens-chanteurs ; Love on the (méga) byte est une pièce qui parle souvent de « bite » et qui manque parfois de « beat ».
Cela commence pourtant bien. Une odeur de vieille bière et de bois décrépi. Des lumières tamisées auxquelles les yeux peinent à s’habituer, pour ensuite discerner quelques tables noires dans un espace sombre. Et des chaises. On comprend qu’elles sont pour nous. Ou peut-être pour les personnages ? On se lance tout de même et, discrètement, on va s’asseoir, près du piano placé devant une scène presque vide, qui domine la salle où se mêlent des éclats de conversations étouffées. Sur fond de musique jazz, on ouvre l’amusant programme pour y découvrir un glossaire de termes informatiques (très utile). On attend donc patiemment que le spectacle commence.
Puis l’on se rend très vite compte que l’on en fait un peu partie, de ce spectacle ; alors que les divers personnages – un trader fou, sa patronne, une hackeuse, un flic et un ordinateur conscient – se vouent à des jeux de manipulation virtuelle pour tenter d’arrêter un algorithme financier diabolique, la frontière entre l’espace des spectateurs et celui de la scène s’effrite. La serveuse du bar vient servir des cocktails au couple de pirateurs assis près du pianiste, le policier court aux toilettes pour y rejoindre son blind date en traversant le public ; c’est que Knobil nous fait subtilement percevoir que sa satire d’un XXIe siècle dominé par internet s’applique aussi et surtout à nous, victimes que nous sommes de nos gadgets électroniques. Et cela n’est pas sans effet.
Car on remarque alors que les décors soulignent ingénieusement cette dépendance à l’informatique: le pianiste lit ses partitions sur son iPad, et l’ordinateur est placé au premier plan (ce n’est en réalité qu’un contour de carton blanc que le visage et la voix synthétique de Dorothea Christ viennent admirablement habiter) ; il semble ainsi que toute la pièce se déroule à travers cet écran métaphorique, comme par vidéo-conférence.
Pourtant toutes ces qualités scénographiques, augmentées de la très bonne interprétation vocale des comédiens, ne suffisent pas à faire oublier les problèmes structurels et rythmiques d’une pièce qui manque de clarté. En voulant donner à leur thriller post-moderne des accents vaudevillesques, Knobil et Maddeford joignent à l’intrigue principale des histoires de placard à balais farfelues qui viennent embrouiller la compréhension ; qui cherche qui ? qui fait quoi ? Il faut dire que la mise en scène, plutôt statique sur le plateau du haut, ne nous aide pas à démêler ces fils : ce n’est que lorsque la hackeuse parvient enfin à appeler la tradeuse sous le couvert d’un pseudonyme, en fin de spectacle, que l’on comprend qu’elles n’étaient en fait pas dans la même pièce depuis le début.
Mais la légèreté d’un vaudeville devrait tout de même pouvoir nous réjouir, non ? Certes, mais les allusions graveleuses qui nous faisaient d’abord sourire sont tant appuyées et répétées qu’on s’en lasse. Ce qui devait être léger devient lourd, et un certain faux rythme, dû notamment à l’enchaînement maladroit des séquences, nous plonge dans un ennui qui n’a plus rien de virtuel.