Love on the (méga) byte

Love on the (méga) byte

Texte et mise en scène Benjamin Knobil / composition et piano Lee Maddeford / Théâtre 2.21 / du 14 au 18 octobre 2015 / Critiques par Sabrina Roh et Josefa Terribilini.


14 octobre 2015

#La complainte burlesque de la e-machine

©Atelier Obscur Julie Casolo

Se jouant des frontières entre musique et théâtre, la Compagnie 5/4 s’embarque dans un vaudeville chanté où la technologie s’en mêle. Love on the (méga) byte, un spectacle méga drôle ?

To be continued… Fin du spectacle, les masques sont tombés. Dominatrix découvre l’identité live d’Hackman et se rend compte qu’elle a en fait couché avec Mégabyte. Ce dernier, policier de son métier, est prêt à fuir avec un trader corrompu. To be continued ? Mais pas avant d’avoir rassemblé et digéré les nombreux éléments qui fondent l’opérette composée par Lee Maddeford et écrite par Benjamin Knobil.

Métadonnées : – Deux femmes. – Deux hommes. – Un ordinateur.

Entre les humains, les relations se font et se défont. L’ajout de quelques quiproquos fait de cette histoire un parfait vaudeville. Mais à ce quatuor, s’ajoute un ordinateur. Alors que les quatre protagonistes, rivés à leurs smartphones, tentent de se connecter à Skype ou de passer un coup de téléphone, la machine « bloque et débloque » toutes leurs communications.
Un ordinateur qui prend part à l’intrigue, un bureau de finances, des algorithmes, une geekette, un langage constitué de termes informatiques… La Compagnie 5/4 parodie notre relation exclusive avec Madame Technologie ou Monsieur Numérique. Une problématique connue, à l’heure où tout – rencontres, travail, communication – se passe via des écrans.
Moins courant est l’accès au point de vue des appareils informatiques. Par une trouvaille scénographique, Benjamin Knobil nous permet de passer de l’autre côté : au centre, à l’avant-scène, l’une des comédiennes est assise derrière un cadre qui représente l’écran d’un ordinateur. Pas de doute, la machine est bien un personnage central. Ai-je une conscience ? Comment choisir ?, chantonne-t-elle. Fonctionnant sur un système binaire, elle ne réussit pas à saisir la complexité du cœur humain. Enfin une autre manière d’appréhender notre lien au monde numérique. Mais les interrogations de la machine, qui n’apparaissent que sporadiquement, seront éclipsées par l’humour. Est-ce toujours pour le mieux ?

Laughing Out Loud

Les comédiens ont de l’énergie à revendre. En chantant, dansant et jouant, ils illuminent leurs uniformes gris et le décor tout aussi austère. De leur jeu, rien ne déborde. Tout est dosé et maîtrisé, même lorsque le trader Algo-rythme monte sur la table, ivre, pour faire un petit numéro de claquettes. Au lieu de rire, il faudrait presque commenter ce jeu clownesque par un LOL ou un MDR. Car le texte de Love on the (méga) byte tire essentiellement son vocabulaire de la culture web. Un parti pris qui fonctionne grâce au talent d’interprètes des comédiens. Ces derniers rendent le langage informatique familier ; malgré les physingcrowdsourcing et autres bit-coin, le public suit et comprend le chassé-croisé amoureux.

Spams

Opérette burlesque et humour grivois font bon ménage. Mais le deuxième ne définit pas la première. Dans Love on the (méga) byte, les jeux de mots – qu’ils soient faciles ou bien trouvés – deviennent les éléments centraux de la pièce. Lorsque le pseudo Mégabyte se faufile entre d’autres termes techniques, par exemple, l’allusion sexuelle est comprise et elle fonctionne. Mais répétée trop de fois elle perd son aspect comique et prend le pas sur la performance inouïe et franchement humoristique des artistes.
À côté de la chanson subtilement dérangeante Love on the beat de Serge Gainsbourg, dont le titre n’est pas sans rappeler celui de la pièce, le texte de Love on the (méga) byte pourrait faire penser à un adolescent qui exagèrerait son rapport à la sexualité afin de cacher sa faille.
Mais les comédiens, qui jamais ne perdent en intensité, rendent cet adolescent attendrissant et réussissent à emmener le public jusqu’au bout de l’intrigue.

14 octobre 2015


14 octobre 2015

Un vaudeville qui cherche son rythme

©Atelier Obscur Julie Casolo

Trois voix humaines et une voix électronique. Mais cette dernière ne contaminerait-elle pas les trois premières ? Internet a-t-il définitivement transformé les relations sociales, au point d’en devenir lui-même un protagoniste omniprésent ? Voilà la thématique que cette opérette aux accents grivois se donne pour mission d’explorer, en désordre et en chanson.

Lee Maddeford, compositeur d’origine américaine et adepte de théâtre, s’allie à Benjamin Knobil, auteur et dramaturge vaudois, pour signer cette toute nouvelle création de la compagnie lausannoise 5/4. Suivant son habitude, Maddeford s’amuse à allier art musical et dramatique pour un rendu que l’on peut espérer décapant. D’ailleurs, le titre semble l’annoncer : référence manifeste à « Love on the beat » de Serge Gainsbourg, voilà qui devrait nous assurer d’une pièce enlevée. Mais il reste surtout du morceau de Gainsbourg les soupirs lubriques des comédiens-chanteurs ; Love on the (méga) byte est une pièce qui parle souvent de « bite » et qui manque parfois de « beat ».

Cela commence pourtant bien. Une odeur de vieille bière et de bois décrépi. Des lumières tamisées auxquelles les yeux peinent à s’habituer, pour ensuite discerner quelques tables noires dans un espace sombre. Et des chaises. On comprend qu’elles sont pour nous. Ou peut-être pour les personnages ? On se lance tout de même et, discrètement, on va s’asseoir, près du piano placé devant une scène presque vide, qui domine la salle où se mêlent des éclats de conversations étouffées. Sur fond de musique jazz, on ouvre l’amusant programme pour y découvrir un glossaire de termes informatiques (très utile). On attend donc patiemment que le spectacle commence.

Puis l’on se rend très vite compte que l’on en fait un peu partie, de ce spectacle ; alors que les divers personnages – un trader fou, sa patronne, une hackeuse, un flic et un ordinateur conscient – se vouent à des jeux de manipulation virtuelle pour tenter d’arrêter un algorithme financier diabolique, la frontière entre l’espace des spectateurs et celui de la scène s’effrite. La serveuse du bar vient servir des cocktails au couple de pirateurs assis près du pianiste, le policier court aux toilettes pour y rejoindre son blind date en traversant le public ; c’est que Knobil nous fait subtilement percevoir que sa satire d’un XXIe siècle dominé par internet s’applique aussi et surtout à nous, victimes que nous sommes de nos gadgets électroniques. Et cela n’est pas sans effet.

Car on remarque alors que les décors soulignent ingénieusement cette dépendance à l’informatique: le pianiste lit ses partitions sur son iPad, et l’ordinateur est placé au premier plan (ce n’est en réalité qu’un contour de carton blanc que le visage et la voix synthétique de Dorothea Christ viennent admirablement habiter) ; il semble ainsi que toute la pièce se déroule à travers cet écran métaphorique, comme par vidéo-conférence.

Pourtant toutes ces qualités scénographiques, augmentées de la très bonne interprétation vocale des comédiens, ne suffisent pas à faire oublier les problèmes structurels et rythmiques d’une pièce qui manque de clarté. En voulant donner à leur thriller post-moderne des accents vaudevillesques, Knobil et Maddeford joignent à l’intrigue principale des histoires de placard à balais farfelues qui viennent embrouiller la compréhension ; qui cherche qui ? qui fait quoi ? Il faut dire que la mise en scène, plutôt statique sur le plateau du haut, ne nous aide pas à démêler ces fils : ce n’est que lorsque la hackeuse parvient enfin à appeler la tradeuse sous le couvert d’un pseudonyme, en fin de spectacle, que l’on comprend qu’elles n’étaient en fait pas dans la même pièce depuis le début.

Mais la légèreté d’un vaudeville devrait tout de même pouvoir nous réjouir, non ? Certes, mais les allusions graveleuses qui nous faisaient d’abord sourire sont tant appuyées et répétées qu’on s’en lasse. Ce qui devait être léger devient lourd, et un certain faux rythme, dû notamment à l’enchaînement maladroit des séquences, nous plonge dans un ennui qui n’a plus rien de virtuel.

14 octobre 2015


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