L’absurde au sommet de son art

Par Lauriane Pointet

La Cantatrice Chauve / d’Eugène Ionesco / mise en scène Nicolas Steullet / Festival FriScènes / 20 octobre 2015 / plus d’infos

©Julien James Auzan
©Julien James Auzan

Quatre chaises miniatures, deux lampes, une porte qui s’ouvre sur rien : il n’en faut pas plus à la Compagnie Vol de Nuit pour proposer une mise en scène dynamique et efficace du grand classique du théâtre de l’absurde.

Difficile de résumer une pièce aussi insaisissable que La Cantatrice chauve ! Inspiré par l’absurdité des dialogues et des situations dans les manuels d’enseignement de l’anglais, Ionesco propose dans son texte une réflexion sur la vacuité du langage et le non-sens des expressions de la langue courante. Sa pièce met en scène deux couples d’Anglais (rejoints par une bonne et un capitaine des pompiers) qui discutent et se disputent dans une débauche d’absurdité. Les comédiens jurassiens de la Compagnie Vol de Nuit n’hésitent pas d’ailleurs à en rajouter dans l’absurde ; ils se l’approprient pour le pousser encore plus loin et le font perdurer jusqu’aux saluts finaux qui sont effectués… de dos.

A mi-chemin entre les faces blanches des mimes et les masques des personnages de commedia dell’arte, les visages des comédiens sont entièrement maquillés en blanc, avec des rehauts en rouge et noir pour en accentuer les expressions. Les gestes parfois robotiques et le travail sur une intonation particulière invitent à lire la pièce comme du théâtre de marionnettes. Au-delà, une attention toute particulière est portée à la gestuelle en général. Ainsi, dans la scène incontournable de l’arrivée des époux Martin (où tous deux se demandent pourquoi le visage de l’autre leur est familier), M. et Mme Martin doublent en langage des signes les termes qui reviennent sans arrêt, alors qu’un personnage muet, en arrière-plan, signe lui aussi le dialogue. Cela crée une chorégraphie étrangement poétique, qui souligne aussi le côté mécanique et répétitif du texte.

La Compagnie Vol de Nuit a su exploiter tous les aspects comiques du texte de Ionesco, en n’hésitant pas à en ajouter de nouveaux. A cet égard, l’usage de chansons célèbres comme I will always love you lorsque les époux Martin se rendent compte qu’ils sont bien mari et femme trouve un bel écho dans les rires de la salle. La mise en scène recourt à une multitude de procédés comiques, allant des répétitions absurdes aux mimiques clownesques, en passant par le motif burlesque des personnages qui se penchent en avant, présentant leurs fesses au public. Que l’on ait lu ou non la pièce originale, la mise en scène est efficace et sait aussi réserver quelques surprises aux spectateurs.

Peut-être un petit peu lente au démarrage – il est vrai que la première tirade est particulièrement longue – la pièce gagne en intensité et en frénésie jusqu’à aboutir à une scène finale aussi survoltée que jouissive pour un public qui ne comprend pas plus que les marionnettes de Ionesco quel est le sens profond de tout cela. La réussite est aussi due au talent de ces comédiens amateurs qui proposent une performance d’ensemble à la fois cohérente et éminemment comique.