Le comique du rien

Par Nadia Hachemi

La Cantatrice Chauve / d’Eugène Ionesco / mise en scène Nicolas Steullet / Festival FriScènes / 20 octobre 2015 / plus d’infos

©Julien James Auzan
©Julien James Auzan

Comédie de l’identité et du non-sens de la vie sociale, La Cantatrice Chauve de Ionesco ne rime à rien. La Compagnie Vol de Nuit, une troupe d’amateurs bourrée de talent, en présente une mise en scène qui exploite pleinement toute la drôlerie de cette anti-pièce farcesque.

Un couple très british attend ses amis qui arriveront à l’improviste en échangeant des banalités. Non-sens ? Ne vous en formalisez pas, la pièce n’ira pas en s’éclaircissant ! Les époux, séparés par l’immense journal du mari, se contentent de parler des plats qu’ils ont mangés. Mots vides de sens, lancés à un interlocuteur tout aussi insignifiant. Cette pièce constitue un monde de mots qui ne renvoient plus à rien, perdent de leur épaisseur pour être réduits à leur sonorité. La communication n’est pas possible dans cet univers où toute forme de sens s’écroule dans le vide.

La stérilité des dialogues est tempérée ici par le choix de mettre en scène des acteurs lourdement maquillés pour indiquer des traits de caractère. Les visages peints en blanc, dont les traits sont soulignés par de larges lignes noires, les font ressembler à une troupe de mimes. Masques de poudre qui illustrent parfaitement l’absence d’identité. La bonne se révèle être Sherlock Holmes ; les couples changent de rôle, les hôtes devenant invités et les invités hôtes : le serpent se mord la queue dans une boucle infinie. Dans l’univers de Ionesco, le non-sens commence au cœur même des personnages : leur identité est mise en doute et le spectateur est en position instable. La mise en scène tend ici à dramatiser les multiples retournements de situation de manière plus poussée que le texte ne l’indique.

L’aberration des dialogues étranges est accentuée par le choix de proposer la traduction de certaines tirades en langage des signes. L’actrice-traductrice, forcée d’enfiler des gants de boxe  se voit elle aussi incapable de s’exprimer : la langue des gestes qui tente de pallier l’obscurité des mots se trouve elle-même démunie. Le non-sens de chaque tirade est souligné par la diction des acteurs, qui accentuent chaque syllabe. La mise en scène exploite chaque possibilité comique du texte qui, bien que très drôle dans son absurdité est un peu sec. Le jeu des acteurs l’enrichit d’une volonté assumée d’attribuer quelques traits de personnalité élémentaires aux personnages, ce qui accentue leur ridicule. La diction de Lisa Schneider (Mme Smith), tout particulièrement, est extrêmement saccadée, scandée à outrance. Reflet de sa vanité snob d’être l’hôtesse ce soir-là ? Le choix de ce type d’élocution éloigne le spectacle de l’aspect quotidien et banal de l’absurdité du texte original. La pièce perd de son universalité. Moins vertigineuse, elle n’ébranle pas le spectateur en lui montrant l’absence de sens de sa propre vie : mais l’expérience théâtrale n’en est que plus comique. Le choix de mettre en musique certaines scènes permet de révéler avec beaucoup d’humour leur romantisme béat, appuyant encore davantage l’axe comique du texte. L’aspect inquiétant est gommé et le spectateur se trouve face à une pièce d’une extrême drôlerie, pleine de vie et d’entrain.