Par Emilie Roch
Clôture de l’amour / de Pascal Rambert / avec Stanislas Nordey et Audrey Bonnet / Théâtre de Vidy / du 30 septembre au 4 octobre 2015 / plus d’infos
Propulsés face au constat irrévocable que l’amour n’est pas fait pour durer toujours, deux amants de longue date expriment leur désarroi au sein d’une bouleversante scène de rupture signée Pascal Rambert.
Comme un téléphone ou un ordinateur portables, l’amour entre Stan et Audrey est arrivé au terme de sa durée d’utilisation. « Nous sommes des appareils amoureux sophistiqués à programmation courte et nous ne le savions pas ». Le constat, brutal, est posé d’emblée par Stan, le premier à prendre la parole. Il la monopolisera jusqu’à l’entrée d’un chœur d’enfants sur scène. « Peu à peu tout me happe/Je me dérobe je me détache », entonnent-ils, les paroles de Bashung résumant la substance du discours de cet homme qui tranche avec violence les liens qui le relient à la femme debout en face de lui, digne face à la nouvelle qu’elle n’est plus aimée. Il ne lui épargne rien et lui lance au visage une vision sombre de leur amour : emprisonnement dans un filet, « fiction » mielleuse dont ils étaient les acteurs zélés, rencontre éphémère de deux corps. « Nous aimions nous aimer, c’est tout, mais nous aimions-nous, Audrey ? »
Ecrit par Pascal Rambert pour les comédiens Stanislas Nordey et Audrey Bonnet, Clôture de l’amour a été joué plus de 140 fois depuis sa création au Festival d’Avignon en 2011 et a reçu plusieurs prix honorifiques. Ce succès jamais démenti se justifie par un texte poignant, où la langue si singulière parvient à s’emparer avec justesse d’une situation universelle, et un jeu d’acteurs d’une intensité et d’un engagement rares. Stan, l’index pointé sur sa partenaire, hurle presque en continu, se débat avec lui-même, sue son désamour dans son T-shirt jaune devenu orange comme le parquet de la salle de sport où se déroule la scène. Le décor surprend : un terrain de basket pour y jouer une scène des plus intimes ? Zone de défoulement, d’affrontement, de déprivatisation du rapport entre les deux personnages ? Ou alors zone de déferlement, où le spectateur est happé par l’ultime vague sur laquelle surfe ce couple en fin de course, avant la séparation finale. Deux longues prises de parole par chacun des personnages et d’incessants va-et-vient l’un vers l’autre ; on ressort de la salle à bout de souffle, presque épuisé par la violence qui a été exprimée, tant verbalement que physiquement. De la bouche de Stan et d’Audrey, la parole se déchaîne et meurtrit bien plus que les coups, précisément parce que c’est là où logeait autrefois l’amour, dans un langage commun composé de voix, de gestes, d’espaces.
Ici, clôture de l’amour rime avec mort du langage commun : « aujourd’hui le langage est comme un corps que l’on a démembré », constate Audrey après avoir retrouvé l’usage de sa syntaxe, momentanément égarée. Pour donner de l’aplomb à ses paroles dans les moments de révolte, elle propulse son bras en direction de Stan, comme un missile. Le jeu d’Audrey Bonnet impressionne par sa gamme infinie de nuances, particulièrement dans la voix. La comédienne se glisse à merveille dans la peau de cette femme à qui il n’est laissé d’autre choix que d’accepter l’idée de fin, mais qui refuse toutefois de nier la beauté de certains moments de son histoire avec Stan. Elle revendique le fait que l’amour n’est pas qu’un narcissique jeu d’égos, que l’amour, loin d’être une fiction, est tangible dans une phrase, une odeur, un rire partagé, un enfant conçu ensemble. Son discours prend une dimension vertigineuse lorsque l’on comprend que Stan doit être metteur en scène, elle comédienne, et que leur rêve commun était de faire fusionner la vie et l’art de la scène. De ce « rêve commun » émerge une définition possible de l’amour, où vie réelle et vie inventée se confondent, sans garantie que celles-ci ne se séparent pas un jour.