Riquet
D’Antoine Herniotte / d’après Charles Perrault / Mise en scène par Laurent Brethome / du 5 au 10 mai 2015 / Théâtre Am Stram Gram (Genève) / Critiques par Jonathan Hofer et Jonas Parson .
5 mai 2015
Par Jonathan Hofer
Une belle mocheté!
Que faire quand on est moche mais très intelligent ? La réponse paraît évidente : il faut s’autoproclamer « prince de la nuit » ! Fermer les yeux, ne plus vivre du regard des autres et danser toute la journée.
Adapté du conte de Perrault par Antoine Herniotte, Riquet raconte l’histoire d’un prince et de deux princesses. Le personnage éponyme ainsi que l’une des princesses se voient pourvus du plus brillant esprit mais d’un physique innommable, alors que la dernière princesse est infiniment belle, mais bête comme ses pieds ! Pendant que Riquet, fraîchement autoproclamé prince de la nuit, se réfugie dans la forêt sans lumière, les deux princesses doivent trouver un mari pour succéder à leur vieux père, trop âgé pour continuer à porter la couronne – littéralement.
Sous la direction de Laurent Brethome, cette fable de la fin du XVIIe siècle reprend vie. Grâce notamment à la contribution de Louis Lavedan – artiste plasticien présent pendant la représentation – les effets scéniques sont travaillés par des dichotomies : inesthétique et esthétique, poésie et froideur implacable, nuit et jour… tout se mêle, forme contraste pour que la beauté naisse dans la laideur.
Riquet doit être un spectacle pour les enfants : c’est du moins ce que laisse penser la simple observation du public. Difficile cependant, au début, d’imaginer que les bambins peuvent apprécier autant de deuxième degré, d’allusions, de phrases lourdes de sens dans un discours qui, bien que très varié dans sa forme, se veut plutôt sérieux. La grossièreté des décors et des costumes surprend également : du papier mal soigné en fond, des chapeaux pointus et des baguettes pour signifier les fées, …Toute la réussite du spectacle est cependant là. Comment traiter un sujet douloureux, celui de la laideur, touchant particulièrement – chacun doit s’en souvenir – le monde des enfants ? Il faut prendre par la main, accompagner, plus encore : créer un monde avec les spectateurs. En cela, Riquet fonctionne très bien. Petit à petit, laissant les images parler, parfois à travers des marionnettes, parfois dans le noir presque complet et parfois dans la simplicité de la scène. Dans une poétique féerique, la performance donne à rêver. En sortant de la salle, les adultes seront plus enfants que les jeunes spectateurs !
Les enfants y trouveront eux aussi certainement leur compte au final. Patrick,12 ans, me l’a assuré : « au début je m’ennuyais mais à la fin c’était vraiment trop joli ». Que petits et grands se rendent au théâtre Am Stram Gram pour se laisser bercer, pour rire et pleurer, qui sait ?
5 mai 2015
Par Jonathan Hofer
5 mai 2015
Par Jonas Parson
Quand l’amour offre la liberté
Deux royaumes voisins, un prince dont la laideur n’a d’égal que son esprit, deux princesses, l’une belle et l’autre intelligente, des fées: au premier abord, tout semble rester fidèle au conte de Perrault. Mais rapidement la pièce s’écarte du conte, pour affirmer avec force l’amour et l’ouverture contre une uniformité des beautés et des intelligences. Laurent Brethome signe avec Riquet une mise en scène qui chante le refus de l’acceptation d’un destin tout tracé et le courage de tracer sa propre route loin des conventions.
Des fées peu efficaces
Si la magie et le fantastique semblent présents dans la pièce -à travers l’intervention des deux fées sur les berceaux du prince et des deux princesses -le rôle du surnaturel est rapidement évacué. Alors que dans la pièce originale, la fée dote Riquet d’une intelligence sans bornes, ainsi que la capacité de transmettre cette intelligence à la personne qu’il aime, ici les fées- qui si elles ont doublé en nombre, ont perdu en efficacité- échouent dans leurs tentatives d’aider le jeune garçon. De même, chez les princesses jumelles du royaume voisin, aucun mauvais sort ne vient ôter l’esprit à la plus belle, et aucun bon sort ne vient offrir le don d’intelligence à la plus laide. Le seul élément de magie de la pièce seront les boucles d’oreilles qui avertiront chacune des sœurs des soucis de l’autre.
L’enjeu de l’évacuation de la magie est de taille. Dans le conte de Perrault, l’intrigue repose principalement sur l’intervention de la fée, qui offre un avenir serein à Riquet. Quand il rencontre la princesse belle et bête du royaume voisin, il sait d’office qu’elle recevra de lui son esprit, et lui d’elle sa beauté. Confiant dans son destin, Riquet est un personnage immobile, qui ne fait qu’attendre que miracle se fasse. Au contraire, le Riquet de la pièce n’est pas sauvé par les fées. Le seul résultat de leur poudre magique- dont l’effet est très bien rendu par une savante alliance de paillettes jetées en l’air et de stroboscope, donnant un effet de scintillement intense- ne résulte qu’en un éternuement.
Ici, aucun réconfort, tout n’est que souffrances occasionnées par le manque de compassion des pairs. Empruntant les ressorts de la comédie musicale, Riquet chante son calvaire, entre star de rock et monstre grotesque, sur fond d’enregistrements de moqueries désincarnées, qui ne rendent que plus inquiétante la scène. La fuite devient la seule option envisageable, et le jeune homme trouve refuge dans la foret obscure, ou il devient « Prince de la Nuit ». On sent la genèse d’une grande figure de vilain, mais l’histoire en décidera autrement. C’est dans cette forêt sans jour que Riquet rencontrera Sublima, princesse à la grande beauté mais cible de moqueries pour sa prétendue stupidité.
Une autre beauté, une autre intelligence.
A l’abri du monde et de ses conventions, les deux réfugiés de la forêt sauront s’apprivoiser et danser ensemble. Ici c’est l’écoute et la gentillesse de Riquet qui donneront à Sublima le contexte nécessaire à l’expression de son intelligence. Se libérant du joug d’une intelligence normée, Sublima peut enfin vivre libre, s’exprimant peut-être par des moyens qui ne semblaient pas légitimes à la cour. La danse avec son prince sera un moyen d’émancipation pour celle dont « on se moquait [des] belles idées ».
Le tour de maître de la pièce est ainsi de garder la dimension magique du conte- les fées sont là, elles tentent d’intervenir- mais d’en empêcher l’effectivité au profit d’une réflexion sur la question du regard de l’autre et de l’amour comme possibilité de transformation. La rédemption finale du conte n’est plus l’œuvre d’un deus ex machina, mais celle, active, des protagonistes.
Brethome propose une pièce qui se donne au spectateur sur plusieurs niveaux. Les éléments fantastiques, fées, forêt mystérieuse et boucles d’oreilles magiques maintiennent le caractère féerique du conte, et permettent une expérience plus naïve et simple de l’histoire. Mais les plans d’analyse se multiplient, créant une pièce qui a quelque chose à offrir à tous ses spectateurs.
Avec des ambiances et des rythmes très divers, la pièce passe de scènes où la qualité comique ou visuelle est plus importante, à des scènes plus poétiques qui mettent l’accent sur le texte. Il est évident que les scènes qui sont plus textuelles que visuelles ne sont pas les plus évidentes pour un jeune public, au vu des réactions de la salle lors de ces épisodes. Mais plutôt que de sacrifier la lenteur et la beauté du texte à l’impatience d’un public qui n’en a pas l’habitude, le spectacle propose plutôt, en variant les scènes, un premier contact avec une certaine lenteur qui est toujours plus vitale dans un monde qui voue un culte à la vitesse.
La dimension plastique de la pièce, à travers le travail de live painting de Louis Lavedan permet la création d’un univers visuel saisissant, et constitue aussi un travail entre action et lenteur. Le dessin se construit petit à petit, nécessite patience, mais le spectacle de son dévoilement est aussi fascinant. L’importance donnée au travail visuel dans une pièce qui traite du beau, du laid est évidemment des plus pertinentes, et le travail du peintre sur la rature comme représentation du laid est très intéressant.
« Fuir le monde qui nous a été décidé »
Tout au long de la pièce, la fuite est au centre de l’intrigue. Fuite de Riquet, de Sublima qui refusent de souffrir des moqueries, mais aussi fuite de la sœur de Sublima, Mimipédia, qui refuse le destin que la coutume et la tradition du conte tracent pour elle. L’image du roi qui cherche désespérément un prince qui pourra le décharger du poids de sa fonction- illustrée de manière très efficace par une couronne qui ne fait que grandir, pour finir par l’engloutir tout entier à la fin de la pièce- et de sa fille qui refuse de devoir assumer cette charge que lui destine son père, est une belle allégorie de la révolte d’une jeunesse qui se voit hériter d’un monde, d’une peine qui est la (dés)œuvre des générations précédentes. Fuyant l’histoire pour voyager, Mimipédia rencontre le peintre, et brouillant la frontière entre les personnages et les techniciens de la pièce, créée une contamination de l’un vers l’autre, la princesse devenant agente du décor en même temps que le peintre devient agent de l’intrigue.
A l’encontre d’un « monde en retard », le peintre qui trace librement son chemin sur l’écran et la princesse qui trace sa vie dans le monde revendiquent en guise de morale la possibilité de créer un monde nouveau, d’amour et de liberté, où le beau réside dans l’œil de celui qui aime.
5 mai 2015
Par Jonas Parson