Comme il vous plaira

Comme il vous plaira

D’après Shakespeare / Mise en scène de Camille Giacobino / du 26 mai au 14 juin 2015 / Théâtre du Grütli (Genève) / Critiques par Deborah Strebel et Noémie Desarzens .


26 mai 2015

Peace & Love

© Théâtre du Grütli

Camille Giacobino met pour la première fois en scène un texte classique. Son choix s’est porté sur la pièce de Shakespeare Comme il vous plaira. Une belle actualisation de cette comédie pastorale, portée par des personnages hauts en couleur et interprétés avec brio et énergie.

Un tapis de feuilles mortes recouvre le plateau. Aux abords sont disposés de grands blocs gris carrés, empilés les uns sur les autres, formant de petits monticules : des carrés de roches, qui délimitent l’espace. Ils sont traversés par un peu d’eau. Dans cette nature schématisée – morceaux de papiers irréguliers pour le feuillage et imposants monolithes aux arrêtes franches pour la pierre – se trouvent également un piano vétuste, une chaise, une commode et un canapé dont les pieds, sciés, donnent l’impression de s’enfoncer dans le sol. Ces quelques éléments de décor interrogent : sommes-nous à l’extérieur ou à l’intérieur ? Cette scénographie, imaginée par Pietro Musillo, joue sur l’évocation. Comédie pastorale, Comme il vous plaira se déroule principalement dans la forêt des Ardennes mais aucun arbre n’est présent. L’atmosphère forestière est suggérée uniquement à l’aide de bruits d’ambiance et grâce à l’éclairage qui parvient à représenter aussi bien les sous-bois que les clairières.

Orlando, fâché avec son frère, décide de partir. Rosalinde, fille d’un duc en exil, est, comme le fut son père, bannie de la Cour. Travestie en homme pour se protéger elle s’enfuit avec sa cousine Clélia., déguisée en bergère. C’est dans les bois, loin de la civilisation, que se croisent courtisans et bergers, et qu’Orlando, épris de Rosalinde, reçoit de celle qu’il ne reconnaît pas à cause des son habit masculin des « leçons d’amour » afin de séduire sa belle.

Diplômée de l’Ecole Supérieure d’Art dramatique de Genève en 1995, Camille Giacobino a, depuis 2002, essentiellement travaillé des textes issus d’auteurs contemporains tels que Simone de Beauvoir, Yvette Z’Graggen ou Valérie Poirier. Son goût pour l’ère actuelle transparaît dans sa mise en scène de cette pièce écrite peu avant Hamlet, autour de 1599. Des objets anachroniques parsèment le spectacle : un tourne-disque, un vélo, une chaise roulante. L’actualisation ne s’arrête pas là : le duc banni et sa suite sont des hippies. Bandeau rouge autour de la tête, lunettes de soleil rondes, pipe fabriquée dans une branche, et guitare à la main, ils fument, chantent ou se prélassent au bord de l’eau. Le paroxysme est atteint lorsque, durant un épisode de chasse, l’un des serviteurs arrive avec une fleur à son fusil. Cette « hippisation » des marginaux limogés ajoute une note humoristique. D’autres touches comiques apparaissent notamment lors du duel entre Orlando et Charles, le lutteur du duc Frédéric, qui sous son manteau de fourrure dévoile le haut d’un string dépassant de son pantalon.

Durant plus de deux heures, les personnages aux costumes colorés multiplient les quiproquos amoureux. Le quatrième mur tend à s’abolir à plusieurs reprises, par exemple lorsqu’un protagoniste vient embrasser des spectateurs ou lorsqu’un autre leur offre des fruits. Rire et convivialité sont donc au rendez-vous pour ce spectacle festif qui se termine par un triple mariage en sifflotant, un peu à la manière des Monty Python.

26 mai 2015


26 mai 2015

“Partons, non vers l’exil, mais vers la liberté !” : exploration du désir et de la passion amoureuse

© Théâtre du Grütli

Une femme déguisée en homme ? Rosalinde se résout à prendre des vêtements masculins afin d’assurer sa fuite dans la Forêt d’Ardenne avec sa cousine, déguisée en bergère. Comme il vous plaira aborde avec légèreté la question de l’amour – sous toutes ses formes.

La trame de la comédie de Shakespeare est connue: suite à une bagarre avec son frère aîné Olivier (Guillaume Prin), Orlando (Stéphane Boschung) se voit dans l’obligation de fuir la maison familiale, accompagné de son fidèle Adam (Bernard Escalon). Tous deux se réfugient dans la Forêt d’Ardenne, lieu où le duc banni (Attilio Sandro Palese) s’est réfugié avec ses partisans après l’usurpation de son trône par son frère cadet, Frédéric (Fédéric Polier). Dans cette même forêt se retrouvent Rosalinde (Camille Figuereo), fille du duc banni, avec sa cousine Célia (Léonie Keller), qui s’y réfugient après avoir été également forcées à l’exil. S’ensuivent une série de « quiproquos amoureux ». Dans cette œuvre pastorale, le comique et la poésie s’entremêlent pour questionner la notion de genre.

Avec Comme il vous plaira, Camille Giacobino et la Opus Luna Cie veulent tenter de montrer « l’état amoureux », « l’acte d’aimer, d’éprouver, de le montrer » sur la scène théâtrale. Ce spectacle est la première œuvre classique portée sur scène par Camille Giacobino, metteure en scène et comédienne genevoise. A travers la reprise de ce texte du répertoire, elle souhaite inciter les spectateurs et les acteurs «  à ne pas se satisfaire du pur constat » mais plutôt à choyer l’art de la langue et de l’esprit. La metteure en scène cherche un théâtre qui « s’adresse aux sensations ». L’intérêt de la pièce de Shakespeare réside notamment dans le jeu de confusion entre les genres. Camille Giacobino y reconnaît la difficulté de sa traduction scénique. Les quiproquos liés au travestissement restent tout de même présents et soulèvent des questionnements par rapport aux rôles des hommes et des femmes. Les divers personnages de cette pièce évoluent dans un décor marqué par un mobilier délabré et par des sortes de roches au milieu desquelles se trouve un coin d’eau. Un jeu établi entre l’espace hors scène, les coulisses, et le plateau ajoutent au comique du texte. Le public peut apercevoir, en arrière-fond des courtes saynètes, un personnage sur un vélo, des musiciens, un prétendant du duc fumant une pipe. Ces courtes interventions interrompent la linéarité de l’action et leur décalage avec celle-ci apportent une touche humoristique à la pièce.

Alors que le travestissement de Rosalinde est un des thèmes nodaux de cette pièce, on se prend à regretter une mise en scène trop conventionnelle, qui explore finalement peu ce thème. Rosalinde en Ganymede tente d’introduire son amant Orlando au jeu de l’amour. Celui-ci se prend au jeu et commence à la séduire, alors qu’elle est déguisée en homme. Cette double identité suscite des émotions contradictoires chez le jeune homme, mais le lien entre homo-érotisme et hétérosexualité reste timide par rapport au projet annoncé. Il faut toutefois saluer l’originalité des costumes des personnages : manteau de fourrure, fausses roses rouges et robes de mariées forment une diversité comique d’habits. Les interludes musicaux, avec les voix parfois a cappella, ajoutent à l’ambiance champêtre et à la bonne humeur présente dans cette salle comble. La qualité de la performance des comédiens démontre l’intensité des sentiments amoureux, même si parfois de manière un peu exagérée.

Envie d’aborder ces questions liées au genre avec légèreté ? Sous les rires, cette comédie champêtre permet d’interroger la sexualité et les codes qui la régissent. Elle est à découvrir au Théâtre du Grütli jusqu’au 14 juin 2015.

26 mai 2015


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