Monsieur, Blanchette et le Loup

Monsieur, Blanchette et le Loup

d’après Alphonse Daudet / texte et mise en scène José Pliya / du 4 au 15 mars 2015 / Petit Théâtre de Lausanne / Critiques par Maëlle Andrey et Noémie Desarzens. 


7 mars 2015

Une chèvre exotique

© Nuithonie

« Dans le paradis qu’a été mon enfance, La chèvre de Monsieur Seguin a été la première histoire qui m’a fait toucher du doigt, inconsciemment, confusément, le sens du tragique… » : José Pliya, auteur et metteur en scène de Monsieur, Blanchette et le Loup revisite avec humour, délicatesse, poésie et profondeur la célèbre nouvelle d’Alphonse Daudet, en y faisant surgir tout à la fois les aspects tragiques et profondément humains.

Monsieur (Ricky Tribord) est un éleveur, possédant de nombreuses terres. Son rêve le plus cher est de vivre heureux, entouré de ses chèvres bien-aimées. Mais tout n’est pas si simple pour Monsieur qui a, dans son proche voisinage, un rival très séduisant : le Loup (Éric Delor).
Le soleil tape, haut dans le ciel. Allongé sur une chaise longue en bois, le Loup, avec son look de rockeur (lunettes de soleil, marcel transparent, pantalon et bottes de cuir posées à côté de lui, chapeau de cow-boy pendu à la chaise), fait bronzette.

Chaque jour, Monsieur, souriant, sympathique et plein de bonnes manières, constate avec désespoir qu’une nouvelle de ses biquettes a quitté son élevage et accoure l’annoncer à son voisin le Loup. Ce dernier le rassure à chaque visite, tout en caressant son ventre bien arrondi : les fugueuses sont bien « ici, chez lui ».
Les jours passant, le nombre de chèvres de Monsieur diminuant, la tension entre les deux voisins monte : Loup devient de plus en plus irrité et agressif ; Monsieur, répétant toujours la même rengaine, est de moins en moins patient et jovial. Le « prédateur sédentarisé » se plaint à son voisin de n’avoir même plus besoin de chasser, car les chèvres, séduites et attirées par les mauvais garçons, viennent d’elles-mêmes se jeter dans sa gueule.
Un coup de fusil retentit : les relations de voisinage ont changé. Désormais, Monsieur ne se laissera plus faire. Ne possédant plus qu’une seule et dernière chèvre, ramenée d’une contrée exotique, Blanchette (la sublime Karine Pédurand), Monsieur décide de lui faire croire qu’elle est une vache, afin qu’elle ne passe pas sous les griffes du prédateur. Blanchette, seule et barricadée, s’ennuie et devient folle (elle propose alors une chorégraphie digne d’un spectacle de danse contemporaine) dans son enclos, délimité sur la scène par une douche de lumière.

Littéralement, la chèvre qui se croit vache s’arrache les cheveux : ôtant sa perruque blanche et ses faux cils blancs, se libérant de ses attributs, Blanchette devient vraiment elle-même, chèvre. Vexée par le mensonge de Monsieur, qui est un personnage lâche, peureux et menteur ; poussée par une grande envie de liberté et par le charisme du gentleman Loup, elle décide de vivre sa vraie vie de chèvre… quitte à se laisser tenter par le Loup…
José Pliya, qui se considère comme un auteur « post-racialiste », est né en 1966 au Bénin. En 2003, il se voit récompensé du Prix du jeune théâtre André Roussin de l’Académie Française pour l’ensemble de son œuvre. Auteur de plus d’une vingtaine de pièces de théâtre connues sur les cinq continents, Directeur de l’Artchipel, Scène Nationale de la Guadeloupe depuis 2005, il crée, en janvier 2011, son premier texte pour les enfants Mon Petit Poucet, œuvre conçue en diptyque avec Monsieur, Blanchette et le Loup.

Cette réécriture de La chèvre de Monsieur Seguin et sa mise en scène novatrice sont abordées par José Pliya comme un défi, celui de faire résonner aujourd’hui les contes qui l’avaient touché dans son enfance et faire passer un « message camusien » aux enfants et notamment à ses deux filles : chacun est maître son destin. A côté d’une lecture enfantine de ce conte coloré, un message plus profond peut être décelé dans une lecture « coloniale » du texte : entre possession, soumission, partage de territoires. L’auteur perçoit en Monsieur, qu’il a inventé en s’inspirant du protagoniste des Soleils des indépendances de Ahmadou Kourouma, « des résonances avec la culture des Peuls » (notamment dans sa relation avec Blanchette, qu’il considère comme sa vache). De plus, Blanchette fait retentir « des échos de la relation complexe que les Antilles françaises entretiennent avec la métropole ». La question du territoire est également soulevée : Monsieur est un riche propriétaire de biens et de terres ; Blanchette est enfermée dans un espace sécurisé et minuscule ; le Loup ne vit plus en meute et s’est sédentarisé, etc.

« Monsieur, Blanchette et le Loup » : le titre annonce un trio, mais la mise en scène expose toujours des couples : Monsieur et le Loup. Monsieur et Blanchette. Blanchette et le Loup. Plusieurs saynètes de duo se succèdent, laissant le tiers dehors. Notons une esthétique et une recherche graphique remarquables, entre chorégraphies parfaites, subtils jeux de lumière et plateau blanc donnant de l’éclat aux peaux colorées des trois magnifiques et charismatiques comédiens. Le jeu très expressif de Karine Pédurand, Éric Delor et Ricky Tribord, qui travaillent minutieusement les intonations, les voix, les gestes, amènent indéniablement au texte de José Pliya une fraîcheur et une belle profondeur.

Un magnifique conte plein de couleurs chaudes pour petits (dès 7 ans) et grands, à découvrir au Petit Théâtre de Lausanne jusqu’au 15 mars prochain.

7 mars 2015


7 mars 2015

«Moi c’est Blanchette, la vache de Monsieur!»

© Nuithonie

Gardée captive dans la maison de son maître, l’immaculée Blanchette commence à s’ennuyer. Pour la protéger, Monsieur lui fait croire qu’elle est une vache. Lorsqu’elle se rend compte que ce sont des mensonges (ou carabistouilles), la petite chèvre préfère affronter le monde extérieur plutôt que de rester cloîtrée.

« Il est bizarre le monsieur », chuchote une petite fille du public en observant l’homme qui, sur la scène, est couché sur une chaise longue. Les lumières commencent ensuite à baisser et plongent le public dans la pénombre. L’homme est « bizarre », en effet ! C’est le loup, vagabond et séducteur. Il s’est installé il y a peu à proximité d’une ferme ; il a pour voisin Monsieur, éleveur de chèvres. Et tous les matins, Monsieur se rend compte qu’une nouvelle chèvre est portée disparue. Il décide, lorsque la dernière disparaît, de partir en voyage. A son retour, il barricade sa propriété. Le Loup découvre qu’il y cache une magnifique chèvre d’un pelage immaculé. Sa tentative de séduction peut alors recommencer…

Avec Monsieur, Blanchette et le Loup, José Pliya offre une réécriture du célèbre conte de La Chèvre de Monsieur Seguin d’Alphonse Daudet qui émerveille par sa fraîcheur et son inventivité esthétique, sans pour autant ôter la dimension tragique de cette histoire. Cette création est la deuxième production pour jeune public du metteur en scène béninois. En janvier 2011, il avait mis en scène Mon petit poucet, un autre conte qui l’a marqué durant son enfance. Cet intérêt pour les contes de son enfance, José Pliya l’explique par la prise de conscience, étant enfant, du « tragique de la vie ». Bien qu’il travaille et habite aux Antilles depuis plus de dix ans, il ne veut pas considérer son travail comme une « relecture antillaise », car il veut que son écriture soit « post-racialiste ». Au contraire : cette réécriture du conte d’Alphonse Daudet fait transpirer ses origines africaines et son parcours professionnel pluriculturel.

La tragique histoire de Blanchette, petit chèvre blanche éprise de liberté, est structurée en treize scènes, qui ne réunissent jamais les trois interprètes à la fois, mais fonctionnent plutôt sur le mode du duo – Monsieur et le Loup, Monsieur et Blanchette, Blanchette et le Loup. Le décor, très minimal, joue sur la suggestion. Un plancher et un mur figurent la devanture de la maison de Monsieur. Tout comme le décor, l’animalité des interprètes n’est jamais figurative, mais suggérée par des accessoires (tapis en peau de chèvre, tête de loup) et le comportement des comédiens. A ces aspects simples, mais efficaces, s’ajoute le travail de la lumière, dont les jeux permettent de rythmer et de rendre tangible cet espace scénique plus suggéré que matérialisé. Lorsque Blanchette est enfermée à l’intérieur du domaine de Monsieur, son mouvement circulaire causé par la corde attachée autour de son cou est ainsi suggéré par un faisceau lumineux l’encerclant.

En plus de ce décor minimaliste finement construit, on salue le travail esthétique et corporel de cette retranscription contemporaine de La Chèvre de Monsieur Seguin. On apprécie également la performance de Blanchette (Karine Pédurand), qui intègre avec élégance la danse au jeu, ainsi que les qualités esthétiques de son costume. Tout ce que porte cette interprète est d’un blanc immaculé : sa perruque, ses faux cils et ses divers habits.

Une vive et chaleureuse recommandation pour ce spectacle pétillant, qui s’adresse aux petits et grands, à découvrir jusqu’au 15 mars au Petit Théâtre à Lausanne.

7 mars 2015


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